Villiers de l’Isle-Adam 1838–1889

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Épisode 1 – Villiers tel qu’en lui-même

ou De l’autrefois à l’au-delà

 

Jean Marie Math­ias Philippe Auguste, comte de Vil­liers de l’Isle-Adam, est mort le 18 août 1889. Il aurait eu 51 ans le 7 novem­bre suiv­ant. Roman­tique, catholique, roy­al­iste, révolté, idéal­iste, poète, lyrique, trag­ique, cel­tique, mys­tique, baroque ; don Qui­chotte et Ham­let ; naïf et con­fi­ant, un ange déca­dent — Un génie ! nous le com­prîmes tel, témoigne Stéphane Mallarmé.

Sait-on ce que c’est qu’écrire ? Inter­roge celui-ci, un an après la mort de son ami, une anci­enne et très vague mais jalouse pra­tique, dont gît le sens au mys­tère du cœur. Qui l’accomplit, inté­grale­ment, se retranche. […] Je sais bien, avec mon sens de témoin d’un des­tin extra­or­di­naire, que per­son­ne jamais ne présen­ta, approché, ou ici racon­té, le car­ac­tère de l’authentique écrivain, […] comme ce cama­rade. [1]

 

Mathias

 

Dans la nuit du 2 mai 1857, en France, au cen­tre de Paris, un ado­les­cent aux cheveux blonds et longs, un mètre soix­ante-dix env­i­ron, front large, yeux bleu pâle, nez court, teint blême, vêtu comme un barde bre­ton, s’en­gage rue du Mont-Tha­bor. Agir ! com­ment ? je n’en sais rien, mar­monne-t-il. Quoi faire, que résoudre, quels hommes aller trou­ver ? Je ne puis le savoir encore. Mais agir, agir, agir ![2] Il entre dans l’im­meu­ble sis au numéro 6, monte au pre­mier étage et sonne. Adèle Col­in, la gou­ver­nante, ouvre et s’é­tonne. L’in­con­nu vis­i­teur demande à voir le maître, Alfred de Mus­set. « Non, c’est impos­si­ble » répond Adèle. La famille toute en pleurs est réu­nie dans le salon qui précède la cham­bre mor­tu­aire. « Je n’oserais pas vous annon­cer » ajoute-t-elle[3]. Le jeune homme se détourne, regard som­bre. Veux-tu que je laisse mourir en silence l’énigme de ma vie ?[4]dit-il, bien bas dans l’om­bre. Puis, longeant le jardin des Tui­leries : Il faut que le monde sache un peu qui je suis…[5]

Le presqu’enfant se nomme Jean Marie Math­ias Philippe Auguste Vil­liers de l’Isle-Adam ; il a dix-huit ans.

 

Alfred de Mus­set par lui-même (1833)

 

Alfred et Math­ias (ain­si que ses par­ents l’appellent) ont beau­coup en com­mun : tous deux sont aris­to­crates en des temps fort bour­geois. Le pre­mier, céli­bataire, sans enfant ; le sec­ond épousera sa femme de cham­bre in extrem­is — la mère de son unique fils : Vic­tor dit Totor, le dernier des Vil­liers de L’Isle-Adam qui décédera sans descen­dance en 1901.

Mais tan­dis qu’Al­fred était parisien, né dans une famille de libéraux éclairés et for­tunés, Math­ias est provin­cial, né dans une famille monar­chiste, enne­mie du Sec­ond Empire, catholique et désar­gen­tée. Mus­set s’a­mu­sait à pré­ten­dre qu’il descendait de Jeanne d’Arc ; Vil­liers revendique très sérieuse­ment le trône de Grèce : le sang bleu du fon­da­teur de l’Or­dre de Malte, héroïque défenseur de Rhodes assiégée par Soli­man en 1521, coule dans ses veines. On dit de notre Mai­son : « Plus noble que le Roi ! » Je suis vingt-deux fois comte ! — répète-t-il, exalté.

 

Vil­liers en 1865 pho­tographié par Carjat

 

Jean Marie Math­ias Philippe Auguste, comte de Vil­liers de l’Isle-Adam, est né dans l’Évêché de Saint-Brieuc, rue Saint-Benoît, le 7 novem­bre 1838. Orig­i­naire d’Île-de-France, une branche de la famille s’est instal­lée en Bre­tagne en 1670. Son nom est un hon­neur, une charge ; il est par­mi les plus anciens de l’armorial.[6]

Élevé au sein d’un catholi­cisme rig­oriste, Math­ias éprou­ve ses pre­mières émo­tions artis­tiques en assis­tant aux spec­ta­cles de la foi cel­tique : pro­ces­sions et calvaires.

Son père, l’excentrique mar­quis Joseph-Tou­s­saint de Vil­liers de l’Isle-Adam, se ruine en achetant des ter­res à crédit qu’il fouille à la recherche de tré­sors cachés par ses aïeux (depuis la Ter­reur, le sous-sol de la Bre­tagne — Terre promise des Chouans — est une mine d’or, croit-il.) Joseph-Tou­s­saint creuse en vain. Il effectue de nom­breux allers-retours en prison, pour dettes.

Sa mère, Marie-Françoise Le Nepvou de Car­fort, dite Francine, dont la lignée remonte aux Croisés, ne s’oc­cupe pas de son fils. Elle-même aban­don­née par sa géni­trice, elle con­fie son unique enfant à celle qui l’a élevée : Made­moi­selle Marie-Féli­cie Daniel de Kérinou.

Tante Kéri­nou est con­va­in­cue du génie de son neveu (l’enfant com­pose poèmes et mélodies depuis son plus jeune âge) ; Joseph-Tou­s­saint compte sur son fils pour redor­er le bla­son des Vil­liers de l’Isle-Adam. Math­ias se donne dix ans pour y parvenir.

 

Le con­trat de mariage de Joseph-Tou­s­saint et Francine stip­ule que tante Kéri­nou pour­voira aux besoins de cha­cun — et notam­ment à l’é­d­u­ca­tion de l’en­fant unique —, à con­di­tion qu’ils habitent tous ensem­ble. C’est ain­si que la famille vit sur sa cas­sette bien gar­nie. Math­ias fréquente plusieurs étab­lisse­ments sco­laires au gré des déboires de son père, con­traint de démé­nag­er sans arrêt (Tréguier, Rennes, Laval, Vannes). Ses par­ents ne s’entendent pas et se sépar­ent fréquem­ment. La sit­u­a­tion fait jas­er dans le Lan­derneau ; les Vil­liers — tante Kéri­nou com­prise — émi­grent à Paris. Ils résolurent de réalis­er leur petit bien, de ven­dre tout, et, munis de leurs quelques sacs d’écus, de s’en aller atten­dre dans quelque coin per­du de la for­mi­da­ble ville, la vic­toire défini­tive du dernier des Vil­liers de l’Isle-Adam, qui, ils en avaient la foi naïve, devait avec son cerveau et sa plume, leur recon­quérir la for­tune et l’illustration que leurs ancêtres avaient achetées avec leur épée et leur sang.[7]

 

“La musique aux Tui­leries” Édouard Manet (1862)

 

À Paris, Math­ias pro­duit d’aimables poèmes roman­tiques qu’il déclame en s’ac­com­pa­g­nant au piano (l’adolescent est un mélo­mane aver­ti) et qu’il pub­lie, à compte d’au­teur, avec l’ar­gent de tante Kéri­nou. Deux Essais de poésie en 1858[8], puis Pre­mières Poésies, en 1859[9] (dédiées à M. le comte Alfred de Vigny, de l’Académie Française) inspirés par Hugo et Musset.

 

Le jeune artiste fréquente le salon d’un cousin à la mode de Bre­tagne, le comte Hyacinthe du Pon­tavice de Heussey (né en 1814 à Tréguier), de vingt-qua­tre ans son aîné, pro­gres­siste et anti­cléri­cal — totale­ment opposé aux opin­ions des Vil­liers —, grand ami de Marie d’Agoult (moins con­nue sous son nom d’écrivaine, Daniel Stern), maîtresse de Franz Liszt et mère de Cosi­ma, future épouse de Richard Wagner.

 

Hyacinthe et Math­ias s’admirent mutuelle­ment ; capa­bles de dis­sert­er pen­dant des heures sans être d’accord, ils s’adorent. Au sec­ond étage de l’Hôtel d’Orléans, près du Palais Roy­al, l’aîné ini­tie son cadet aux nou­veaux évangiles de l’époque : le Pos­i­tivisme d’Auguste Comte, le Social­isme de Saint-Simon (Fouri­er, Proud­hon) et l’Occultisme d’Éliphas Levi. Par-dessus tout, Pon­tavice enseigne à Vil­liers la philoso­phie de Georg Wil­helm Friedrich Hegel.

 

L’Hégélisme (autrement dit : L’Idéalisme) influ­encera le Sym­bol­isme, Vil­liers de l’Isle-Adam en est tout pénétré. Révolté par la fini­tude des êtres — ce qui a com­mencé un jour est fini depuis tou­jours —, épris d’absolu et d’éternité, il épouse la pen­sée du philosophe alle­mand qui proclame la supré­matie de l’Esprit sur la Réalité.

 

Math­ias est blessé d’être né.

L’existence est une tragédie ; la nais­sance, une mort annoncée.

Tout le boule­verse : une feuille qui tombe, une fleur qui se fane, un oisil­lon cro­qué par un chat, un chat écrasé par un cheval, un cheval mené à l’abattoir. La vie est mourante dès le pre­mier cri poussé. Tul­lia Fab­ri­ana, demi-déesse hégéli­enne, con­fesse dans le roman que le jeune homme est en train d’écrire : Je ne sais pas me sat­is­faire de ce qui dure peu ; je n’ai point d’enthousiasme pour ce qui finit.[10]

 

Charles Baude­laire appa­raît par­fois au cours des soirées salon­nières du cousin Pon­tavice. Math­ias — qui con­naît la poésie du réprou­vé et a lu ses tra­duc­tions d’Edgar Alan Poe —, le suit dans les cafés au pied de la butte Mont­martre, le plus sou­vent à la Brasserie des Mar­tyrs où l’auteur des Fleurs du mal (récem­ment con­damné par la six­ième cham­bre du tri­bunal cor­rec­tion­nel de la Seine pour out­rage à la morale publique et aux bonnes mœurs) accepte de partager quelques bocks de bière avec lui. Le jeune homme boit les paroles du maître. Il se tait ; il écoute. Sois tou­jours poète, même en prose[11], lui con­seille Baude­laire en lui dédi­caçant un exem­plaire de son Richard Wag­n­er et Tannhäuser à Paris[12] — lequel con­duit Vil­liers vers un champ musi­cal inouï.

 

Finis les aimables poèmes roman­tiques, Charles le Pes­simiste lui a souf­flé le doute.

Math­ias se coupe les cheveux et portera doré­na­vant mous­tache et bar­bi­chette à la manière des mousquetaires.

 

C’est égale­ment à la Brasserie des Mar­tyrs, 75 rue des Mar­tyrs, alors hors-bar­rière, que Vil­liers de l’Isle-Adam ren­con­tre Cat­ulle Mendès, un lit­téra­teur mondain qui devient immé­di­ate­ment son ami et le restera, mal­gré leurs nom­breuses brouilles, jusqu’à la fin.

 

Auguste

 

À vingt-qua­tre ans, tou­jours grâce à la générosité de tante Kéri­nou, Vil­liers pub­lie son pre­mier roman à compte d’auteur. Isis[13] est dédié au cousin Pon­tavice : Per­me­t­tez-moi, Mon­sieur et bien cher ami, de vous offrir cette étude en sou­venir des sen­ti­ments de sym­pa­thie et d’ad­mi­ra­tion que vous m’avez inspirés. Isis est le titre d’un ensem­ble d’ou­vrages qui paraîtront, si je dois l’e­spér­er, à de courts inter­valles : c’est la for­mule col­lec­tive d’une série de romans philosophiques ; c’est l’X d’un prob­lème et d’un idéal ; c’est le grand incon­nu. L’Œu­vre se défini­ra d’elle-même, une fois achevée. Croyez, en atten­dant, que je suis heureux d’in­scrire votre nom sur la pre­mière page.

A. Vil­liers de l’Isle-Adam

 

Le pre­mier texte impor­tant d’Auguste (ain­si qu’il signe à présent), ambitieux pro­gramme dont la suite ne paraî­tra jamais, annonce son chef-d’œu­vre inter­minable­ment remanié, resté inachevé : Axël. Il porte en ger­mes la total­ité des drames du génie qui s’a­vance. Un chant méta­physique et poé­tique, deux ter­mes syn­onymes dans l’esprit de l’auteur.

 

Isis se déroule à Flo­rence (comme Loren­za­c­cio), mais en 1788 (plutôt qu’en 1537). Der­rière la con­ver­sa­tion mondaine et les intrigues de pou­voir, c’est la dif­fi­culté de CROIRE après les boule­verse­ments nés de la philoso­phie des Lumières qui irrigue l’ensemble du texte. Vil­liers de l’Isle-Adam défend la Tra­di­tion, le passé qui survit dans le présent, l’immuable, l’éternel, la trans­mis­sion de généra­tions en généra­tions, une con­ti­nu­ité qui va du pre­mier au dernier, car, écrit-il, il faut tou­jours en venir au com­mence­ment, c’est-à-dire au non-sens, au mys­tère, à l’immémorial, à l’absurde. Com­ment com­pren­dre l’Art si l’on exclut les Reli­gions du champ de la Cul­ture ? inter­roge-t-il. À l’arrogance uni­ver­sal­iste qui fait tab­u­la rasa du jadis, Vil­liers oppose l’humilité d’une mémoire com­mune tis­sée de mythes et de légen­des, racines de l’Humain dans son human­ité. Ah ! les enfants de la Chaldée, errant sur les mon­tagnes au milieu du vent noc­turne, la ressen­taient bien, cette Poésie qui est la con­science de la nature, et ils avaient bien rai­son d’at­tach­er d’un regard de foi dépas­sant les pro­grès futurs leurs obscures des­tinées au cours lumineux d’une étoile…

 

À l’exception d’une cri­tique élo­gieuse de Théodore de Banville, Isis passe inaperçu.

Empêtré dans ses ailes d’archange, Auguste se réfugie à l’ab­baye de Solesmes où le père abbé Dom Guéranger, restau­ra­teur de l’Ordre Béné­dictin en France, ami de tante Kéri­nou, a pour mis­sion de raviv­er sa foi catholique défaillante.

 

Après un pre­mier séjour de trois semaines à Solesmes, Auguste ren­tre à Paris où il retrou­ve ses com­pars­es de la Brasserie des Mar­tyrs, par­mi lesquels une liai­son fatale : Louise Dyon­net. Mar­iée, séparée, deux enfants, elle est plus âgée que lui, qui en est fou. Vil­liers sait qu’elle fréquente d’autres hommes (dont son ami Cat­ulle Mendès), qu’importe. Il dépense l’argent de tante Kéri­nou afin de s’acquitter des nom­breuses dettes con­trac­tées par la demi-mondaine.

Puis il rompt leur rela­tion et retourne à Solesmes.

Auguste s’y plaît d’autant mieux que l’abbaye est alors une sorte de cen­tre de dés­in­tox pour célébrités parisi­ennes. Deux pos­i­tivistes très en vogue y tien­nent qua­si-salon : Hip­poly­te Taine, philosophe ami d’Ernest Renan, et Émile Lit­tré, l’auteur du fameux dic­tio­n­naire de la langue française.

 

Dessin de Vic­tor Hugo réal­isé pen­dant une séance de spiritisme

 

Aux lende­mains de la Révo­lu­tion, l’église catholique en France a per­du sa superbe. Tout au long du dix-neu­vième siè­cle, elle essaie de la retrou­ver en menant une guerre aux forces enne­mies — pos­i­tivistes, social­istes, occultistes — qui se ter­min­era en 1905 par l’adoption de la loi con­cer­nant la sépa­ra­tion des Églis­es et de l’État. D’ici là, Rome se rad­i­calise en pro­mul­guant deux nou­veaux dogmes pour le moins… surprenants.

 

Le pre­mier est celui de « l’Immaculée Con­cep­tion » qui n’est pas, comme on le croit trop sou­vent, la con­cep­tion vir­ginale de Jésus par Marie, mais se rap­porte au béné­fice accordé à celle-ci d’avoir été rachetée par le Ciel dès sa pro­pre con­cep­tion : elle est sine labe orig­i­nali con­cep­ta (conçue sans pêché orig­inel). Une sub­til­ité théologique dont les catholiques sont friands. La doc­trine est con­sacrée par une bulle pon­tif­i­cale de Pie IX le 8 décem­bre 1854. Qua­tre ans plus tard, pour enfon­cer le clou dans la croix, la Vierge appa­raît à une petite bergère de qua­torze ans, Bernadette Soubirous, dans une grotte de Lour­des. Elle lui dit, en patois : Que soy era Immac­u­la­da Coun­cep­ciou (« Je suis l’Immaculée Con­cep­tion. ») Il fal­lait oser : Rome l’a fait.

En 1870, au con­cile Vat­i­can I, un sec­ond dogme sor­ti de la sainte calotte est voté : L’Infaillibilité Pon­tif­i­cale (autrement dit : « le pape ne peut pas se tromper. ») C.Q.F.D.

 

Au même moment, l’ésotérisme — pythagorisme, gnose, alchimie, astrolo­gie, her­métisme — pas­sionne les élites français­es. En 1802, déjà, François-René de Chateaubriand s’en inquié­tait : On a des devins quand on n’a plus de prophètes, des sor­tilèges quand on renonce aux céré­monies religieuses, et l’on ouvre les antres des sor­ciers quand on ferme les tem­ples du Seigneur.[14]

N’importe quelle coterie née de la dernière pluie revendique la même légitim­ité que celle attribuée au judéo-chris­tian­isme depuis les siè­cles des siè­cles. Après le culte révo­lu­tion­naire de La Rai­son, puis celui de L’Être Suprême, tout au long du dix-neu­vième, les « saints crétins » prô­nant un syncréti(ni)sme alam­biqué pul­lu­lent dans les Salons de la cap­i­tale : Allan Kardec alias Dénizard Hip­poly­te dit Léon Rivail, fon­da­teur du spiritisme (que Vic­tor Hugo pra­tique avec allé­gresse) ; Madame Blavatsky alias Hele­na Petro­v­na Von Hahn, fon­da­trice de la Société Théosophique (dont le but est tout sim­ple­ment d’éradiquer le judéo-chris­tian­isme de la sur­face du globe — sans doute l’une des graines les plus pro­lifiques de l’antisémitisme qui fera flo­res très bien­tôt) ; le Sâr Péladan alias Joseph-Aimé Péladan, écrivain et occultiste, qui renou­velle l’Ordre de la Rose-Croix (dont Vil­liers est mem­bre, tout comme Érik Satie) ; Papus alias Gérard Encausse, médecin et Grand Maître de l’Ordre Mar­tin­iste (organ­i­sa­tion maçon­ni­co-ésotérique) ; enfin, celui que vénèrent Hon­oré de Balzac, Madame Han­s­ka, Théophile Gau­ti­er, Alexan­dre Dumas, Odilon Redon, Claude Debussy, Cat­ulle Mendès et Vil­liers de l’Isle-Adam : Éliphas Levi, alias Alphonse-Louis Con­stant. Son Dogme et Rit­uel de la Haute Magie, pub­lié en 1856 (l’année de la nais­sance de Sig­mund Freud), ain­si que le vol­ume inti­t­ulé La Clef des Grands Mys­tères, pub­lié en 1859, imprèg­nent pro­fondé­ment les pages d’Axël.

(Nous y revien­drons dans l’Épisode 3.)

 

À l’issue de son sec­ond séjour à l’abbaye de Solesmes, Vil­liers ren­tre à Paris où il con­tin­ue de dépenser, dans les cafés, la for­tune de tante Kéri­nou déjà bien entamée par la ruée vers l’or armor­i­cain de son père. Ray­on­nant, mag­né­tique — à ce moment de la jeunesse dans lequel ful­gure le des­tin entier[15] — l’auguste héros des Let­tres aux cheveux ébou­rif­fés, tombant sur le col de four­rure d’un pardessus élimé, se fait remar­quer. Il était, lui, ce folio authen­tique, prêt tou­jours — appa­rais­sait, aus­si, de quelque pro­fondeur de poches la can­dide réal­ité d’un papi­er […] la page sur quoi on écrit, évo­ca­toire et pure, à moitié il la cachait, la mon­trait aus­si, avec inquié­tude jusqu’à ce qu’il sen­tît une inter­ro­ga­tion amie s’y pos­er et la tirât, vic­to­rieuse. [16]

 

Stéphane Mal­lar­mé par Édouard Manet (1876)

 

Vil­liers de l’Isle-Adam et Stéphane Mal­lar­mé se ren­con­trent chez Cat­ulle Mendès, à Choisy-le-Roi, en sep­tem­bre 1864. Sim­ple­ment, on le ren­con­tra, ce fut tout.[17] Un coup de foudre du même feu que celui qui tra­ver­sa Mon­taigne et La Boétie. L’idéalisme de Vil­liers boule­verse Mal­lar­mé, sa for­mi­da­ble voca­tion sub­jugue le jeune poète. Auguste recon­naît en Stéphane un frère, un com­pagnon ; ils savent tous deux qu’ils avan­cent dans la même direction.

 

Vil­liers et Mal­lar­mé en sont con­va­in­cus : la poésie est une espèce de sor­cel­lerie évo­ca­toire (selon l’expression de Baudelaire).

Vil­liers écrit, dans Axël[18]: Tout verbe, dans le cer­cle de son action, crée ce qu’il exprime. Et Mal­lar­mé, à Ver­laine : Quoi ? c’est dif­fi­cile à dire : un livre, tout bon­nement, en maints tomes, un livre qui soit un livre, archi­tec­tur­al et prémédité, et non un recueil des inspi­ra­tions de hasard, fussent-elles mer­veilleuses… J’irai plus loin, je dirai : le Livre, per­suadé qu’au fond il n’y en a qu’un, ten­té à son insu par quiconque a écrit, même les Génies. L’explication orphique de la Terre, qui est le seul devoir du poëte[19] et le jeu lit­téraire par excel­lence : car le rythme même du livre alors imper­son­nel et vivant, jusque dans sa pag­i­na­tion, se jux­ta­pose aux équa­tions de ce rêve…[20]

 

Toute sa vie Mal­lar­mé a rêvé du livre ultime qui sor­ti­rait le néant de l’absence.

Entrap­erçu, ce fut : Un coup de dés jamais n’abolira le hasard.[21]Poème per­for­matif qu’il faut VOIR pour entendre.

 

Villiers

 

Dans les six­ties du dix-neu­vième, après les Roman­tiques, c’est au tour des Par­nassiens de se grouper en un mou­ve­ment poé­tique exces­sive­ment for­mal­iste, imper­son­nel, austère, éru­dit, sur­chargé d’un exo­tisme au ser­vice exclusif de « la beauté », un art pour l’art libre de toute con­tin­gence comme le définit Théophile Gau­ti­er. Théodore de Banville, Lecon­te de L’Isle, José-Maria de Here­dia, Sul­ly-Prud­homme, François Cop­pée, Ana­tole France, Léon Dierx, Cat­ulle Mendès, Paul Ver­laine, Stéphane Mal­lar­mé, Vil­liers de L’Isle-Adam… ont en com­mun, par dessus tout, d’être hos­tiles à la pro­duc­tion lit­téraire indus­trielle du Sec­ond Empire.

Fran­cisque Sarcey — autorité jour­nal­is­tique du quo­ti­di­en con­ser­va­teur et bien-pen­sant Le Temps (qu’Alphonse Allais s’amuse à par­o­di­er CF. le Mémo Alphonse Allais) —, dénonce le Par­nasse comme une école très encom­brante. Ver­laine, Mal­lar­mé et Vil­liers s’en détachent rapi­de­ment au nom du Sym­bol­isme qui favorise l’impression ; l’ombre portée plutôt que l’objet éclairé, les tran­si­tions d’une gamme plutôt que la note jouée. Le Grand Inspi­ra­teur de cette nou­velle doc­trine n’est autre que Charles Baude­laire dont « la théorie des cor­re­spon­dances » est l’assise.

 

Poe et Baude­laire par Manet

 

Same­di 28 avril 1866, Stéphane Mal­lar­mé, qui tra­vaille à son inter­minable poème Héro­di­ade, écrit à Hen­ri Caza­lis, ami de prime jeunesse : Oui, je le sais, nous ne sommes que de vaines formes de la matière, — mais bien sub­limes pour avoir inven­té Dieu et notre âme. 

Puis mar­di 24 sep­tem­bre 1867, à Vil­liers : Ma pen­sée a été jusqu’à se penser elle-même et n’a plus la force d’évoquer en un Néant unique le vide dis­séminé en sa porosité. J’avais, à la faveur d’une grande sen­si­bil­ité, com­pris la cor­réla­tion intime de la Poësie avec l’Univers, et, pour qu’elle fût pure, conçu le des­sein de la sor­tir du Rêve et du Hasard […] Vrai­ment, j’ai bien peur de com­mencer (quoique, certes, l’Éternité ait scin­til­lé en moi et dévoré la notion sur­vivante du Temps) par où notre pau­vre et sacré Baude­laire[22] a fini. Par­don­nez-moi donc mon silence […] et aimez-moi comme je vous aime…

 

Tan­dis que Stéphane s’enfonce dans une crise exis­ten­tielle qui l’isole et l’enferme, Auguste tombe amoureux. Cat­ulle Mendès a épousé Judith Gau­ti­er, la fille aînée de Théophile ; Vil­liers veut épouser Estelle, sa cadette. L’affaire se présente plutôt bien : la jeune fille appré­cie la cour de l’écrivain, elle est séduite, con­quise enfin… Hélas ! Tante Kéri­nou s’oppose à ce qu’elle con­sid­ère comme une mésal­liance et men­ace son neveu de lui couper les vivres s’il ne renonce pas au pro­jet. Sans argent, Auguste est coincé. Dans une let­tre du 3 jan­vi­er 1867, il con­fesse à Théophile Gau­ti­er : Je suis pro­fondé­ment pénétré de cha­grin ; mais la sit­u­a­tion n’a pas d’issue, je suis for­cé de le recon­naître. Mal­gré ce que j’ai ten­té, ma famille me refuse tout : con­sen­te­ment et argent néces­saire ; je ne puis gag­n­er ma vie avec le genre de tal­ent que j’ai, enfin ce n’est qu’obstacle et impos­si­bil­ité.[23]

 

Deux ans plus tard, en juin 1869, Judith Gau­ti­er, Cat­ulle Mendès et Vil­liers de l’Isle-Adam, accom­pa­g­nés par la can­ta­trice Augus­ta Holmes (la maîtresse de Mendès), tous qua­tre folle­ment wag­nériens — alors que le musi­cien n’a pas bonne presse en France, sa musique pleine d’arrière-pensées ger­man­istes insup­porte l’Empire —, voy­a­gent jusqu’en Suisse, à Trib­schen, près de Lucerne, où rési­dent Richard Wag­n­er et sa femme Cosi­ma. On sait en quel paysage de mon­tagnes, de lacs, de val­lées et de forêts s’élevait, à Triebchen (sic), la mai­son de Wag­n­er, se sou­vient Vil­liers.[24]

Selon son habi­tude de con­teur prodigieux, Auguste Vil­liers de l’Isle-Adam offre à son hôte une lec­ture de La Révolte[25], drame en un acte qui sera joué quelques mois plus tard à Paris, au théâtre du Vaude­ville (pour cinq représen­ta­tions seulement).

Après le départ des Français, Cosi­ma écrit à Judith : Je vous dirai que nous avons beau­coup par­lé de la pièce de M. de Vil­liers, et que nous sommes tombés d’accord sur l’immense tal­ent qu’elle révèle.[26]

 

Tout à leur fièvre wag­néri­enne, les trois amis retour­nent voir le mae­stro l’été suiv­ant. Accom­pa­g­nés, cette fois, par Camille Saint-Saëns et Hen­ri Duparc, Judith Gau­ti­er, Cat­ulle Mendès et Auguste Villers de l’Isle-Adam arrivent à Trib­schen le jour de la déc­la­ra­tion de guerre de la France à la Prusse (19 juil­let 1870). L’atmosphère est on ne peut plus ten­due. Vil­liers ne s’en soucie guère, et, en hom­mage à Richard Wag­n­er, il donne une lec­ture de son work in progressAxël —, qui laisse tout le monde sans voix.

Les Français quit­tent rapi­de­ment la Suisse.

Avant de remon­ter à Paris, Judith, Mendès et Vil­liers s’arrêtent en Avi­gnon chez Stéphane Mal­lar­mé alors pro­fesseur d’anglais dans un étab­lisse­ment sco­laire de la ville.

 

Au con­traire de Vil­liers, Mal­lar­mé s’est résolu à « entr­er dans le civ­il » (il est mar­ié). Son éprou­vante crise exis­ten­tielle finale­ment tra­ver­sée, il se réjouit de pou­voir lire à ses amis un exem­ple de sa nou­velle manière lit­téraire : des frag­ments d’Igi­tur, un con­te resté inachevé, pub­lié à titre posthume[27], l’histoire du dernier descen­dant d’une lignée antique dont le sort dépend d’un sim­ple coup de dés.

Judith et Cat­ulle sont telle­ment déroutés qu’ils pren­nent au plus vite un train pour Paris. Auguste est embal­lé. Il passe tout le mois d’août chez Stéphane, sa femme Maria et leur fille Geneviève.

 

“La Hideuse Guerre, Sedan” Féli­cien Rops (1870)

 

Le 2 sep­tem­bre 1870, l’armée française est battue par les troupes de Bis­mar­ck à Sedan ; Napoléon III capit­ule devant les Alle­mands. Le 4 sep­tem­bre, la IIIème République est déclarée. Le 19, début du siège de Paris par les Prussiens qui va dur­er cent trente-huit jours ; on mange les chiens, les chats, les rats et les ani­maux du Jardin des Plantes. Léon Gam­bet­ta s’envole en bal­lon depuis la butte Mont­martre dans l’espoir de lever une armée en province. Le 19 jan­vi­er 1871, dans la galerie des Glaces du Château de Ver­sailles, le roi de Prusse se fait sacr­er empereur sous le nom de Guil­laume 1er. La France perd l’Alsace et la Lor­raine. L’Armistice signé le 26 jan­vi­er 1871 mal augure de l’avenir. (C’est le moins que l’on puisse dire.)

 

À l’intérieur des bar­rières entourant la cap­i­tale, les Parisiens sont dans la rue, furieux d’une telle abdi­ca­tion. Adolphe Thiers, nom­mé chef du pou­voir exé­cu­tif, demande à la Garde Nationale de ren­dre les canons, mais les sol­dats frater­nisent avec la pop­u­la­tion (« cross­es en l’air ! »). Le 26 mars 1871, la Com­mune Libre de Paris est proclamée. Elle va dur­er soix­ante-treize jours. (Deux mois et demi d’anarchisme appliqué.)

 

C’est à Mont­martre que la pop­u­la­tion a dit Non avec le plus de con­vic­tion : Non aux Alle­mands et Non aux Ver­sail­lais. Les Com­mu­nards sont pour­suiv­is jusqu’à Belleville et Ménil­montant où ils sont fusil­lés entre les sépul­tures du Père-Lachaise.

La dernière bar­ri­cade tombe le 28 mai. À l’issue de la Semaine Sanglante, on dénom­bre plus de vingt mille morts dans les rangs des insurgés et des mil­liers de déportés en Nou­velle Calé­donie (dont Louise Michel).

 

Au début de la résis­tance pop­u­laire, Vil­liers de l’Isle-Adam est Com­mu­nard : tout ce qui peut nuire aux intérêts de la bour­geoisie l’enthousiasme. Cepen­dant, effrayé par la rad­i­cal­i­sa­tion du mou­ve­ment, il finit par se faire oubli­er sans pour autant rejoin­dre les Versaillais.

 

Vil­liers fait ce que font les écrivains : il écrit, et per­son­ni­fie sa vision exécrée du « bour­geois », matéri­al­iste et mer­can­tile, en créant le per­son­nage de Tribu­lat Bon­homet dans un con­te ini­tiale­ment inti­t­ulé Claire Lenoir[28](revu maintes fois comme la plu­part de ses textes). Le doc­teur Bon­homet incar­ne toutes les hor­reurs de la men­tal­ité bour­geoise, pos­i­tiviste et triv­iale. Mais tan­dis que ses ancêtres étaient, sim­ple­ment, des imbé­ciles — le Mon­sieur Prud­homme d’Henry Mon­nier, le phar­ma­cien Homais de Gus­tave Flaubert —, Bon­homet est méchant, voire même… satanique. Mon hilar­ité me ter­ri­fie moi-même, ricane-t-il, tel un Faust grotesque. (Et l’on se met à penser au Père Ubu d’Alfred Jarry…)

 

Le 13 août 1871, Auguste est frap­pé par un drame per­son­nel qui l’emporte sur la tragédie de l’Histoire : la mort de tante Kéri­nou. Pro­fondé­ment attaché à sa bonne maman, le jeune homme en est très affec­té. Sans compter (ou plutôt si, pré­cisé­ment) que le décès de la vieille dame le plonge dans un dénue­ment extrême. Vil­liers ne peut pas deman­der de l’aide à ses par­ents, Joseph-Tou­s­saint et Francine sont plus dému­nis encore que leur fils.

Afin de pay­er les mod­estes loy­ers des gar­nis qu’il occupe, Auguste Vil­liers de l’Isle-Adam est « fou guéri » dans un asile d’aliénés, puis pro­fesseur de boxe dans un gym­nase des faubourgs. Il som­bre dans cette mis­ère dev­enue mythique qui inspire à Ver­laine son recueil Les Poètes Mau­dits (dont Vil­liers est une fig­ure exemplaire).

 

“La dame aux éven­tails” por­trait de Nina de Cal­lias par Édouard Manet (1874)

 

Auguste Vil­liers de l’Isle-Adam se con­sole en fréquen­tant le salon de Nina de Villard.

Pas besoin d’un habit pour être reçu chez moi : un son­net suf­fit — prévient-elle.

Entre deux escapades avec Arthur Rim­baud, Paul Ver­laine lui écrit celui-ci :

 

Des yeux tout autour de la tête

Ain­si qu’il est dit dans Murg­er[29]

Point très bonne. Un esprit d’enfer

Avec des rires d’alouette[30]

 

Anne-Marie Gail­lard dite Nina, née en 1843, est poète, musi­ci­enne, excel­lente pianiste, adepte du spiritisme, amie des anar­chistes. Sa sil­hou­ette appa­raît dans un tableau d’Édouard Manet qui la représente alan­guie sur un sofa, entourée d’éventails chi­nois. Divor­cée du jour­nal­iste Hec­tor de Cal­lias, Nina a con­servé la par­tic­ule et pris le nom de jeune fille de sa mère, Madame Vil­lard, laque­lle ne se déplace jamais sans ses deux chiens, ses trois chats, et son petit singe en per­ma­nence assis sur ses épaules. Les deux femmes sont célèbres, à Paris, pour le salon qu’elles tien­nent, nor­male­ment le jeu­di mais finale­ment presque tous les soirs de la semaine, jusqu’aux heures avancées de la nuit ; rue Chap­tal d’abord, puis rue de Lon­dres et de Turin, enfin aux Batig­nolles, rue des Moines.

 

Chez Nina on récite des poèmes, on joue de la musique, on mange, on boit, et on reste couch­er quand on n’a pas où aller. Un ate­lier de détraquage cérébral, selon les frères Goncourt, où, jusque très tard dans la nuit, un céna­cle de jeunes et révoltées intel­li­gences se livraient, fou­et­tées par l’alcool, à toutes les ébauch­es de la pen­sée, à toutes les clowner­ies de la parole, remuant les para­dox­es les plus crânes, et les esthé­tiques les plus sub­ver­sives, dans la surex­ci­ta­tion d’une jolie femme, d’une muse légère­ment démente.[31]

 

L’amant en titre de Nina se nomme Charles Cros, le plus lumineux agré­gat qui jamais ray­on­na d’un front, selon Cat­ulle Mendès qui ne l’aime pas. Math­é­mati­cien, chimiste, poète, lin­guiste ; objet d’étude d’Alphonse Allais qui l’adore ; inven­teur du phono­graphe (que l’américain Thomas Edi­son met­tra au point) et auteur, entre autres, d’un poème — Le hareng saur — appris par cœur par les enfants des écoles lorsque l’on appre­nait encore par cœur :

 

Il était un grand mur blanc – nu, nu, nu,

Con­tre le mur une échelle — haute, haute, haute,

Et, par terre, un hareng saur, sec, sec, sec.

Il vient, ten­ant dans ses mains — sales, sales sales,

Un marteau lourd, un grand clou — pointu, pointu, pointu,

Un pelo­ton de ficelle — gros, gros, gros.[32]

 

C’est de son ami­tié avec Charles Cros que naît, dans l’esprit de Vil­liers, le pro­jet d’un roman fan­tas­tique : L’Ève future. Une his­toire d’androïde que Philip K. Dick aurait pu écrire s’il avait fon­du son sucre dans l’absinthe plutôt que sous des gouttes de LSD. Dans un extrait de brouil­lon dudit roman titré ini­tiale­ment L’Andréide para­doxale d’Edison, retrou­vé par Remy de Gour­mont[33], Auguste Vil­liers de l’Isle-Adam écrit : Main­tenant je dis que le Réel a ses degrés d’être. Une chose est d’autant plus ou moins réelle pour nous qu’elle nous intéresse plus ou moins, puisqu’une chose qui ne nous intéresserait en rien serait pour nous comme si elle n’était pas, — c’est-à-dire, beau­coup moins, quoique physique, qu’une chose irréelle qui nous intéresserait. Donc, le Réel, pour nous, est seule­ment ce qui nous touche, soit les sens, soit l’esprit […] Le seul con­trôle que nous ayons de la Réal­ité, c’est l’Idée. 

 

Bien­tôt le Salon de Nina de Vil­lard se vide, on dit qu’elle souf­fre d’un mal étrange.

On lui demandait com­ment elle allait une, deux, trois fois. Elle ne répondait d’abord pas, mais enfin à la troisième, fon­dant en larmes, elle vous soupi­rait en un rire de folle : « Mais je ne vais pas, puisque je suis morte. » Alors il était con­venu qu’on lui dirait : « Oui, oui, vous êtes bien morte… Mais les morts ressus­ci­tent, n’est-ce pas ? »  Alors, prenant le bras que vous lui tendiez, elle allait s’asseoir au piano où elle jouait d’une manière tout à fait extra­or­di­naire.[34]

 

Nina s’est étour­die toute sa vie à en per­dre la tête.

Elle meurt défini­tive­ment à l’âge de quar­ante et un ans le 22 juil­let 1884.

On se replie alors au cabaret du Chat Noir, à Mont­martre. Sur la butte, à l’endroit même où la Com­mune s’était dressée, les travaux de la basilique du Sacré Cœur ont déjà com­mencé[35].

 

Épisode 2 – La mort de Villiers

Contes cruels

 

En 1882, Vil­liers de l’Isle-Adam a quar­ante-qua­tre ans. Sa mère vient de mourir et son père a échoué dans un asile pour « déments »[36]. Il vit à Paris avec Marie Brégeras née Dan­tine, lingère, veuve d’un cocher belge dont elle a eu un petit Albert, et Vic­tor dit Totor, leur fils âgé d’un an. Vil­liers et sa smala, comme il dit, ne restent jamais longtemps dans ces « cham­bres de bonne » louées à la semaine au dernier étage des immeubles de rap­port con­stru­its en nom­bre par le baron Hauss­mann. Par­fois, ils occu­pent un apparte­ment dans un bâti­ment en démo­li­tion — pas de loy­er alors, mais une pré­car­ité redoublée.

 

C’est le pro­vi­soire qui dure, l’espoir qui s’acharne.

 

Depuis son pre­mier roman — Isis, en 1862 — Auguste Vil­liers de l’Isle-Adam a pub­lié qua­tre pièces de théâtre qui n’ont pas ou peu été jouées : Elën (drame roman­tique en trois actes dédié à Théophile Gau­ti­er[37]), Mor­gane (drame roman­tique en cinq actes qui fail­lit être à l’affiche de la porte Saint-Mar­tin[38]), La Révolte (satire bour­geoise en un acte[39] que l’auteur a lu, en avant-pre­mière, chez Richard Wag­n­er) et Le Nou­veau Monde (drame en cinq actes couron­né — avec les félic­i­ta­tions de Vic­tor Hugo, mem­bre du jury — au con­cours organ­isé pour le cen­te­naire de la procla­ma­tion de l’indépendance des États-Unis d’Amérique[40]).

Vil­liers a fondé, bénév­ole­ment, La Revue des Let­tres et des Arts[41], une pub­li­ca­tion heb­do­madaire à laque­lle ont col­laboré Stéphane Mal­lar­mé, Paul Ver­laine, Théodore de Banville, Cat­ulle Mendès et les frères Goncourt. Il a fait paraître, en feuil­letons dans la presse, son roman d’Art-métaphysique[42] L’Ève future (titré aus­si L’Ève nou­velle) — qui mène l’ironie jusqu’à une page cime, où l’esprit chan­celle[43].

 

Cepen­dant, en 1882, Vil­liers de l’Isle-Adam est moins con­nu encore qu’à ses débuts, vingt ans auparavant.

 

 

En 1883, un vol­ume regroupant la plu­part de ses textes courts, pub­liés jusqu’alors dans d’obscures feuilles lit­téraires, paraît aux édi­tions Cal­mann-Lévy, sous le titre : Con­tes cru­els.

Ent­hou­si­aste, Stéphane Mal­lar­mé écrit à son ami (dans un style, une syn­taxe qui n’appartient qu’à lui) : La langue vrai­ment d’un dieu partout ! D’autres recueils suiv­ront : L’Amour suprême[44], Tribu­lat Bon­homet[45], His­toires inso­lites[46] et Nou­veaux con­tes cru­els[47], une cen­taine env­i­ron de courts réc­its, juste le temps d’épuiser un état d’âme, opu­lent et bref — le plus mirac­uleux des livres d’heures : non sans que se pro­longe cette alter­nance, rail­lerie tou­jours et inves­ti­ga­tions spir­ituelles...[48]

Le fris­son du suc­cès effleure Vil­liers. On s’intéresse enfin au chimérique tenace lequel donne alors quelques arti­cles au Figaro et au Gil Blas.

Hélas, le sur­venu n’est déjà plus tout à fait de ce monde.

Du jeune bre­ton con­va­in­cu de sa voca­tion, il ne reste plus qu’un vieil­lard de quar­ante-cinq ans, épuisé, malade, une ombre que porte encore son grand nom sacré, idéal, à la face d’une planète dés­espéré­ment béotienne.

 

Quoi ! l’existence avait-elle à ce point glis­sé entre ses doigts, que lui-même n’en pût net­te­ment remar­quer aucune trace ; avait-il été joué, était-ce cela ? [49] — s’étonne Mallarmé.

 

Que s’est-il passé ? Vil­liers serait-il coupable de n’avoir pas su dis­traire le bourgeois ?

 

Par­mi les con­tes pub­liés du vivant de l’auteur, on peut lire, dans Deux augures[50] : Le bour­geois, en les par­courant d’un cerveau brouil­lé par les affaires, écar­quille les yeux, vous traite, tout bas, de « poète », sourit in pet­to et se dés­abonne — en déclarant, tout haut, que vous avez BEAUCOUP de tal­ent ! — Il mon­tre ain­si, d’une part, que vos écrits ne l’ont pas atteint ; de l’autre, il vous assas­sine aux yeux de ses con­frères qui le devi­nent, pren­nent ce dia­pa­son, vous embau­ment dans les louanges et, de con­fi­ance ou d’instinct, ne vous lisent jamais, car ils ont flairé, en vous, une âme, c’est-à-dire la chose qu’ils haïssent le plus au monde.

 

Ou encore, dans Le Con­vive des dernières fêtes[51] : Les ondes sonores du sys­tème nerveux ont de ces vibra­tions mys­térieuses. Elles assour­dis­sent, pour ain­si dire, par la diver­sité de leurs échos, l’analyse du coup ini­tial qui les a pro­duites. La mémoire dis­tingue le milieu ambiant de la chose, et la chose elle-même se noie dans cette sen­sa­tion générale, jusqu’à demeur­er opiniâtrement indis­cern­able.

 

Et aus­si, dans L’Appareil pour l’analyse du dernier soupir[52] : Nous appartenons tous, aujourd’hui, à la grande Famille humaine ; c’est démon­tré. Dès lors, pourquoi regret­ter celui-ci plutôt que celui-là ?… Con­clu­ons : puisque tout s’oublie, ne vaut-il pas mieux s’habituer à l’oubli immé­di­at ? […] Et fort heureuse­ment, même, à la fin !… Sans quoi ne seri­ons-nous pas bien­tôt ser­rés, sur la planète, comme un banc de harengs ? — Pro­lifères comme nous le devenons, ce serait à n’y pas tenir. L’inéluctable prophétie des écon­o­mistes s’accomplirait à courte échéance ; le digne Polype humain mour­rait de pléthore, — et, — les débouchés inter­mit­tents des guer­res ou des épidémies une fois recon­nus insuff­isants, — s’assommer, récipro­que­ment, à grands coups de sor­ties de bal, deviendrait indis­pens­able si l’on per­sis­tait à vouloir respir­er ou cir­culer sur ce globe, — sur ce globe ou la Sci­ence nous prou­ve, par A plus B, que nous ne sommes, après tout, qu’une ver­mine provisoire.

 

“Des Esseintes” par Odilon Redon (1888)

 

En 1884, tour­nant le dos au Nat­u­ral­isme d’Émile Zola dont il était proche jusqu’alors, Joris-Karl Huys­mans rem­porte un large suc­cès en pub­liant un roman « déca­dent », LE roman de la déca­denceÀ Rebours —  dans lequel le duc Jean des Esseintes recon­naît en Vil­liers de l’Isle-Adam l’un des meilleurs écrivains de son temps.

Huys­mans écrit : dans le tem­péra­ment de Vil­liers […] exis­tait un coin de plaisan­terie noire et de rail­lerie féroce ; ce n’étaient plus alors les para­doxales mys­ti­fi­ca­tions d’Edgar Poe, c’était un bafouage d’un comique lugubre, tel qu’en ragea Swift. Une série de pièces, Les Demoi­selles de Bien­filâtre, L’Affichage céleste, La Machine à gloire, Le plus beau dîn­er du monde, déce­laient un esprit de gogue­nardise sin­gulière­ment inven­tif et âcre. Toute l’ordure des idées util­i­taires con­tem­po­raines, toute l’ignominie mer­can­tile du siè­cle, étaient glo­ri­fiées en des pièces dont la poignante ironie trans­portait des Esseintes.[53]

 

Vil­liers est sauvé du néant par un per­son­nage de roman.

Il est ce Roi décapité qui cligne de l’œil dans son panier.

 

Pre­mière page man­u­scrite de “La Machine à gloire”

 

Le 1er décem­bre 1885, le mar­quis Joseph-Tou­s­saint de Vil­liers de l’Isle-Adam meurt « déli­rant » dans un asile pour indi­gents. Vil­liers est seul au monde avec son grand nom sur les bras, la con­science et le cœur.

 

À Paul Ver­laine qui lui demande des infor­ma­tions sur Auguste Vil­liers de l’Isle-Adam pour la rédac­tion de ses Poètes mau­dits, Stéphane Mal­lar­mé répond : … des ren­seigne­ments pré­cis sur ce cher et vieux fugace, je n’en ai pas : son adresse même, je l’ignore ; nos deux mains se retrou­vent l’une dans l’autre, comme desser­rées de la veille, au détour d’une rue, tous les ans, parce qu’il existe un Dieu[54]

 

Vil­liers s’est aboli dans un de ces gour­bis où il écrit, à plat ven­tre sur le sol (pos­ture qui soulage ses maux d’estomac), son chef d’œuvre tou­jours inachevé, com­mencé à la fin des années soix­ante (il en a lu un extrait en juil­let 1870, lors de son sec­ond séjour chez Wag­n­er) : Axël.

 

Con­tre toute attente, en févri­er 1888, Vil­liers de l’Isle-Adam emprunte de l’argent à son « ami » Léon Bloy pour se ren­dre en Bel­gique. Sa pièce L’Évasion[55], drame social en un acte, intéresse le théâtre Molière de Brux­elles. Très embal­lé, rêvant de con­férences, d’amas d’or, de je ne sais quoi, écrit Huys­mans à Jules Destrée[56], il chevauche cette chimère plus ardem­ment encore que les autres, s’il est pos­si­ble.[57]

Comme tou­jours, Vil­liers y croit de tout son cœur. Au Roy­aume de Bel­gique, il en est sûr, on saura recon­naître sa grandeur.

 

“L’en­trée du Christ à Brux­elles” James Ensor (1888)

 

Vil­liers de l’Isle-Adam arrive à Brux­elles le 13 févri­er 1888. L’Évasion est jouée le 16, en mat­inée, précédée d’une causerie de Jules Destrée. Le pub­lic est ent­hou­si­aste. Pour la pre­mière fois de sa vie, Vil­liers est applau­di. Les cri­tiques dra­ma­tiques sont plus réservées, et la pièce n’est pas pro­gram­mée, mais l’auguste est con­fi­ant : sur les ter­res de Léopold II, prince de Saxe-Cobourg-Gotha, et de Marie-Hen­ri­ette de Hab­s­bourg-Lor­raine, archiduchesse d’Autriche et princesse pala­tine de Hon­grie, le comte Vil­liers de l’Isle-Adam espère un mécé­nat roy­al. Il écrit à Marie Dan­tine qu’il n’a pas encore ren­con­tré la reine, mais que Demain tout peut chang­er en beau­coup mieux […] Demain, ce soir, cela peut chang­er[58]. En atten­dant, le cheva­lier à la triste fig­ure n’a plus un sou en poche et doit quit­ter l’hôtel où il était descen­du. L’éditeur belge Edmond Deman l’invite à séjourn­er chez lui. Pour le remerci­er, Vil­liers promet de lui com­pos­er un recueil de ses plus beaux con­tes. Comme d’habitude, l’auteur tardera à livr­er son man­u­scrit et les His­toires sou­veraines (flo­rilège de vingt réc­its) ne paraîtront qu’en 1899, dix ans après sa mort.

 

Le 23 févri­er 1888, Vil­liers donne une con­férence à Brux­elles ; le 28, à Liège ; et le 4 mars, à Gand. Il écrit à Marie : J’ai obtenu quelque chose d’étonnant comme suc­cès — devant des ban­quiers, des bour­geois et bour­geois­es de Gand. 500 per­son­nes en glace, et que je me pique d’avoir fait légère­ment sauter sur leurs fau­teuils de velours rouge. Hélas, les revenus escomp­tés sont bien mai­gres. À peine de quoi acheter un bil­let de retour pour Paris.

 

À peine descen­du du train, Vil­liers de l’Isle-Adam se fâche avec Léon Bloy qui lui reproche de n’avoir pas cou­ru chez lui, sitôt arrivé, afin de lui rem­bours­er, cap­i­tal et intérêts, l’argent prêté. Vil­liers est malade, une mau­vaise bron­chite s’est ajoutée aux maux d’estomac. Il doit s’aliter pen­dant plusieurs mois.

 

Soudain, le 21 sep­tem­bre 1888, Vil­liers de l’Isle-Adam saute dans un train pour aller voir Lord Sal­is­bury, cheva­lier de la Jar­retière, Pre­mier min­istre bri­tan­nique de la reine Vic­to­ria. Le mar­quis de Sal­is­bury passe l’été à Dieppe, il aura la vis­ite du comte Vil­liers de l’Isle-Adam. Que se sont-ils dit ? Le 24 sep­tem­bre, après avoir ren­con­tré briève­ment l’illustre mem­bre de la Cham­bre des Lords, un des hommes les plus rich­es et influ­ents au monde, Vil­liers est de retour à Paris avec une aumône de 35 francs (l’équivalent d’une cen­taine d’euros env­i­ron). Il envoie 10 francs à Léon Bloy — désor­mais surnom­mé l’homme som­bre, bla­fard et haineux —, puis retourne se couch­er pour cor­riger Axël.

 

Tiens-moi bien, que je m’en aille doucement

 

En 1889, la Troisième République fête le cen­te­naire de la Révo­lu­tion française. La tour de Gus­tave Eif­fel (un mon­u­ment que l’on croit éphémère) est l’attraction prin­ci­pale de l’Exposition Uni­verselle qui se tient à Paris du 5 mai au 31 octo­bre. Sur le Champ-de-Mars, les élé­gantes et les élé­gants peu­vent vis­iter un « vil­lage nègre » de qua­tre cents humains exposés comme au zoo dans un pavil­lon dédié à l’Empire colo­nial français. On inau­gure le Moulin Rouge que Toulouse-Lautrec immor­talis­era bien­tôt ; Émile Zola pub­lie La Bête humaine et Hen­ri Berg­son son Essai sur les don­nées immé­di­ates de la con­science.

 

Les amis de Vil­liers de l’Isle-Adam envoient un exem­plaire de L’Ève future[59] à Thomas Edi­son qui séjourne dans la cap­i­tale à l’occasion de l’Exposition. On espère une ren­con­tre entre les deux hommes, qui n’aura pas lieu. Com­ment le sor­ci­er de Men­lo Park aurait-il salué l’auteur d’un roman le met­tant en scène ?

Il me paraît de toute con­ve­nance de prévenir une con­fu­sion pos­si­ble rel­a­tive­ment au prin­ci­pal héros de ce livre, annonce Vil­liers dans un « Avis au lecteur ». Cha­cun sait aujourd’hui qu’un très illus­tre inven­teur améri­cain, M. Edi­son, a décou­vert, depuis une quin­zaine d’années, une quan­tité de choses aus­si étranges qu’ingénieuses ; — entre autres le Télé­phone, le Phono­graphe, le Micro­phone — et ces admirables lam­pes élec­triques répan­dues sur la sur­face du globe […] En Amérique et en Europe une LÉGENDE s’est donc éveil­lée, dans l’imagination de la foule, autour de ce grand citoyen des États-Unis. […] Dès lors, le PERSONNAGE de cette légende, — même du vivant de l’homme qui a su l’inspirer, — n’appartient-il pas à la lit­téra­ture humaine ?

Pour sûr ! répond le lecteur ent­hou­si­aste, ravi de lire cette fable, laque­lle, sous cou­vert de chanter la sci­ence, exalte l’immuable tran­scen­dance. Dieu, comme toute pen­sée, écrit Vil­liers, n’est dans l’Homme que selon l’individu. Nul ne sait où com­mence l’Illusion, ni en quoi con­siste la Réal­ité. Or, Dieu étant la plus sub­lime con­cep­tion pos­si­ble et toute con­cep­tion n’ayant sa réal­ité que selon le vouloir et les yeux intel­lectuels par­ti­c­uliers à chaque vivant, il s’ensuit qu’écarter de ses pen­sées l’idée d’un Dieu ne sig­ni­fie pas autre chose que se décapiter gra­tu­ite­ment l’esprit.

 

Vil­liers de l’Isle-Adam est malade depuis trop longtemps. Cat­ulle Mendes, Joris Karl Huys­mans, Léon Dierx et Stéphane Mal­lar­mé lan­cent une souscrip­tion pour l’aider. Le 12 mars, Mal­lar­mé écrit : Notre pau­vre ami Vil­liers de l’Isle-Adam tra­verse une crise, mal­adie, soucis, d’une durée incer­taine : nous voudri­ons, quelques-uns, la lui adoucir, et je crois que vous sen­tiriez du regret à ne pas en être aver­ti. S’engager à cinq francs fix­es (env­i­ron 15 €), chaque mois, remis ain­si ou par une avance, en bons de poste, dans mes mains, paraît le moyen sim­ple. On com­mencera tout de suite, en mars.[60] Une cinquan­taine d’écrivains se cotisent, par­mi lesquels François Cop­pée, Alexan­dre Dumas fils, José-Maria de Here­dia, Guy de Mau­pas­sant, Cat­ulle Mendès, Sul­ly Prud­homme, Émile Ver­haeren. Mal­lar­mé verse l’argent à Vil­liers en lui faisant croire, ten­dre déli­catesse, qu’il s’agit d’un à‑valoir sur ses futurs droits d’auteur.

 

Le 14 avril 1889, très amaigri, Vil­liers quitte Paris avec Marie, Albert et Totor pour une maison­nette à Nogent-sur-Marne que ses amis ont mis à sa dis­po­si­tion. Stéphane leur rend vis­ite fréquem­ment, mais le con­teur sub­lime se tait le plus sou­vent ; il joue sur un vieux piano rescapé de ses nom­breux démé­nage­ments la musique qui l’aidera à ter­min­er Axël — dont les pages, sans cesse recom­posées, jonchent le parquet.

 

Pre­mière page man­u­scrite de “Axël”

 

Vil­liers s’affaiblit encore ; rapi­de­ment, il ne peut plus s’alimenter.

 

Le 12 juil­let 1889, Auguste Vil­liers de l’Isle-Adam est admis à la Mai­son des Frères de Saint-Jean-de-Dieu, rue Oudinot. Huys­mans vient le voir tous les jours. Mal­lar­mé n’est pas loin, à Valvins, d’où il peut rejoin­dre Paris au plus vite en cas d’urgence. Car urgence il y a : il faut que Vil­liers recon­naisse Totor. Ses amis, Stéphane en tête, espèrent qu’il con­sen­ti­ra à épouser Marie, anal­phabète, pau­vre et dévouée, avant qu’il ne soit trop tard.

 

Au con­traire de Cat­ulle Mendès, Vil­liers de l’Isle-Adam n’a jamais été un don Juan. Deux amours mal­heureuses dans son ado­les­cence (la pre­mière jeune fille meurt, la sec­onde prend le voile) ; une liai­son douloureuse avec une demi-mondaine pen­dant ses pre­mières années parisi­ennes ; des fiançailles rompues à cause de son grand nom ; un pro­jet de mariage arrangé avec une soi-dis­ant riche héri­tière anglaise qui échoue, et Vil­liers qui écrit, dans L’Ève future : Quoi de plus attris­tant, de plus dis­solvant que l’abominable être qu’on nomme une « femme d’esprit », si ce n’est son vis-à-vis, le beau par­leur ? L’esprit, dans le sens mondain, c’est l’ennemi de l’intelligence. Autant, n’est-ce pas, une femme recueil­lie, croy­ante, un peu bête[61] et mod­este, et qui, avec son mer­veilleux instinct, com­prend le vrai sens d’une parole comme à tra­vers un voile de lumière, autant cette femme est un tré­sor suprême, est la véri­ta­ble com­pagne, autant l’autre est un fléau insociable !

 

À défaut de vivre l’amour suprême, absolu, éter­nel — le seul auquel aspi­rait le comte Auguste Vil­liers de l’Isle-Adam —, Vil­liers aura con­nu la ten­dresse et la bien­veil­lance, au jour le jour, pas à pas, de Marie. Et il nour­ris­sait une véri­ta­ble pas­sion pour Vic­tor, leur fils, dont il s’occupait avec une affec­tion touchante.

 

Vic­tor dit Totor

 

Le 12 août, Vil­liers grif­fonne un doc­u­ment dans lequel il recon­naît Vic­tor Philippe Auguste, né à Paris le 10 jan­vi­er 1881 : Ce 12 août au soir, deux heures du matin, me sen­tant un peu malade et en cas d’accident je donne et lègue mes livres, hélas, le peu que ce peut être à Madame Marie Brégeras qui m’a don­né mon fils Vic­tor que je recon­nais par la présente à la hâte.[62] Le 14, il épouse Marie Brégeras née Dan­tine afin de légitimer le dernier des Vil­liers de l’Isle-Adam. Les témoins se tien­nent de part et d’autre du lit d’hôpital : Mal­lar­mé, Huys­mans, Dierx et Gus­tave de Mal­herbe (fondé de pou­voir de la Mai­son Quan­tin qui pub­liera Axël dans quelques mois).

 

Au moment de sign­er, Marie trace un X sur le reg­istre de l’état civil.

 

 

Le 18 août 1889, à onze heures du soir, Jean Marie Math­ias Philippe Auguste, comte de Vil­liers de l’Isle-Adam, meurt d’un can­cer de l’estomac à l’âge de cinquante ans. Sa dernière phrase est pour Marie : Tiens-moi bien, que je m’en aille douce­ment.

 

Il est très vieux, très beau, l’air un peu rogue et docte, tout à fait un de ses ancêtres[63] écrit Stéphane Mal­lar­mé à Méry Lau­rent. Des couronnes de fleurs envoyées par les Par­nassiens, les Sym­bol­istes, les Déca­dents, envahissent la cham­bre mor­tu­aire. Mal­lar­mé dépose un lys dans le cer­cueil de son ami.

 

Le 21 août, les obsèques sont célébrées en l’église Saint-François-Xavier, dans le 7ème arrondisse­ment de Paris, puis Vil­liers est inhumé au cimetière des Batig­nolles. Plus tard, ses restes seront trans­férés au Père-Lachaise (79ème divi­sion) avec ceux de son fils qui décédera de la tuber­cu­lose le 28 avril 1901, à l’âge de vingt ans.

Nota Bene : Vic­tor de Vil­liers de l’Isle-Adam avait un ami, Mar­cel Longuet, avec lequel il avait fondé une revue dont le nom aurait amusé son père : L’Idée. Mar­cel, qui devien­dra jour­nal­iste, était un petit-fils de Karl Marx. Après le décès de Totor, c’est lui qui, de 1914 à 1931, veillera à la pub­li­ca­tion des œuvres com­plètes de Vil­liers de l’Isle-Adam au Mer­cure de France.

 

 

Au mois de févri­er 1890, Stéphane Mal­lar­mé con­sacre à son ami six soirées en Bel­gique (à Brux­elles, Anvers, Gand, Liège, Bruges) au cours desquelles il prononce sa fameuse con­férence-tombeau — abon­dam­ment citée dans cet arti­cle — qui sera pub­liée la même année par la Librairie de l’Art indépendant.

 

Trois ans plus tard, en 1893, Joris-Karl Huys­mans écrit à Robert du Pon­tavice de Heussey (fils de Hyacinthe et pre­mier biographe de Vil­liers) : J’ai beau­coup aimé Vil­liers et, comme vous, je me trou­ve, cer­tains soirs […] han­té par l’évocation de l’écrivain qui fut, à coup sûr, avec Bar­bey d’Aurevilly, le plus éton­nant causeur de ce temps. Je l’ai con­nu, il y a bien des années, en 1876, à La République des Let­tres, où nous écriv­ions tous les deux […] Puis des fréquen­ta­tions divers­es, des goûts opposés d’existence nous éloignèrent. Après À Rebours, je le retrou­vai. Il venait avec son enfant, le petit Totor, dîn­er le dimanche chez moi. Ce fut, pour ceux qui le virent alors, d’inoubliables fêtes ! Vil­liers si défi­ant, si légitime­ment sur ses gardes aus­sitôt qu’il aperce­vait des gens de let­tres, ne bafouil­lait plus, comme il avait l’habitude de le faire dès qu’il croy­ait s’être trop livré et, se sen­tant au milieu d’amis éprou­vés et d’admirateurs sûrs, à l’abri de tout larcin d’idées et de toute traîtrise, il s’emballait, par­lait de sa vie alors, deve­nait tout à la fois lyrique et réal­iste, ironique et fol. […] Après le repas, il se mit au piano et per­du, hors du monde, chan­ta de sa voix frileuse et fêlée des morceaux de Wag­n­er dans lesquels il immisçait des refrains de caserne, rac­cor­dant le tout par des rires stri­dents, des calem­bredaines toquées, des vers étranges. Au reste, per­son­ne n’eut au même degré que lui la puis­sance d’exhausser la farce, et de la faire jail­lir effarée dans les au-delàs ; il avait un punch tou­jours flam­bant dans la cervelle. Com­bi­en de fois l’ai-je vu, au saut du lit, à peine éveil­lé, ful­gu­rant comme des soirs où, après le café, il nous nar­rait de spé­cieuses anec­dotes, d’inimitables con­tes ![64]

 

En 1896, sept ans après la mort de Vil­liers de l’Isle-Adam, Remy de Gour­mont écrit dans Le Mer­cure de France : Vil­liers fut de son temps au point que tous ses chefs‑d’œuvre sont des rêves solide­ment basés sur la sci­ence et sur la méta­physique mod­ernes, comme L’Ève future, comme Tribu­lat Bon­homet, cette énorme, admirable et trag­ique bouf­fon­ner­ie, où vin­rent con­verg­er, pour en faire la créa­tion peut-être la plus orig­i­nale du siè­cle, tous les dons du rêveur, de l’ironiste et du philosophe. Ce point élu­cidé, on avouera que Vil­liers, être d’une effroy­able com­plex­ité, se prête naturelle­ment à des inter­pré­ta­tions con­tra­dic­toires : il fut tout ; nou­veau Goethe, mais, si moins con­scient, si moins par­fait, plus acéré, plus tortueux, plus mys­térieux, et plus humain, et plus fam­i­li­er. Il est tou­jours par­mi nous et il est en nous, par son œuvre et par l’influence de son œuvre que subis­sent avec joie les meilleurs d’entre les écrivains et les artistes de l’heure actuelle.[65]

 

Tu nous fuis, comme fuit le soleil sous la mer,

Der­rière un rideau lourd de pour­pres léthargiques,

Las d’avoir splen­di seul sur les ombres tragiques

De la terre sans verbe et de l’aveugle éther.

Tu pars, âme chré­ti­enne, on m’a dit résignée,

Parce que tu savais que ton Dieu préparait

Une fête enfin claire à ton cœur sans secret,

Une amour toute flamme à ton amour ignée.

Nous restons pour encore un peu de temps ici,

Con­ser­vant ta mémoire en notre espoir transi,

Tels des mourants savourent l’huile du Saint-Chrême.

Vil­liers, sois envié comme il aurait fallu

Par tes frères impa­tients du jour suprême

Où saluer en toi la gloire d’un élu.[66]

Paul Ver­laine

 

Vil­liers de l’Isle-Adam, aquarelle de Jean-Bap­tiste Guth

 

Stéphane Mal­lar­mé et Joris-Karl Huys­mans ont été désignés par Vil­liers de l’Isle-Adam pour être ses exé­cu­teurs tes­ta­men­taires ; la charge est immense : Axël est resté à l’état d’épreuves.

 

Épisode 3 – Axël

 

Le vol­ume qui sort en jan­vi­er 1890 chez Quan­tin, cinq mois après la mort de Vil­liers, est con­sid­éré comme l’édition orig­i­nale ; cepen­dant Axël a paru à divers­es repris­es de façon fragmentée :

– Les 12 octo­bre, 7 et 14 décem­bre 1872, dans La Renais­sance lit­téraire et artis­tique, une revue heb­do­madaire qui donne trois livraisons, dont la ver­sion orig­inelle de la pre­mière par­tie (ultérieure­ment inti­t­ulée « Le Monde religieux »).

– En octo­bre 1882, dans La Vie artis­tique, une revue men­su­elle qui pub­lie la qua­si-total­ité de la troisième par­tie (qui devien­dra « Le Monde occulte »).

– Le 12 juil­let 1884 dans La Vie mil­i­taire, une feuille heb­do­madaire où parais­sent des frag­ments de la future par­tie inti­t­ulée « Le Monde passionnel ».

– De novem­bre 1885 à juin 1886 dans La Jeune France, une revue men­su­elle où sort la pre­mière ver­sion inté­grale découpée en cinq par­ties ; les deux­ième et troisième par­ties cor­re­spon­dent à la future deux­ième par­tie (sic) inti­t­ulée « Le Monde tragique ».

– En avril 1887 dans La Revue indépen­dante, men­su­elle, qui pub­lie une « scène inédite pour Axël » inti­t­ulée Le Droit au silence, laque­lle sera inté­grée au « Monde tragique ».

– Enfin, le 28 juin 1887, le quo­ti­di­en Gil Blas pub­lie un frag­ment dit « L’invitation aux voy­ages » que l’on retrou­ve dans la qua­trième par­tie de l’édition originale.

 

Axël est une œuvre-palimpses­te ; sous le texte défini­tif, la trace des ver­sions suc­ces­sives est vivace. L’auteur ajoute plus qu’il ne retranche, et tant pis si ces ajouts, sou­vent con­tra­dic­toires, l’obligent à tout repren­dre depuis le début.

 

Vil­liers de l’Isle-Adam par Mar­cellin Desboutin

 

Auguste Vil­liers de l’Isle-Adam était con­scient de l’embrouillamini résul­tant des ver­sions suc­ces­sives d’un poème dra­ma­tique plas­tique sans cesse en méta­mor­phose ; c’est pourquoi il avait présen­té Axël en per­son­ne, au cours d’une lec­ture-con­férence boule­vard des Capucines, à Paris, le soir du 28 févri­er 1884.

Vil­liers s’était expliqué devant une salle qua­si vide.

 

Mes­dames, Messieurs,

Je me pro­pose de vous lire quelques pages d’une étude de lit­téra­ture dra­ma­tique où, par excep­tion, il se trou­ve que l’intrigue, les «car­ac­tères», et l’action théâ­trale, ne sont que d’intérêt secondaire.

Ce qui s’y impose comme seul digne de l’attention du spec­ta­teur, ce qui, réelle­ment, est en cause et, au moins à quelques esprits, peut paraître impres­sion­nant, est de toute autre nature que la «pièce» elle-même, laque­lle n’en est que le voile.

C’est assez vous dire que le drame d’Axël n’est nulle­ment écrit pour la scène et que la seule idée de sa représen­ta­tion sem­ble à l’auteur lui-même à peu près inadmissible.

[…] La grande anx­iété humaine devant l’énigme de la vie n’est-elle pas, à tout pren­dre, un sen­ti­ment… comme un autre ?… 

[…] Main­tenant, le crime de penser à des choses pro­fondes serait-il à ce point irrémis­si­ble aux yeux des gens du monde qu’un auteur accusé et con­va­in­cu de lèse-friv­o­lité dût s’excuser, avec hypocrisie, d’avoir ten­té d’incarner, dans une action scénique, une con­cep­tion d’ordre tran­scen­dan­tal ?… — Non – Du moins, je l’espère.

 

Vil­liers lit quelques scènes ; puis il s’interrompt, en suspens.

 

La grande anxiété humaine devant l’énigme de la vie

 

Au lende­main de la mort de leur ami, en août 1889, Joris-Karl Huys­mans et Stéphane Mal­lar­mé retour­nent dans la petite mai­son de Nogent-sur-Marne que Vil­liers de l’Isle-Adam occu­pait avant son hos­pi­tal­i­sa­tion. Ils en rap­por­tent un stère d’épreuves, de papiers, de notes relat­ifs à Axël dont la troisième par­tie est un labyrinthe de cor­rec­tions sur plac­ards[67] qu’ils con­fient au chargé de pou­voir de la mai­son Quan­tin, Gus­tave de Malherbe.

 

Axël paraît à la mi-jan­vi­er 1890. L’œuvre est imprimée en un vol­ume in-octa­vo de 300 pages, sous cou­ver­ture saumon, ven­du 7 francs 50.

Dans un appen­dice, Huys­mans et Mal­lar­mé ont rédigé cette note : Cent qua­tre-vingt-douze pages de ce livre étaient imprimées, lorsque Vil­liers de l’Isle-Adam mou­rut. Il avait encore cor­rigé deux feuilles, remanié la par­tie d’Axël com­prise entre la page 193 et la page 235, mais il ne s’était pas décidé pour­tant à don­ner le bon à tir­er aux édi­teurs. Enfin les soix­ante-dix dernières pages ont été retrou­vées telles quelles en épreuves, à peine relues, com­posées sur le texte autre­fois inséré dans une revue, La Jeune France.

Il con­vient de spé­ci­fi­er main­tenant qu’à divers­es repris­es Vil­liers noti­fia sa ferme réso­lu­tion de mod­i­fi­er toute la fin d’Axël. À sa pro­bité de par­fait artiste, des scrupules de con­science s’ajoutaient ; il jugeait qu’au point de vue catholique son livre n’était pas suff­isam­ment ortho­doxe, et il voulait que la croix inter­vînt dans la scène qui dénoue le drame. Il était dès lors for­cé de repren­dre Axël en sous-œuvre… 

 

Suit ce qu’il est con­venu d’appeler « les ajouts chré­tiens ».[68] L’équivalent de deux feuil­lets env­i­ron que Vil­liers n’aura pas eu le temps d’intégrer à son œuvre (au risque, il le savait, de la désintégrer.)

 

Qu’avait-il écrit qui l’avait tou­jours inquiété, et qui, à la veille de mourir, le terrifiait ?

 

« Le Moine au bord de la mer » de Cas­par David Friedrich (1808)

 

Axël — drame du Renon­ce­ment, évangile de la Mort — se ter­mine par le sui­cide des deux pro­tag­o­nistes prin­ci­paux ; un acte con­damné par l’Église catholique, apos­tolique et romaine ; le pire péché du croy­ant.

 

Ce qui fait pré­cisé­ment le car­ac­tère unique et cap­ti­vant d’Axël, c’est la lutte, con­tre un pes­simisme fonci­er et irré­ductible, d’une pen­sée religieuse qui n’est ni assez faible pour s’effacer, ni assez forte pour s’imposer ; c’est le reflet du douloureux dual­isme qui déchi­ra toute sa vie l’âme d’un poète qui fut en même temps l’un des plus pas­sion­nés penseurs de son temps.[69]

 

« L’Abbaye dans une forêt de chênes » de Cas­par David Friedrich (1810)

 

Remon­tons aux sources de l’Œuvre.

 

Très influ­encé, à ses débuts, par Alfred de Mus­set et Vic­tor Hugo, Vil­liers de l’Isle-Adam s’inscrit dans la tra­di­tion du théâtre roman­tique. Le Roman­tisme est le berceau du Sym­bol­isme ; Vil­liers est né au sein du pre­mier, il s’est épanoui avec le second.

Citons aus­si le Faust de Goethe et les opéras de Wag­n­er, en par­ti­c­uli­er Tannhäuser, Tris­tan et Iseult, L’Anneau du Nibelung (L’Or du Rhin, La Walkyrie, Siegfried et Le Cré­pus­cule des Dieux). Axël est « une œuvre d’art total », selon l’idéal wag­nérien. Vil­liers aurait voulu écrire lui-même la musique de scène, et, sans doute aus­si, incar­n­er le rôle-titre… l’auteur était fasciné par les acteurs, très élo­quent lui-même.

Citons enfin Georg Wil­helm Friedrich Hegel ; à l’instar de Gus­tave Flaubert et de Bar­bey d’Aurevilly, Vil­liers de l’Isle-Adam con­nais­sait par cœur l’Intro­duc­tion à la philoso­phie de Hegel d’Augusto Véra (traduit en français en 1855[70]) à défaut d’avoir lu le philosophe alle­mand « dans le texte » (impéné­tra­ble s’il en est !)

 

Vil­liers a foi en Dieu et en la dialec­tique d’Hegel : thèse, antithèse, syn­thèse. Il conçoit l’Idéalisme hégélien ain­si qu’une hygiène men­tale con­sis­tant à penser « con­tre soi » afin d’atteindre une sorte de réc­on­cil­i­a­tion entre le sin­guli­er et l’universel (l’opposition est à la fois dépassée et con­servée, recrée dans une forme autre).

 

Vil­liers de l’Isle-Adam a rêvé toute sa vie de con­cili­er le Chris­tian­isme (il est croy­ant, sen­ti­men­tale­ment attaché à la reli­gion catholique), l’Occultisme (qui l’a ébloui mais ne l’a pas éclairé) et l’Idéalisme (autrement dit la for­mi­da­ble capac­ité de l’esprit humain à réin­ven­ter le monde en permanence).

 

Argile retra­vail­lée sans cesse par les rires et les rêves de son auteur, Axël est une créa­tion con­tin­ue d’Auguste Vil­liers de l’Isle-Adam lui-même.

 

« L’Arbre soli­taire » de Cas­par David Friedrich (1822)

 

Né en 1838 dans une des plus vieilles familles de France, en Bre­tagne, Jean Marie Math­ias Philippe Auguste, comte de Vil­liers de l’Isle-Adam, est pétri d’un catéchisme antique enseigné aux fidèles dans des Mis­sels romains aux reli­ures de cuir noir ; Homélies, Médi­ta­tions, Imi­ta­tions, Petits Paroissiens et Brévi­aires ; papi­er bible frois­sé dont les pages sont mar­quées par des images pieuses de la Sainte Vierge et du Christ en Gloire ; enlu­min­ures médié­vales de La légende dorée[71] et des Livres d’Heures ; icono­gra­phie mer­veilleuse qui con­fère au catholi­cisme sa grandeur.

 

« La Vierge se jetant sur le corps de son fils » In : Les Grandes Heures de Rohan (1430)

 

Vil­liers était attaché à la reli­gion catholique qu’il cri­ti­quait con­stam­ment, refu­sant de borner son intel­li­gence. Il pre­nait un malin plaisir à inven­ter de nou­veaux blas­phèmes et s’amusait beau­coup des cris d’orfraie poussés par Huys­mans, doc­tri­naire et sen­ten­cieux (comme sou­vent les nou­veaux con­ver­tis), hor­ri­fié par l’hétérodoxie de son ami.

 

Jeune artiste con­va­in­cu de sa voca­tion, arrivé à Paris dans les années 1860, Vil­liers de l’Isle-Adam a respiré l’air du temps — et notam­ment les effluves émanant des traités d’Éliphas Levi, le grand man­i­tou des salons.

 

 

On a longtemps con­sid­éré Axël comme une œuvre her­mé­tique majeure. Pour Vic­tor-Émile Michelet, poète ésotérique « mar­tin­iste »[72], Vil­liers de l’Isle-Adam est un des plus purs représen­tants de l’Initiation cel­tique[73]. Une idée reçue que cer­tains groupes de type « iden­ti­taire » brandiront tel un éten­dard pen­dant près d’un siè­cle après la mort de Vil­liers. Il fau­dra atten­dre le milieu des années 1980, et notam­ment la paru­tion des Œuvres com­plètes dans la bib­lio­thèque de La Pléi­ade, en 1986, avec son appareil cri­tique mag­nifique — nous ne remercierons jamais assez Alain Raitt et Pierre-Georges Cas­tex —, pour que cette aura per­ni­cieuse se dissipe.

 

Vil­liers de l’Isle-Adam était curieux, il s’est doc­u­men­té. Il aimait pass­er des heures en bib­lio­thèque pour lire et con­fec­tion­ner des dossiers sur les sujets qui l’intéressaient. L’Auguste con­nais­sait Jacob Boehme[74] et Emmanuel Swe­den­borg[75] ; il a cher­ché Dieu de dif­férentes manières, par­fois dans un esprit « faustien » — tel un défi lancé à sa Foi.

 

Vil­liers de l’Isle-Adam était un pas­sant sidéré par la grande énigme de la Vie. Toute son œuvre en témoigne, et Axël plus encore, unique en son style : hyper lyrique, sonore et musi­cal ; enrichi de mots nou­veaux qui sem­blent avoir tou­jours été par­lés. Axël est une créa­tion de lan­gage telle qu’en rêvait Mallarmé.

 

« L’Île des Morts » d’Arnold Böck­lin (1886)

 

L’occultisme de Vil­liers de l’Isle-Adam est essen­tielle­ment sym­bol­ique ; Mau­rice Maeter­linck, William But­ler Yeats, Paul Claudel et, pour ne citer que les prin­ci­paux, Jorge Luis Borges, en porteront la trace.

 

Le mir­a­cle, c’est que cette tragédie des âmes, qui ne s’adresse qu’à l’intelligence, ait con­servé le don de boule­vers­er les cœurs.[76]

 

Axël

 

L’action se passe […] vers l’an 1828. (Dix ans avant la nais­sance de Vil­liers de l’Isle-Adam.) La pre­mière par­tie, en un monastère de Religieuses-trini­taires, le cloître de Sainte-Apol­lodo­ra, situé sur les con­fins du lit­toral de l’ancienne Flan­dre française. Les trois autres par­ties, dans l’est de l’Allemagne septen­tri­onale, en un très vieux château fort, le burg des mar­graves d’Auërsperg…

 

Les per­son­nages prin­ci­paux sont : Axël d’Auërsperg et Sara de Mau­pers ; l’Abbesse et l’Archidiacre ; le com­man­deur Kas­par d’Auërsperg et Maître Janus.

 

PREMIÈRE PARTIE : LE MONDE RELIGIEUX

 

Nous sommes dans le chœur de la chapelle de Sainte-Appolodora.

Sara de Mau­pers, l’Abbesse, l’Archidiacre, puis Sœur Aloyse sont en scène.

La jeune Sara doit pronon­cer ses vœux cette nuit même, autrement dit elle va « épouser sa Foi » et sor­tir du monde séculi­er. On attend qu’elle renonce à l’agenda humain, mais la nubile reste de marbre.

 

SŒUR ALOYSE, une con­verse, mur­mure à l’oreille de Sara

Sara, sou­viens-toi de nos ros­es, dans l’allée des sépul­tures ! Tu m’es apparue comme une sœur inespérée. Après Dieu, c’est toi. Si tu veux que je meure, je mour­rai. Rap­pelle-toi mon front appuyé sur tes mains pâles, le soir, au tomber du soleil. Je suis incon­solable de t’avoir vue. Hélas ! tu es la bien-aimée !… J’ai la mélan­col­ie de toi. Je n’ai de force que vers toi.

[…]

L’ABBESSE, con­fes­sant ce qu’elle pense de Sara à l’Archidiacre

Certes, il faut la sauver ! d’elle-même ! Et, si elle a dans le cœur quelque ivraie infer­nale, la lui déracin­er pour son salut ! — Et tenez, mon père, voyez jusqu’où va la séduc­tive puis­sance de cette jeune fille ! J’avais prié la plus jeune de nos con­vers­es, Sœur Aloyse, qui est un cœur sim­ple et une âme d’ange, de rechercher sa com­pag­nie. […] Qu’est-il arrivé ? une chose inat­ten­due, invraisem­blable. — Le vis­age, l’extraordinaire beauté de made­moi­selle de Mau­pers ont fasciné très pro­fondé­ment Sœur Aloyse : elle en est dev­enue silen­cieuse et comme éblouie.

[…]

 

L’ARCHIDIACRE, devenu pen­sif 

Ténébreuse orphe­line, en effet, que tant de livres devaient ten­ter et séduire !

 

L’ABBESSE

Prenez au sérieux ce que je dis : je la crois douée du don ter­ri­ble, l’Intelligence.

 

L’ARCHIDIACRE, grave

Alors, qu’elle trem­ble, si elle ne devient pas une sainte ! La rêver­ie a per­du tant d’âmes ! — Surtout en une femme, ce don devient plus sou­vent une torche qu’un flam­beau… Allons, qu’elle ne lise plus, jusqu’à ce que sa foi, bien raf­fer­mie, lui éclaire le néant des pages humaines.

[…]

 

L’ARCHIDIACRE, s’adressant à Sara

Oh ! si tu ne com­prends pas encore l’esprit de nos dogmes, si ton argile en frémit, qu’il te soit per­mis de les appro­fondir, puisque Dieu t’a faite si étrange­ment studieuse et per­sévérante, comme si tu étais appelée à devenir pareille aux plus grandes saintes. — Neg­li­gen­ti­ae mihi vide­tur si non stude­mus quod cred­imus intel­ligere[77], dit, avec un grand bon­heur d’expression, saint Anselme. Mais étudie avec humil­ité, et, surtout, d’un cœur tou­jours sim­ple, si tu veux avancer dans la sci­ence de Dieu : — ain­si tu garderas cette dig­nité de l’Espérance, sans laque­lle l’humilité même n’a point de valeur par­faite… et bien­tôt, sans doute, une grâce t’enseignera que l’unique moyen de com­pren­dre, c’est de prier. […] La Foi n’est-elle pas l’unique preuve de toute chose ? Aucune autre, fournie par les sens ou la rai­son, ne sat­is­ferait, tu le sais d’avance, ton esprit. Dès lors, à quoi bon même chercher ?… Croire, n’est-ce pas se pro­jeter en l’objet de sa croy­ance et s’y réalis­er soi-même ? Affirme, comme tu es affir­mée : va, c’est le plus sage !… […] Alors que tu n’étais pas, hier enfin, Dieu crut bien en toi, puisque te voici, toute appelée hors du Nul par la Foi créa­trice ! Rends-Lui donc l’écho de son appel ! À toi de croire en Lui ! À ton tour de Le CRÉER en toi, de tout l’être de ta vie. Tu es ici-bas non pour chercher des «preuves», mais pour témoign­er si, par l’amour et par la foi, tu pès­es le poids du salut. […] Sara ! ton anneau de fiancée brille sur cet autel. J’aime Dieu, cela sig­ni­fie «Dieu m’aime», te dis-je !… Aime donc, et fais ce que tu voudras, ensuite ! s’est écrié saint Augustin.

[…]

 

L’Archidiacre décou­vre le saint-Chrême, l’Abbesse et les nonnes s’agenouillent.

 

L’ARCHIDIACRE, à Sara

Réponds ! acceptes-tu la Lumière, l’Espérance et la Vie ?

 

SARA, d’une voix grave, très dis­tincte et très douce

Non.

 

D’un sim­ple « NON » Sara renonce à la religion.

 

DEUXIÈME PARTIE : LE MONDE TRAGIQUE

 

Nous sommes dans la grande salle d’un château fort médié­val, au crépuscule.

Le Com­man­deur Kas­par d’Auërsperg se moque de son jeune cousin, Axël d’Auërsperg, ermite féru de sci­ences hermétiques.

 

LE COMMANDEUR

Que tu joues au Moyen Âge, — soit ! Ici, c’est fait exprès ; la chose est inno­cente, et non, même, sans quelque grandeur. Mais pouss­er le trav­es­tisse­ment jusqu’à rénover les souf­fleurs du Grand-Œuvre ! à grand ren­fort de cor­nues et de matras à tubu­lures ! rêver l’alliage du mer­cure et du soufre… ah ! je ne puis y croire encore. […] Je m’appelle la vie réelle, entends-tu ? Est-ce donc en se mon­tant l’imagination (et ceci dans des manoirs à créneaux qui n’ont plus le sens com­mun et ne représen­tent, désor­mais, que des curiosités his­toriques tolérées pour la dis­trac­tion des voyageurs), qu’on peut arriv­er à quelque chose de tan­gi­ble et de sta­ble ? Sors de ce tombeau suran­né ! Ton intel­li­gence a besoin d’air. Viens avec moi ! Je te guiderai, là-bas, à la cour, où l’intelligence n’est rien sans l’esprit de con­duite.

 

Finale­ment Axël com­prend que son cousin ne s’intéresse qu’à l’argent (et notam­ment à un tré­sor ances­tral caché). Il le tue.

 

TROISIÈME PARTIE : LE MONDE OCCULTE

 

Maître Janus, père spir­ituel d’Axël, mage entre tous les mages, entre en scène.

 

MAÎTRE JANUS

Qui peut rien con­naître, sinon ce qu’il recon­naît ? Tu crois appren­dre, tu te retrou­ves : l’univers n’est qu’un pré­texte à ce développe­ment de toute con­science. La Loi, c’est l’énergie des êtres ! c’est la Notion vive, libre, sub­stantielle, qui, dans le Sen­si­ble et l’Invisible, émeut, ani­me, immo­bilise ou trans­forme la total­ité des devenirs. — Tout en pal­pite ! — Exis­ter, c’est l’affaiblir ou la ren­forcer en soi-même et se réalis­er, en chaque pul­sa­tion, dans le résul­tat du choix accom­pli. — Tu sors de l’Immémorial. Te voici, incar­né, sous des voiles d’organisme, dans une prison de rap­ports. — Attiré par les Aimants du Désir, attract orig­inel, si tu leur cèdes, tu épais­sis les liens péné­trants qui t’enveloppent. La Sen­sa­tion que ton esprit caresse va chang­er tes nerfs en chaînes de plomb ! Et toute cette vieille Extéri­or­ité, maligne, com­pliquée, inflex­i­ble — qui te guette pour se nour­rir de la voli­tion-vive de ton entité — te sèmera bien­tôt, pous­sière pré­cieuse et con­sciente, en ses chimismes et ses con­tin­gences, avec la main déci­sive de la Mort. La Mort, c’est avoir choisi. C’est l’Impersonnel, c’est le Devenu.

[…]

 

Sache une fois pour tou­jours qu’il n’est d’autre univers pour toi que la con­cep­tion même qui s’en réflé­chit au fond de tes pen­sées […] Et tu en fais par­tie ! — Où ta lim­ite, en lui ? Où la sienne, en toi ?… C’est toi qu’il appellerait l’ «univers» s’il n’était aveu­gle et sans parole ! […] la Vérité n’est, elle-même, qu’une indé­cise con­cep­tion de l’espèce où tu pass­es et qui prête à la Total­ité les formes de son esprit. Si tu veux la pos­séder, crée-la ! comme tout le reste ! Tu n’emporteras, tu ne seras que ta créa­tion. Le monde n’aura jamais, pour toi, d’autre sens que celui que tu lui attribueras. Gran­dis-toi donc, sous ses voiles, en lui con­férant le sens sub­lime de t’en délivrer !

[…]

 

AXËL, per­du dans ses pensées

Au nom de quelle vérité l’Homme pour­rait-il con­damn­er une doc­trine, si ce n’est au nom d’une autre doc­trine, de principes aus­si dis­cuta­bles que ceux de la pre­mière ? Et, autre âge, autres principes. La Sci­ence con­state, mais n’explique pas : c’est la fille aînée des chimères : toutes les chimères sont donc, au même titre que le monde — la plus anci­enne ! — quelque chose de plus que le Néant… (Un silence, puis, brusque­ment) Ah ! que m’importe ! c’est trop som­bre ! je veux vivre ! je veux ne plus savoir ! — L’or est le hasard, voilà le mot de la Terre. — Sphères de l’Élection sacrée, puisque vous aus­si n’êtes jamais que pos­si­bles, adieu !

 

MAÎTRE JANUS

C’est à toi de ren­dre réel ce qui, sans ton vouloir, n’est que pos­si­ble. Acceptes-tu la Lumière, l’Espérance et la Vie ?

 

AXËL, après un grand silence et rel­e­vant la tête

 NON.

 

Axël désavoue l’Occultisme (les sci­ences cachées, réservées aux seuls ini­tiés) ; il renonce au côté obscur de la force.

 

QUATRIÈME PARTIE : LE MONDE SPIRITUEL

 

Où l’on a con­fir­ma­tion qu’Axël d’Auërsperg et Sara de Mau­pers sont bien appar­en­tés. Le bla­son de leurs deux familles présente une Tête-de-mort ailée, la même que celle des faire-part de décès en Bre­tagne, sym­bole de l’élévation spir­ituelle par la mort.

Nous sommes dans la galerie des sépul­tures, sous les cryptes du burg d’Auërsperg. Axël et Sara repoussent la ten­ta­tion de l’or, puis celle de l’amour terrestre.

Infin­i­ment épris l’un de l’autre, les deux âmes sœurs préfèrent en rester là — en cet instant suprême de leur Amour éclos — ou plutôt s’en échap­per immé­di­ate­ment avant le début de la fin.

 

AXËL, lev­ant la coupe de poison

Vieille Terre, je ne bâti­rai pas les palais de mes rêves sur ton sol ingrat : je ne porterai pas de flam­beau, je ne frap­perai pas d’ennemis. Puisse la race humaine, dés­abusée de ses vaines chimères, de ses vains dés­espoirs, et de tous les men­songes qui éblouis­sent les yeux faits pour s’éteindre — ne con­sen­tant plus au jeu de cette morne énigme, — oui, puisse-t-elle finir, en s’enfuyant indif­férente, à notre exem­ple, sans t’adresser même un adieu.

 

Axël et Sara boivent la coupe… les voici gisants, entrelacés, sur le sable de l’allée funéraire.

Cepen­dant, au lieu de faire revenir Maître Janus, comme prévu ini­tiale­ment, Vil­liers de l’Isle-Adam con­clut in extrem­is son poème dra­ma­tique par cette didas­calie qui change le mot de la fin :

 

… on entend, du dehors, les mur­mures éloignés du vent dans le vaste des forêts, les vibra­tions d’éveil de l’espace, la houle des plaines, le bour­don­nement de la VIE[78].

 

©Féli­cieDubois, févri­er 2020


[1] Vil­liers de l’Isle-Adam, Stéphane Mal­lar­mé (Librairie de l’Art indépen­dant, 1890).

[2] Loren­za­c­cio — Acte III scène III, Alfred de Mus­set (Revue des Deux Mon­des, 1834).

[3] Alfred de Mus­set intime, sou­venir de sa Gou­ver­nante, Madame Martel­let, alias Adèle Col­in (Librairie Félix Juven, 1906).

[4] Loren­za­c­cio, op. cit.

[5] Ibidem.

[6] Les Vil­liers de l’Isle-Adam por­tent un bla­son d’or au chef d’azur chargé d’un dex­trochère d’argent, vêtu d’hermine, mou­vant du flanc sen­estre de l’écu, et por­tant un fanon brochant sur le tout. Leurs devis­es : Va oul­tre ! et La main à l’œuvre. Cf. Les Ancêtres parisiens de Vil­liers de l’Isle-Adam, Max Prinet (Le Mer­cure de France, 1928) ; Vil­liers de l’Isle-Adam, his­to­rien de sa Mai­son, Pierre-Georges Cas­tex (in : Revue du Nord, tome 36, 1954) ; Vil­liers de l’Isle-Adam défenseur de son nom E. Drougard (in : Annales de Bre­tagne, Tome 62, 1955).

[7] Vil­liers de l’Isle-Adam, Robert du Pon­tavice de Heussey (Savine, 1893).

[8] Deux Essais de Poésie : Bal­lade et Zaïra, Vil­liers de l’Isle-Adam (Tin­ter­lin & Cie, 1858). Nota Bene : les Œuvres com­plètes de Vil­liers sont disponibles dans la col­lec­tion La Pléi­ade aux édi­tions Gal­li­mard (Édi­tion établie par Alan Raitt et Pierre-Georges Cas­tex avec la col­lab­o­ra­tion de Jean-Marie Belle­froid, deux vol­umes, 1986.) Cer­tains ouvrages — L’Ève future et Con­tes cru­els — sont égale­ment disponibles en poche (Folio classique).

[9] Pre­mières Poésies, Vil­liers de l’Isle-Adam (Scheur­ing, 1859).

[10] Isis, Auguste Vil­liers de l’Isle-Adam (Den­tu, 1862).

[11] Mon cœur mis à nu, Charles Baude­laire (Quan­tin, 1887).

[12] Richard Wag­n­er et Tannhäuser à Paris, Charles Baude­laire (Den­tu, 1861).

[13] Isis, op. cit.

[14] Génie du Chris­tian­isme, François-René de Chateaubriand (Migneret, 1802).

[15] Vil­liers de l’Isle-Adam, Stéphane Mal­lar­mé, op. cit.

[16] Ibidem.

[17] Ibid.

[18] Citant ici le Traité des Caus­es sec­on­des de l’abbé Trithème (1462–1516), maître spir­ituel de Paracelse, l’un des fon­da­teurs de la Rose-Croix.

[19] Ain­si que Mal­lar­mé orthogra­phie les mots « poëme » et « poësie » en hom­mage au nom d’Edgar Alan Poë qu’il écrit tou­jours avec un tréma.

[20] Cor­re­spon­dance com­plète — Let­tre du 16 novem­bre 1885 (Gal­li­mard, 1995).

[21] Un coup de dés jamais n’abolira le hasard, Stéphane Mal­lar­mé (Revue Cos­mopo­lis, 1897).

[22] Charles Baude­laire est mort des suites d’un AVC qui l’avait ren­du aphasique un mois précé­dant cette lettre.

[23] Cor­re­spon­dance générale, Auguste Vil­liers de l’Isle-Adam (Mer­cure de France, 1962).

[24] Sou­venir, In : Chez les pas­sants (Comp­toir d’édition, 1890).

[25] La Révolte, Auguste Vil­liers de l’Isle-Adam (Alphonse Lemerre, 1870).

[26] Let­tres de Richard et Cosi­ma Wag­n­er à Judith Gau­ti­er (Gal­li­mard, 1964).

[27] Igi­tur ou la Folie d’Elbehnon, Stéphane Mal­lar­mé (Gal­li­mard, 1925).

[28] Claire Lenoir, Auguste Vil­liers de l’Isle-Adam (Revue des Let­tres et des Arts, 1867).

[29] Hen­ri Murg­er (1822–1861), romanci­er, auteur des Scènes de la vie de Bohême (Michel Lévy, 1871).

[30] Écrit sur l’album de Madame N. de V. In : Jadis et Naguère, Paul Ver­laine (Vanier, 1884).

[31] Jour­nal, Jules et Edmond de Goncourt (Imprimerie Nationale, 1956).

[32] Le hareng saur – in : Le Cof­fret de san­tal, Charles Cros (Alphonse Lemerre, 1873).

[33] Le Livre des Masques, Remy de Gour­mont (Mer­cure de France, 1896).

[34] Jour­nal, Jules et Edmond de Goncourt (Imprimerie Nationale, 1956).

[35] Travaux entre­pris dans le cadre d’un « nou­v­el ordre moral » prôné par les ultras-con­ser­va­teurs qui espèrent encore une restau­ra­tion monarchique.

[36] D’où il con­tin­ue d’occuper la fonc­tion de « gérant » d’une feuille mondaine inti­t­ulée Paris-Plaisirs…

[37] Elën, Vil­liers de l’Isle-Adam (Imprimerie Poupart-Davyl, 1865, hors commerce).

[38] Mor­gane, Vil­liers de l’Isle-Adam (Imprimerie Guy­on Fran­cisque, 1866, hors commerce).

[39] La Révolte, Vil­liers de l’Isle-Adam (Alphonse Lemerre, 1870).

[40] Le Nou­veau Monde, Vil­liers de l’Isle-Adam (Richard et Cie, imprimeurs-édi­teurs, 1880).

[41] Dans laque­lle paraît Claire Lenoir et L’Intersigne.

[42] Tel que Vil­liers le définit lui-même dans un « Avis au lecteur ».

[43] Vil­liers de l’Isle-Adam, Stéphane Mal­lar­mé (Librairie de l’Art indépen­dant, 1890).

[44] L’Amour suprême, Vil­liers de l’Isle-Adam (Brun­hoff, 1886).

[45] Tribu­lat Bon­homet, Vil­liers de l’Isle-Adam (Tresse et Stock, 1887).

[46] His­toires inso­lites, Vil­liers de l’Isle-Adam (Quan­tin, 1888).

[47] Nou­veaux con­tes cru­els, Vil­liers de l’Isle-Adam (Librairie illus­trée, 1888).

[48] Vil­liers de l’Isle-Adam, Stéphane Mal­lar­mé, op. cit.

[49] Vil­liers de l’Isle-Adam, ibidem.

[50] Deux augures, In : Con­tes cru­els, Comte de Vil­liers de l’Isle-Adam (Cal­mann-Lévy, 1883).

[51] Le Con­vive des dernières fêtes, In : Con­tes cru­els, op. cit.

[52] L’Appareil pour l’analyse du dernier soupir, In : Con­tes cru­els, op. cit.

[53] À Rebours, Joris Karl Huys­mans (Char­p­en­tier, 1884).

[54] Cor­re­spon­dance com­plète, Stéphane Mal­lar­mé (Gal­li­mard, 1995).

[55] L’Évasion, Vil­liers de l’Isle-Adam (Tresse et Stock, 1891).

[56] Jules Destrée (1863–1936) ; homme poli­tique et écrivain belge ; min­istre des Sci­ences et des Arts, il fon­da l’Académie royale de langue et de lit­téra­ture français­es en 1920.

[57] Let­tres inédites à Jules Destrée, J.-K. Huys­mans (Gus­tave Vanwelkenhuyzen&Droz/Minard, 1967).

[58] Cor­re­spon­dance générale, Vil­liers de l’Isle-Adam (Mer­cure de France, 1962).

[59] Pub­liée en vol­ume chez Brun­hoff en 1886.

[60] Cor­re­spon­dance, Mal­lar­mé, tome III (Gal­li­mard, 1965).

[61] Pour Vil­liers, « bête » n’est pas syn­onyme « d’imbécile ». Il s’agit sim­ple­ment de quelqu’un qui n’a « pas de let­tres », un illet­tré (comme Marie Dantine).

[62] Cor­re­spon­dance générale, Vil­liers de L’Isle-Adam (Mer­cure de France, 1962).

[63] Let­tres à Méry Lau­rent, Stéphane Mal­lar­mé (Gal­li­mard, 1996).

[64] Let­tre de Huys­mans à Pon­tavice de Heussey pub­liée dans le « Sup­plé­ment lit­téraire » du Figaro le 13 mai 1893.

[65] Le livre des masques. Por­traits sym­bol­istes, glos­es et doc­u­ments sur les écrivains d’hier et d’aujourd’hui, Rémy de Gour­mont (Mer­cure de France, 1896).

[66] Son­net élé­gant com­posé en l’honneur de Vil­liers à l’occasion de son décès, Paul Ver­laine (1889).

[67] Cor­re­spon­dance, Mal­lar­mé (Gal­li­mard, 1965).

[68] Cf. Œuvres com­plètes, II (pages 1517–1518), Vil­liers de l’Isle-Adam (La Pléi­ade, Gal­li­mard, 1986).

[69] Le Vrai sens d’Axël, Émile Drougard (La Grande Revue, avril 1931).

[70] Une sec­onde édi­tion revue et aug­men­tée a paru en 1864 (Librairie philosophique de Ladrange).

[71] Célèbre « vie des saints » médié­vale com­posée par Jacques de Vor­agine (1228–1298).

[72] Le « mar­tin­isme » (de Louis-Claude de Saint-Mar­tin, 1743–1803) est un ordre maçonnico-mystico-judéo-chrétien.

[73] Vil­liers de l’Isle-Adam, Vic­tor-Émile Michelet (Librairie her­mé­tique, 1910).

[74] Jacob Boehme ou Böhme (1575–1624), philosophe alle­mand (le pre­mier, selon Hegel), héri­ti­er de la mys­tique ger­manique et de la kab­bale juive.

[75] Emmanuel Swe­den­borg (1688–1772) savant et théosophe sué­dois pour qui la tra­di­tion mys­tique est une expéri­ence intime, secrète et sans Église.

[76] Dix­it : Max Daireaux ; romanci­er, poète, jour­nal­iste. Né en 1882 à Buenos Aires (Argen­tine), mort en 1954 à Mon­tigny-sur-Loing (Seine-et-Marne).

[77] « Pour moi, c’est nég­li­gence si nous n’étudions pas ce que nous croyons comprendre. »

[78] C’est moi qui souligne.