Érik Satie 1866–1925

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Épisode 1 – La grosse peine d’Érik Satie

 

Éric Alfred Leslie Satie est né le 17 mai 1866 à Hon­fleur (rue Haute), nous revien­drons sur ce sujet. Érik Satie est mort le 1er juil­let 1925 à Paris (hôpi­tal Saint-Joseph) comme tout le monde. Il est enter­ré au cimetière com­mu­nal d’Arcueil (94110). Passons.

 

Crin-Crin

 

Lon­dres, 19 juil­let 1865 : Jules Alfred Satie, courtier mar­itime à Hon­fleur, et Jane Leslie Anton, gou­ver­nante anglaise d’origine écos­saise, s’unissent par les liens du mariage dans une église angli­cane. L’événement est mal accueil­li par la mère d’Alfred, Eulalie Satie, catholique pra­ti­quante et volon­tiers anglo­phobe. Lorsque le cou­ple s’installe chez les par­ents d’Alfred (rue Haute), Eulalie déclare la guerre à sa bru venue d’Angleterre.

 

Hon­fleur, 17 mai 1866 : Jane Anton-Satie donne nais­sance à son pre­mier enfant, Éric Alfred Leslie. Elle se bat pen­dant plusieurs mois con­tre sa belle-mère pour que le nou­veau-né soit bap­tisé sous le rite de l’Église angli­cane. Suiv­ront trois autres petits angli­cans, sous­traits à l’Église catholique + apos­tolique + romaine — et à Eulalie : Olga (1868–1948) & Con­rad (1869–1938) & Diane (1871–1872).

 

En 1871, au lende­main du con­flit Fran­co-Prussien et de la Com­mune de Paris, fatigué des guer­res de reli­gion atra­bi­laires menées par son épouse et sa mère — chaque jour que Dieu fait —, Alfred Satie décide de sépar­er les bel­ligérantes. Il vend sa charge de courtier mar­itime et emmène femme & enfants à Paris.

Bilingue français/anglais, Alfred sera tra­duc­teur & libraire (le jour), com­pos­i­teur & édi­teur de musique légère (la nuit).

Par­ti­tion de Satie père (1883), D.R.

 

1872 : annus hor­ri­bilis. Le 27 avril, Diane, la ben­jamine de la fratrie Satie, meurt subite­ment à l’âge d’un an et demi. Six mois plus tard, le 27 octo­bre, Jane, la mère, suc­combe à une crise car­diaque à l’âge de trente-qua­tre ans. Le père, Alfred, se retrou­ve veuf à trente ans. Il con­fie ses enfants à sa famille et part à l’étranger.

Olga, qua­tre ans, est accueil­lie par un grand-oncle, mon­sieur Fortin, au Havre.

Con­rad, trois ans, retourne chez ses grands-par­ents pater­nels à Hon­fleur, rue Haute.[1]

Éric, lui aus­si, revient au pays natal … cepen­dant, à six ans, Eulalie con­sid­ère qu’il est assez grand pour être mis en pen­sion. Avant l’inscription au col­lège, le petit garçon devra abjur­er la reli­gion angli­cane de sa maman et recevra, aux côtés de Con­rad et Olga, le bap­tême catholique en l’église Sainte-Cather­ine, paroisse des Satie, con­stru­ite au XVème siè­cle pour célébr­er la fin de la Guerre de Cent Ans et le départ des Anglais.

 

Por­trait d’Éric Satie en uni­forme de col­légien, D.R.

 

L’enfant portera l’uniforme du col­légien — le pre­mier de tous ses cos­tumes —, de six à douze ans. Et cela lui fit grosse peine.[2]

Éric n’a qu’un ami, son oncle Adrien Satie, surnom­mé Sea Bird, oiseau des mers intem­pérant qui l’emmène au théâtre et lui apprend à boire. Mon oncle — ain­si que tous les braves mil­i­taires — buvait avec une sur­prenante abon­dance tout en racon­tant force his­toires dont le sel lui grat­tait le gosier et le pous­sait à lever le coude sans arrêt.e‑t-elle[3].

Éric — rebap­tisé « Crin-Crin », ceci explique cela — s’intéresse à la musique.

Afin de le sous­traire aux poi­sons des cafés con­certs, azur & mar­itimes, grand-mère Eulalie inscrit son petit-fils aux leçons de Gus­tave Vinot, organ­iste & Maître de Chapelle en l’église Saint-Léonard, ancien élève de l’école Nie­der­mey­er, qui lui apprend — ça lui appren­dra — l’art du plain-chant. Chant monodique religieux, chant gré­gorien … le verbe de l’antique Église, l’âme du Moyen-Âge.[4]

1878 : annus hor­ri­bilis /bis. Maître Vinot quitte le joli petit port de la jolie petite ville d’Honfleur (départe­ment du Cal­va­dos, Nor­mandie) pour un nou­veau poste à Lyon, du jour au lende­main, sans prévenir ses élèves. L’oncle Sea Bird ne répond plus à l’appel (sinon du grand large …) Et, le 14 sep­tem­bre, grand-mère Eulalie meurt d’hydrocution sur la plage de Vasouy, à qua­tre kilo­mètres au sud de la rue Haute.

Éric Satie a douze ans et il est seul au monde.

 

Eugène Boudin « Les Jetées du Havre par gros temps » (1895)

 

Après sept ans de voy­ages à l’étranger, Alfred Satie est de retour à Paris.

Le 21 jan­vi­er 1879, il épouse en sec­on­des noces Eugénie Bar­netsche — pianiste & com­positrice de salon —, récupère ses trois enfants — Éric, Con­rad & Olga —, et loue un apparte­ment rue de Con­stan­tino­ple, dans le huitième arrondissement.

 

Crin-Crin aime la musique ?

Sa belle-mère (qu’il déteste) en fera un musi­cien bien installé.

Non.

 

Eugénie inscrit Éric au Con­ser­va­toire Nation­al Supérieur où il met­tra un point d’honneur à s’ennuyer comme un rat mort.

 

Monsieur-le-Pauvre

 

En sep­tem­bre 1884, Érik Satie, dix-huit ans, orthogra­phie son prénom avec un « k » (en hom­mage à ses ancêtres Vikings, dit-il) pour sign­er sa pre­mière com­po­si­tion : Alle­gro, une valse inspirée d’une chan­son pop­u­laire (J’irai revoir ma Nor­mandie ©Frédéric Bérat).

Érik Satie lit Baude­laire & Ver­laine & Rim­baud & Mal­lar­mé + les Con­tes d’Andersen + Gus­tave Flaubert. Il écoute Bach + Chopin + les vedettes du café-con­cert.[5]

Ses nour­ri­t­ures ter­restres sont d’une var­iété qui déplait ; la chan­son de cabaret y côtoie le plain-chant médié­val, c’est orig­i­nal. Satie est tout sauf un sentimental.

 

L’enseignement académique du Con­ser­va­toire l’horripile, l’autoritarisme niaiseux de sa belle-mère l’insupporte … à l’automne 1886, Érik Satie quitte Paris pour Arras où il intè­gre la 33e divi­sion d’infanterie.

Là, il s’engage pour trois ans. Cepen­dant, décidé­ment, Érik Satie ne sup­porte ni l’académisme, ni l’autorité, ni la hiérar­chie. Cinq mois plus tard, il s’expose torse nu au froid glacial d’une nuit d’hiver septen­tri­onale. La pneu­monie qu’il con­tracte est si grave qu’on le libère de ses oblig­a­tions militaires.

Érik Satie est réfor­mé en avril 1887 et retourne à Paris.

 

Mar­cellin Des­boutin, deux por­traits d’Érik Satie dits « avant & après » (1893)

 

Le jeune homme ne ren­tre pas dans sa famille. Laque­lle ? Chez lui. Où ça ?

Au hasard de ses déam­bu­la­tions, Érik le Viking ren­con­tre le cata­lan José Patri­cio Con­t­a­mine de Latour (« poète » & « descen­dant de Napoléon »), avec lequel il noue une rela­tion d’amitié large­ment arrosée.

 

Érik Satie com­pose les qua­tre Ogives pour piano, inspirées par l’architecture médié­vale de Notre-Dame-de-Paris ; puis les trois Sara­ban­des (tou­jours pour piano), avec lesquelles il inau­gure la forme en mosaïque — sa mar­que de fabrique.

 

La brièveté des pièces musi­cales d’Érik Satie exprime une volon­té de resser­re­ment et de con­cen­tra­tion — écrit Vladimir Jankélévitch () Sans doute la réti­cence doit-elle être con­sid­érée comme un silence priv­ilégié (…) une manière d’étrangler l’éloquence, une forme de la pudeur humaine devant l’indicible.[6]

 

Érik Satie entrevoit l’idée-germe, inutile de dévelop­per. Le papil­lon sera mort demain.

Un jour, il a volé au-dessus du jardin et Satie s’en souvient.

 

 

En décem­bre 1887, Érik Satie pos­tule au titre de pianiste du plus fameux cabaret de Mont­martre : LE Chat Noir. Il se présente au directeur sous un néol­o­gisme de son cru :

« Érik Satie, gymnopédiste.

— Une bien belle pro­fes­sion ! » réplique Rodolphe Salis, ravi par sa nou­velle recrue.

Oui.

« Ful­canel­li » un mys­térieux alchimiste au pseu­do­nyme aux petits oignons, témoigne pour les siè­cles des siè­cles (con­tribuant ain­si large­ment à la renom­mée du cabaret mont­martrois) : Beau­coup d’entre nous se sou­vi­en­nent du fameux Chat Noir, qui eut tant de vogue sous la tutelle de Rodolphe Salis ; mais com­bi­en savent quel cen­tre ésotérique et poli­tique s’y dis­sim­u­lait, quelle maçon­ner­ie inter­na­tionale se cachait der­rière l’enseigne du cabaret artis­tique ? D’un côté le tal­ent d’une jeunesse fer­vente, idéal­iste, faite d’esthètes en quête de gloire, insou­ciante, aveu­gle, inca­pable de sus­pi­cion ; de l’autre, les con­fi­dences d’une société mys­térieuse mêlées à l’obscure diplo­matie, tableau à dou­ble face exposé à des­sein dans un cadre moyenâgeux.[7]

Au Chat Noir, Érik Satie ren­con­tre Vil­liers de l’Isle-Adam (sans doute trop wag­nérien à son goût /Cf. La Série Vil­liers) ; Paul Ver­laine et Alphonse Allais (Cf. Alphonse Allais).

 

Sous le ciel hon­fleu­rais flotte la Fantaisie,

Cette muse un peu folle

Aux séduisants attraits,

Et comme elle inspire l’humour

D’Alphonse Allais,

En musique on lui doit les dons

D’Érik Satie… [8]

 

Érik Satie loue une cham­bre sur la butte Mont­martre (6 rue Cor­tot), à quelques mètres de l’atelier de Suzanne Val­adon. Il porte à présent le cos­tume de l’artiste bohème — mélange de pèlerin, de punk-à-chien et de sac­ristain —, qui lui vaut le surnom de « Monsieur-le-Pauvre ».

 

San­ti­a­go Rusiñol « Érik Satie dans son logis de Mont­martre » (1891)

 

En 1888, Érik Satie com­pose les trois Gymnopédies pour piano.

L’étymologie de « Gymnopédie » n’a pas bonne presse aujourd’hui.

À l’époque dite Belle (1889–1914), le fait de célébr­er des corps ado­les­cents nus et dansants dans la lumière crue du jour, ros­es de pudeur, sub­li­mait un sen­ti­ment vertueux, celui de la « pureté », syn­onyme « d’innocence » — inaudi­ble à présent.

 

 

Du 6 mai au 31 octo­bre 1889, l’Exposition uni­verselle (dix­ième du nom, la qua­trième organ­isée en France) se tient à Paris du Champ de Mars au Tro­cadéro, en pas­sant par les Invalides et la colline de Chaillot.

Une quar­an­taine de pays invités & des mil­lions de vis­i­teurs célèbrent le cen­te­naire de la Révo­lu­tion française autour d’un mon­u­ment aus­si grandiose que pro­vi­soire, croit-on, con­stru­it pour l’occasion : la Tour Eiffel.

Le fan­tasme d’un Bon­heur uni­versel par le Pro­grès uni­versel (sci­en­tifique & tech­nologique) com­mence ici.

Le monde entier est à Paris.

Les pein­tres se pas­sion­nent pour les estam­pes japon­ais­es et les musi­ciens explorent le mode pen­ta­tonique.[9]

 

Hen­ri Riv­ière « Trente-six vues de la Tour Eif­fel » (1902)

 

En 1889, Érik Satie com­pose les pre­mières Gnossi­ennes.

Le terme « gnossien » (du grec gnô­sis : con­nais­sance ; la Gnose étant dev­enue, au fil des siè­cles, « La Con­nais­sance Suprême de tous les Mys­tères ») est un néol­o­gisme inven­té par Satie. Celui-ci aban­donne la ter­mi­nolo­gie musi­cale en usage pour indi­quer, sur ses par­ti­tions, d’étranges didascalies :

Gnossi­enne n°1 : Très luisant ; Ques­tion­nez ; Du bout de la pen­sée ; Pos­tulez en vous-même ; Pas à pas ; Sur la langue / Gnossi­enne n°2 : Avec éton­nement ; Ne sortez pas ; Dans une grande bon­té ; Plus intime­ment ; Avec une légère intim­ité ; Sans orgueil / Gnossi­enne n°3 : Con­seillez vous soigneuse­ment ; Munis­sez vous de clair­voy­ance ; Seul pen­dant un instant ; De manière à obtenir un creux ; Très per­du ; Portez cela plus loin ; Ouvrez la tête ; Enfouis­sez le son.

 

L’humour de Satie est une oblique pudeur qui s’exprime indi­recte­ment, sec­ondaire­ment, ironique­ment, écrit Vladimir Jankélévitch, notre maître à tous (je par­le pour moi)[10]. La mar­que de la pudeur n’est pas seule­ment de dire autre chose, mais aus­si et surtout d’en dire moins. (…) l’esprit de litote est celui de l’homme non plus secret, mais dis­cret et qui, rép­ri­mant en lui-même la furie expres­sive de l’appassionato et du dis­per­a­to, reste con­stam­ment en retrait par rap­port à l’émotion.

 

Pour Vladimir Jankélévitch : le temps gnossien, c’est le temps immo­bile.

Oui.

 

Le philosophe jouait volon­tiers au piano les mélodies d’Érik Satie — un musi­cien du petit matin, dis­ait-il. Son ami, le pianiste Jean-Joël Bar­bi­er, évo­quait quant à lui une musique mys­térieuse qui fris­sonne au bord du vide.[11]

 

 

En 1891, Érik Satie est pianiste à l’Auberge du Clou[12] où il se lie à Claude Debussy.

Pas­sons. Nous revien­drons sur ce sujet.

 

Érik & Claude fréquentent la Librairie de l’Art Indépen­dant[13] où Satie fait la con­nais­sance de l’autoproclamé Sâr Joséphin Péladan[14].

 

Por­trait de Joséphin Péladan, D.R.

 

Joseph-Aimé Péladan (1859–1918), écrivain & occultiste, est un illu­miné mondain comme il en fleu­rit tant à l’époque dite Belle.

Sous cou­vert de réanimer l’antique con­frérie de la Rose-Croix[15]  — apparue à la fin du Moyen-Âge en Europe occi­den­tale, la société secrète de la Rose-Croix (pre­mière du nom) est un mélange d’ésotérisme gnos­tique et de mys­ti­cisme chré­tien —, Péladan lance une nou­velle mar­que : L’Ordre de la Rose + Croix du Tem­ple et du Graal© dont la mis­sion s’organise en Salons dédiés à l’Art-Dieu, avec les chefs‑d’œuvre pour dogmes et pour saints les génies.[16]

 

Le pre­mier (des six) Salon de la Rose + Croix du Tem­ple et du Graal ©Joséphin Péladan a lieu galerie Durand-Ruel[17], rue Laf­fitte, du 10 mars au 10 avril 1892.

Une soix­an­taine d’artistes sont exposés, dont les pein­tres belges Fer­nand Khnopff (1858–1921) & Jean Dev­ille (1867–1953) + le fran­co-suisse Félix Val­lot­ton (1865–1925).

Financé par le comte Antoine de La Rochefou­cauld, c’est l’événement cul­turel de l’année (selon Le Figaro.)

Le soir de l’inauguration, sous des Son­ner­ies pour trompettes d’Érik Satie, le Sâr Péladan accueille en grande pompe, s’il vous plait, le Tout-Paris fin de siè­cle ent­hou­si­aste ou railleur : Paul Ver­laine, Stéphane Mal­lar­mé, Émile Zola, Pierre Puvis de Cha­vannes, Gus­tave More­au, Octave Mir­beau, le duc & la duchesse de Noailles…

C’est un immense succès.

 

Nom­mé « Maître de chapelle de la Rose + Croix du Tem­ple et du Graal » par son nou­v­el ami Joséphin, Érik com­pose un Leit­mo­tiv + Le Fils des étoiles.

 

Puis, soudain, le 14 août suiv­ant, Satie rompt avec Péladan dans une let­tre ouverte au plus chic des jour­naux parisiens (un quo­ti­di­en de huit pages, fondé en 1879) : LE Gil-Blas.[18]

 

Mon­sieur le Rédacteur,

Suis fort sur­pris que Moy, pau­vre homme qui n’ay d’autres pen­sées que dedans mon Art, sois tou­jours pour­suivi avec le titre d’initiateur musi­cal des dis­ci­ples de mon­sieur Joséphin Péladan.

Cela me fait grand peine et désagré­ment. Car sy dois être l’élève de quiconque, croys pour­voir dire que ce n’est de nul autre que Moy…

(…)

… ce bon mon­sieur Joséphin Péladan, pour lequel ay grand respect et déférence, n’a jamais eu aucune autorité sur l’indépendance de mon Esthé­tique ; se trou­ve vis-à-vis de moy, non mon maître mais mon col­lab­o­ra­teur, ain­si et de même que mes vieux amis messieurs Con­t­a­mine de Latour et Albert Trinchant.

 

Une fois encore, Érik Satie affirme sa lib­erté — rad­i­cale, jusqu’à la mau­vaise foi ; infinie jusqu’au supplice.

Il ne veut être asso­cié à personne.

 

S’il se sépare du Sâr, « Ésotérik Satie » (©Alphonse Allais) n’en a pas fini avec la musique à genoux, comme il dit. Il com­pose un bal­let mys­ti­co-chré­tien sur un livret de Con­t­a­mine de Latour : Uspud. Pas­sons. Et fonde l’Église Mét­ro­pol­i­taine d’Art de Jésus Con­duc­teur. Oui.

Il en sera le seul adepte & le Grand Parcier.

L’Abbatiale occupe les dix mètres car­rés de sa cham­bre, rue Cortot.

Un petit pécule, venu de Nor­mandie, lui per­met d’éditer un bul­letin parois­sial (Le Car­tu­laire), via lequel Crin-Crin, alias Mon­sieur-le-Pau­vre, lance des anathèmes con­tre le gratin parisien (tous fro­mages con­fon­dus) : lit­téra­ture & arts & spec­ta­cles + poli­tiques & jour­nal­istes & pub­li­cistes (dont Gau­thi­er-Vil­lars dit Willy) + le Con­ser­va­toire & l’Académie …

 

« Papi­er à let­tres » d’Érik Satie

 

Le 27 octo­bre 1892, Claude Debussy lui dédi­cace ses Cinq poèmes de Baude­laire : Pour Érik Satie, musi­cien doux et médié­val, égaré dans ce siè­cle pour la joie de son bien ami­cal Claude Debussy.

 

Épisode 2 – Érik Satie, phonométrographe

 

En 1893, Érik Satie (vingt-sept ans) est amoureux de Suzanne Valadon.

 

Érik Satie « Por­trait de Suzanne Val­adon » (1893)

 

En 1925, à la mort du com­pos­i­teur, dans le caphar­naüm de sa cham­bre, par­mi les piles de papiers cal­ligraphiés d’une écri­t­ure goth­ique, on trou­vera un car­ton sur lequel Satie avait écrit rue Cor­tot, à Montmartre :

Le 14 du mois de jan­vi­er de l’an de grâce de 1893, lequel était un same­di, com­mença ma liai­son d’amour avec Suzanne Val­adon, laque­lle pris fin le mar­di 20 du mois de juin de la même année.

Le lun­di 16 du mois de jan­vi­er 1893, mon amie Suzanne Val­adon est venue pour la pre­mière fois de sa vie en cet endroit, et aus­si pour la dernière le same­di 17 de juin du même an.[19]

 

Suzanne Val­adon « Auto­por­trait » (1894)

 

Marie-Clé­men­tine Val­adon est née le 23 sep­tem­bre 1865 à Bessines-sur-Gartempe (dans le Lim­ou­sin) de père incon­nu et d’une mère lingère, veuve d’un bagnard.

Elle arrive à Paris à cinq ans, quitte l’école à sept et devient trapéziste au cirque Fer­nan­do (futur Médra­no) du boule­vard Bar­bès. Huit ans plus tard, une mau­vaise chute inter­rompt sa car­rière d’acrobate. Elle se vend au « Marché aux mod­èles » de la Place Blanche, le same­di matin.

 

Suzanne Val­adon en 1885 ©Jean Fabris

 

À dix-huit ans, celle-qui-ne‑s’appelle-pas-encore-Suzanne-Valadon donne nais­sance à un garçon prénom­mé Mau­rice que l’artiste cata­lan Miquel Utril­lo i Mor­lius recon­naî­tra des années plus tard, lui trans­met­tant la moitié seule­ment de son nom.

 

Suzanne Val­adon en 1885 ©Jean Fabris

 

Celle-qui-se-fait-appel­er-Maria pose pour Puvis de Cha­vannes + Auguste Renoir ou Hen­ri de Toulouse-Lautrec, lequel devient son ami.

Toulouse-Lautrec l’encourage à dessin­er et la rebap­tise “Suzanne”, un prénom à la mode (“Marie-Clé­men­tine” ou “Maria” font vieux jeu).

 

Toulouse-Lautrec, « Por­trait de Suzanne Val­adon » dit « Gueule de bois » (1888)

 

En 1894, Edgar Degas appuie la can­di­da­ture de Suzanne Val­adon à la nou­velle Société Nationale des Beaux-Arts où elle sera la pre­mière & seule femme à exposer.

 

Suzanne Val­adon « Por­trait d’Érik Satie » (1893)

 

Au lende­main de leur pre­mière nuit d’amour, Érik Satie la demande en mariage.

Lui préférant un riche ban­quier, Suzanne Val­adon épouse Paul Mousis — autrement dit une vie sta­ble et confortable.

 

En 1909, elle quit­tera son mari pour un ami de son fils, André Utter[20], de vingt ans son cadet. Le Trio Infer­nal — Val­adon & Utril­lo & Utter — vivra sous le même toit jusqu’à la mort de Suzanne.

 

Suzanne Val­adon « Adam et Ève » (André Utter & Suzanne Val­adon, 1909)

 

Suzanne Val­adon est morte le 7 avril 1938 à Paris, entourée de ses amis André Derain, Pablo Picas­so et Georges Braque.

Elle est enter­rée à Saint-Ouen.

Son ate­lier — 12 rue Cor­tot — abrite aujourd’hui le Musée de Mont­martre.

 

Ate­lier de Suzanne Val­adon ©Féli­cie Dubois

 

En sou­venir de son unique liai­son d’amour, Érik Satie com­pose une pièce courte pour piano devant être jouée 840 fois à la suite — le temps de souf­frir autant que son auteur, si pos­si­ble : VEXATIONS[21]

 

The Velvet Gentleman

 

En 1895, grâce à la générosité de ses amis nor­mands, les frères Le Mon­nier (Fer­nand et Louis), Érik Satie achète sept cos­tumes de velours côtelé iden­tiques de couleur fauve, avec bon­nets et pardessus assor­tis, à « La Belle Jar­dinière » (vête­ments con­fec­tion­nés et sur mesure — un des tout pre­miers grands mag­a­sins parisiens).

 

Érik Satie en vel­vet dans une guinguette, D.R.

 

En 1896, Claude Debussy (Prix de Rome en 1884, autrement dit déjà « instal­lé ») orchestre deux Gymnopédies d’Érik Satie (1 & 3) pour aider son ami à dif­fuser sa musique.

 

Mal­gré l’aide du « bon Claude » + les cours par­ti­c­uliers de piano qu’il donne aux enfants de ses amis for­tunés, Le Gen­til­homme de velours ne peut plus pay­er son loy­er, rue Cor­tot, et démé­nage au rez-de-chaussée du même immeu­ble dans une sorte de « plac­ard », dit-il.

 

En 1897, Érik Satie com­pose la dernière Gnossi­enne + les deux Pièces froides + les trois Airs à faire fuir + les trois Dans­es de Tra­vers.

 

 

L’année suiv­ante, à l’automne 1898, Érik Satie quitte son plac­ard de Mont­martre pour 15 m² à Arcueil-Cachan, au sud de Paris, dans le Val-de-Marne.

Bibi-la-purée, un proche de Rodolphe Salis, grand ami de Paul Ver­laine, vient de quit­ter sa cham­bre au 2e étage d’une mai­son ouvrière (22 rue Cauchy), dite « des Qua­tre Cheminées ».

Érik Satie s’y replie.

Il y restera vingt-six ans.

 

« Car­refour des Qua­tre Chem­inées » (vers 1900) D.R.

 

Per­son­ne n’entrera dans le logis d’Érik Satie, si ce n’est à qua­tre pattes : les chiens errants d’Arcueil-Cachan seront les seuls à mon­ter l’escalier avec lui.

 

Con­stan­tin Bran­cusi « L’Escalier de Satie, rue Cauchy » (1928)

 

En 1899, Érik Satie est pianiste — tapeur à gages, dit-il — sous l’enseigne de plusieurs cabarets mont­martrois. Il com­pose des mélodies — des rudes saloperies — pour Vin­cent Hys­pa[22] et Paulette Dar­ty.[23]

 

Tous les jours, au petit matin, il ren­tre à pied jusqu’à la rue Cauchy (une ving­taine de kilo­mètres environ.)

 

Le 19 octo­bre 1899, à Paris, Érik Satie est le témoin de Claude Debussy qui épouse Marie-Ros­alie Tex­i­er dite « Lilly ».

Érik écrit à son frère Con­rad : Si je n’avais pas Debussy pour causer des choses un peu au-dessus de ce dont causent les hommes vul­gaires, je ne vois pas com­ment je ferais pour exprimer ma pau­vre pen­sée — si je l’exprime encore.[24]

 

Le 30 avril 1902, à l’Opéra-Comique, la créa­tion de Pel­léas et Mélisande, drame lyrique en cinq actes de Claude Debussy (un opéra après Wag­n­er, et non pas d’après Wag­n­er, souligne son com­pos­i­teur), sur un livret de Mau­rice Maeter­linck[25] et sous la direc­tion d’André Mes­sager [26], révèle « le bon Claude » au monde entier.

Est-ce le suc­cès ou le génie de son « meilleur ami » qui boule­verse à ce point Érik Satie ? Il écrit à son frère, Con­rad : Plus rien à faire de ce côté-là, il faut chercher autre chose ou je suis per­du.[27]

 

Man Ray « La Poire d’Érik Satie » (1969)

 

En 1903, en réponse à ceux qui reprochent à sa musique d’être « informelle », Érik Satie com­pose Trois morceaux en forme de poire (en sept mou­ve­ments) pour piano à qua­tre mains.

Le 17 août, il écrit à Claude Debussy : Mon­sieur Érik Satie tra­vaille en ce moment à une œuvre plaisante (…) Mon­sieur Érik Satie est fou de cette nou­velle inven­tion de son esprit. Il en par­le beau­coup et en dit grand bien. Il la croit supérieure à tout ce qui a été écrit jusqu’à ce jour ; peut-être se trompe-t-il (…) Vous qui le con­nais­sez bien, dites-lui ce que vous en pensez : sûre­ment il vous écoutera mieux que quiconque, tant est portée son ami­tié pour vous.[28]

Trois morceaux en forme de poire, par Vladimir Jankélévitch et Jean-Joël Bar­bi­er (in : “Ren­dez-vous avec Vladimir Jankélévitch : Autour d’Érik Satie” — 1971) ; c’est offert de bon cœur :

 

 

Érik écrit à son frère Con­rad : Je m’ennuie à mourir de cha­grin ; tout ce que j’entreprends timide­ment rate avec une hardiesse incon­nue à ce jour.[29]

En 1904, cepen­dant, Satie com­pose le pre­mier rag­time[30]

de la musique « savante » occi­den­tale : Picadilly.

 

 

Le Bon Maître d’Arcueil

 

En l’année de grâce de 1905, à bien­tôt quar­ante ans, Érik Satie retourne à l’école, plus pré­cisé­ment à la Schola Can­to­rum.[31], dirigée par Vin­cent d’Indy[32], où il s’inscrit au cours de con­tre­point d’Albert Rous­sel[33].

Le com­pos­i­teur des Gymnopédies, des Gnossi­ennes et de Trois morceaux en forme de poire devient l’élève d’un pro­fesseur plus jeune que lui.

Il change de costume.

Doré­na­vant, Érik Satie n’apparaîtra plus qu’en scribe bureau­cra­tique (ten­dance Bartle­by ©Her­man Melville), cha­peau mel­on & faux col & parapluie.

 

Érik Satie (juil­let 1909, Stu­dio Hamelle, Arcueil) ©Robert Caby

 

Entre 1906 et 1908, Érik Satie com­pose Prélude en tapis­serie + Allons‑y Cho­chotte + Pièces froides pour un chien + Aperçus désagréables.

 

 

En 1908, Érik Satie est nom­mé « directeur du ser­vice intérieur du patron­age laïque de la mairie d’Arcueil ». Il s’occupe des enfants déshérités de la com­mune, les prom­enant tous les jeud­is, et com­pose des piécettes pour piano adap­tées à la mor­pholo­gie de leurs petites mains.[34]

 

En 1909, Mau­rice Rav­el[35] par­ticipe à la fon­da­tion de la Société Musi­cale Indépen­dante (SMI), aux côtés de Gabriel Fau­ré[36], Flo­rent Schmitt[37]), et Charles Kœch­lin[38]), qui veu­lent se démar­quer de la Société Nationale de Musique (SNM), jugée trop con­ser­va­trice (et dom­inée par César Franck[39].

L’anti-académisme proclamé d’un Érik Satie (out­sider) est mis en avant par Rav­el con­tre Debussy — lequel, soudain, n’est plus qu’un musi­cien « impres­sion­niste », autrement dit, déjà, d’hier.

Exit le prin­ci­pal adversaire.

Acces­soire­ment, Érik Satie devient « le père de la musique moderne ».

 

Érik Satie et Claude Debussy en 1910, D.R.

 

Érik Satie et Claude Debussy étaient-ils amis ?

Sans doute pas au sens de Mon­taigne et La Boétie (ten­dre liai­son réin­car­née, notam­ment, par Vil­liers de l’Isle-Adam et Stéphane Mal­lar­mé /Cf. La Série Vil­liers).

Leur rela­tion aura duré un quart de siè­cle : de 1891 à 1917, ce n’est pas rien.

Leur légende sera cousue main par Jean Cocteau dans une con­férence don­née, pour la pre­mière fois, en 1920 :

Debussy fréquen­tait alors l’auberge du Clou, mal vu des artistes de gauche, parce qu’il venait d’avoir le Prix de Rome — on l’évitait. Un soir, Debussy et Satie se trou­vent à la même table. Ils se plaisent. Satie demande à Debussy ce qu’il pré­pare. Debussy com­po­sait, comme tout le monde, une « wag­nérie ». Satie fit la gri­mace : Croyez-moi, mur­mu­ra-t-il, assez de Wag­n­er ! (…) Pas de cou­plets, pas de leit­mo­tiv — se servir d’une cer­taine atmo­sphère « Puvis de Cha­vannes » …[40]

 

Puvis de Cha­vannes « Le Bois sacré cher aux arts et aux mus­es » (1884)

 

Hors les murs, le 7 août 1909, Érik Satie est élevé au rang d’Officier par le préfet de la Seine qui lui remet les Palmes académiques pour mérite civique.

Un vin d’honneur est organ­isé en hom­mage à celui que l’on surnomme à présent « Le Bon Maître d’Arcueil ».

 

 

Nota Bene : le 31 mars 2016, le con­seil munic­i­pal de la mairie d’Arcueil s’est réu­ni avec, pour Ordre du Jour, le vote d’une sub­ven­tion spé­ciale de plusieurs mil­liers d’euros attribuée aux fes­tiv­ités du 17 mai suiv­ant mar­quant le 150e anniver­saire de la nais­sance d’Érik Satie, célébrité com­mu­nale. Un con­seiller Front Nation­al, mon­sieur Truf­faut, s’est alors écrié : « L’argent pub­lic ne doit pas servir à hon­or­er un com­pos­i­teur alcoolique mem­bre du Par­ti Com­mu­niste ! » (In : Le Parisien du 1er avril — sic.)

 

Le 16 jan­vi­er 1911, salle Gaveau — Glo­ria In Excel­sis Locus ! — Mau­rice Rav­el et le pianiste Ricar­do Viñes inter­prè­tent la troisième Gymnopédie, la deux­ième Sara­bande et un Prélude du Fils des étoiles.

Le pro­gramme présente Érik Satie comme un com­pos­i­teur qui occupe dans l’histoire de l’art con­tem­po­rain une place véri­ta­ble­ment excep­tion­nelle. En marge de son époque, cet isolé a écrit jadis quelques cour­tes pages qui sont d’un génial précurseur. Ces œuvres mal­heureuse­ment peu nom­breuses, sur­pren­nent par une pré­science du vocab­u­laire mod­erniste et par le car­ac­tère qua­si prophé­tique de cer­taines trou­vailles har­moniques.

 

Le 25 mars de la même année, salle Gaveau — Glo­ria In Excel­sis Locus /bis — Claude Debussy dirige son orches­tra­tion des Gymnopédies (1 & 3) lesquelles l’emportent en applaud­isse­ments sur ses pro­pres compositions.

Au lieu de féliciter son ami (qui n’attend que ça), Debussy est con­va­in­cu que Satie a voulu l’humilier.

De son côté, Érik écrit à son frère Con­rad : Pourquoi ne veut-il pas me laiss­er une toute petite place dans son ombre ? je n’ai que faire du soleil.[41]

 

Érik Satie con­tin­uera à venir déguster des côtelettes et des œufs, arrosés d’un petit-vin-blanc-je-ne-vous-dis-que-ça, chez Claude Debussy qui lui présen­tera, un beau jour de juin : Igor Stravin­sky[42].

Il me plut du pre­mier coup, se sou­vien­dra Igor, en dic­tant ses Mémoires. C’était une fine mouche. Il était plein d’astuce et intel­ligem­ment méchant.[43]

 

En 1912, Érik Satie com­mence à pub­li­er dans la Revue musi­cale S.I.M.[44], des extraits de ses Mémoires d’un amnésique.[45]

 

CE QUE JE SUIS (Frag­ment)

Tout le monde vous dira que je ne suis pas un musi­cien. C’est juste.

Dès le début de ma car­rière, je me suis, de suite, classé par­mi les phonométro­graphes. Mes travaux sont de la pure phonométrique. 

(…)

Du reste, j’ai plus de plaisir à mesur­er un son que j’en ai à l’entendre.

(…)

La pre­mière fois que je me servis d’un phono­scope, j’examinai un si bémol de moyenne grosseur. Je n’ai, je vous assure, jamais vu chose plus répug­nante. J’appelai mon domes­tique pour le lui faire voir.[46]

 

« Érik Satie donne un bou­quet de fleurs à Mau­rice Utril­lo » (spec­ta­cle d’ombres de Nico­las Bataille, 1993)

 

LA JOURNÉE DU MUSICIEN (Frag­ment)

L’artiste doit régler sa vie.

Voici l’horaire pré­cis de mes actes journaliers :

Mon lever : à 7h. 18 ; inspiré : de 10h. 23 à 11 h. 47. Je déje­une à 12 h. 14.

(…)

Je ne mange que des ali­ments blancs (…)

Je fais bouil­lir mon vin, que je bois froid avec du jus de fuch­sia (…)

Je respire avec soin (peu à la fois)

(…)

D’aspect très sérieux, si je ris, c’est sans le faire exprès. Je m’en excuse tou­jours et avec affabilité.

Je ne dors que d’un œil ; mon som­meil est très dur. Mon lit est rond, per­cé d’un trou pour le pas­sage de la tête. Toutes les heures, un domes­tique prend ma tem­péra­ture et m’en donne une autre.

(…)

Mon médecin m’a tou­jours dit de fumer. Il ajoute à ses con­seils : « Fumez, mon ami : sans cela, un autre fumera à votre place. »[47]

 

Érik Satie com­pose les Véri­ta­bles préludes flasques (pour un chien) + Descrip­tions automa­tiques + Embryons desséchés.

 

 

En 1913, Érik Satie ren­con­tre Georges Auric, de trente-trois ans son cadet, com­pos­i­teur & mem­bre fon­da­teur du « Groupe des Six » (nous revien­drons sur ce sujet), qui fini­ra par se brouiller avec lui, comme tout le monde, oui.

 

Mau­rice Sachs se sou­vient d’Érik Satie : Il était tout gris. Sa mod­estie cachait beau­coup d’amertume, d’horrible mis­ère, des peurs nerveuses, des haines dis­simulées. Il était sus­cep­ti­ble à l’excès, vin­di­catif, ran­cu­nier et pour­tant point méchant dans le fond.[48]

 

Les Bal­lets Russ­es créent Le Sacre du print­emps d’Igor Stravinsky.

Guil­laume Apol­li­naire pub­lie Cal­ligrammes.

Mar­cel Proust (à compte d’auteur, chez Bernard Gras­set[49], après que le man­u­scrit a été refusé au Mer­cure) : Du côté de chez Swann

 

Érik Satie com­pose Sports et Diver­tisse­ments + Trois valses dis­tin­guées du pré­cieux dégoûté (en réplique aux Valses nobles et sen­ti­men­tales de Rav­el).

Le con­cept-album Sports et Diver­tisse­ments est une com­mande du jour­nal­iste & édi­teur Lucien Vogel[50], lequel avait d’abord sol­lic­ité Igor Stravin­sky… finale­ment trop cher pour lui.

Dans la Pré­face, Érik Satie écrit : Cette pub­li­ca­tion est con­sti­tuée de deux élé­ments artis­tiques : dessin et musique. La par­tie dessin est fig­urée par des traits — des traits d’esprit ; la par­tie musi­cale est représen­tée par des points — des points noirs. Ces deux par­ties réu­nies en un seul vol­ume for­ment un tout : un album. Je con­seille de feuil­leter ce livre d’un doigt aimable et souri­ant, car c’est ici une œuvre de fan­taisie. Qu’on n’y voie pas autre chose.[51]

 

« Water-Chute », par­ti­tion d’Érik Satie & aquarelle de Charles Mar­tin (1914)

 

Le 28 juin de l’an de grâce de 1914, l’Archiduc François-Fer­di­nand d’Autriche, héri­ti­er de l’Empire aus­tro-hon­grois, et son épouse Sophie Chotek, duchesse de Hohen­berg, sont assas­s­inés à Sara­je­vo. Les jeux d’alliances diplo­ma­tiques entrainent l’Europe dans la Pre­mière Guerre indus­trielle Mondiale.

Au lende­main de l’assassinat du paci­fiste Jean Jau­rès (le 31 juil­let), Érik Satie adhère à la SFIO (Sec­tion Française de l’Internationale Ouvrière).

Le 2 août 1914, la Mobil­i­sa­tion Générale est décrétée en France.

 

Trop vieux pour être appelé sous les dra­peaux (48 ans), Érik Satie s’engage dans les Mil­ices Social­istes d’Arcueil — rapi­de­ment dis­soutes pour tapage nocturne.

 

La Pre­mière Guerre indus­trielle Mon­di­ale va dur­er qua­tre ans ; elle sera accom­pa­g­née, puis suiv­ie, par la Grippe dite, à tort, « espagnole ».

Nous revien­drons sur ce sujet.

(Cf. La Série Guil­laume Apol­li­naire)

 

En l’an de grâce de 1915, Érik Satie ren­con­tre Jean Cocteau par l’entremise de Valen­tine Gross — pein­tre & illus­tra­trice, épouse de Jean Hugo, lui-même artiste & arrière-petit-fils du grand Victor.

 

Épisode 3 – Érik Satie, icône Dada

En 1916, Jean Cocteau pro­pose à Érik Satie de col­la­bor­er au bal­let Parade qu’il pré­pare pour les Bal­lets Russes.

La même année, la princesse de Poli­gnac lui com­mande une œuvre sym­phonique. Ce sera Socrate, drame en trois actes, com­posé sur des Dia­logues de Pla­ton (traduits par Vic­tor Cousin).

 

La litote prou­ve déjà l’indépendance de la qual­ité par rap­port à la quan­tité, et man­i­feste para­doxale­ment l’efficacité expres­sive d’une expres­sion con­tenue, écrit Vladimir Jankélévitch.

La fin du Socrate de Satie atteste la force con­va­in­cante de la réti­cence, la force d’une émo­tion sous­traite[52]

Oui.

 

 

Début 1917, Debussy, alité, tor­turé par le can­cer qui va l’emporter l’année suiv­ante, n’en finit pas de railler la posi­tion de PRÉCURSEUR (l’adjectif reste coincé dans son gosier) acquise par Satie grâce au sto­ry­telling de Rav­el & Cocteau.

Exas­péré par la con­de­scen­dance de son ami, igno­rant ou indif­férent (Satie savait-il que Debussy était grave­ment malade ?), Érik rompt toute rela­tion avec lui : doré­na­vant, il est préférable que « le précurseur » reste désor­mais chez lui — au loin, écrit-il à la sec­onde femme de Claude, Emma.[53]

Érik Satie et Claude Debussy ne se rever­ront plus.

 

Georges Braque « Nature morte à la par­ti­tion de Satie » (1921)

 

Le 18 mai 1917, la créa­tion de Parade[54] par les Bal­lets Russ­es de Serge de Diaghilev[55], au Théâtre du Châtelet — tex­to de Jean Cocteau + visuels de Pablo Picas­so + mécaniques grinçantes d’Érik Satie — est un suc­cès de scan­dale.[56]

Guil­laume Apol­li­naire, qui rédi­ge le pro­gramme, par­le de « sur-réalisme ».

 (Cf. La Série Guil­laume Apol­li­naire)

 

Le 11 novem­bre 1918, la France et l’Allemagne sig­nent une trêve.

Mau­rice Sachs écrit : Paris pavoisa pen­dant dix ans après l’Armistice. Je me sou­viens de cette décade comme d’un per­pétuel 14 Juil­let. Ce fut un âge tri­col­ore.[57]

Jean Cocteau pub­lie le Coq et l’Arlequin[58], un pam­phlet dans lequel il ren­voie dos à dos les « wag­nériens » et les « impres­sion­nistes ». Une seule issue selon lui : Satie.

 

Por­trait d’Érik Satie par Con­stan­tin Bran­cusi (pho­to dédi­cacée à Dar­ius Mil­haud, 1922)

 

En 1919, Érik Satie a de nou­veaux amis : Con­stan­tin Bran­cusi, Mar­cel Duchamp et Fran­cis Picabia.

Mar­cel Proust obtient le Prix Goncourt pour À l’ombre des jeunes filles en fleurs.[59]

 

Dessin de Jean Oberlé

 

En 1920, Jean Cocteau — pub­lic­i­taire de génie, notre Andy Warhol nation­al — lance le « Groupe des Six »[60], un col­lec­tif de com­pos­i­teurs soi-dis­ant sous l’égide de Satie : Louis Durey (1888–1979) + Arthur Honeg­ger (1892–1955) + Dar­ius Mil­haud (1892–1974) + Ger­maine Taille­ferre (1892–1983) + Georges Auric (1895–1983) + Fran­cis Poulenc (1899–1963).

Érik Satie com­pose une Musique d’Ameublement (quelques mesures d’Ambroise Thomas[61] et de Camille Saint-Saëns[62] répétées en boucle par des musi­ciens éparpil­lés dans le pub­lic invité à ne pas écouter) qui sera jouée pour la pre­mière fois le 8 mars 1920, à la Galerie Bar­bazanges du Faubourg Saint-Hon­oré (appar­tenant à Paul Poiret), pen­dant les entractes d’une pièce en un acte de Max Jacob : Ruf­fi­an tou­jours, truand jamais (restée inédite, c’est un exploit que son titre, qui n’en demandait pas tant, nous soit parvenu…)

Au mois de juin 1920, Érik Satie com­pose une Élégie à la mémoire de Claude Debussy inspirée par le fameux vers de Lamar­tine : Un seul être vous manque et tout est dépeuplé …

La même année, Dar­ius Mil­haud crée Le Bœuf sur le toit, un bal­let-pan­tomime qui devien­dra bien­tôt, sous la houlette de Jean Cocteau, un bar à la mode, rue Boissy‑d’Anglas — où l’on écoute aus­si bien du jazz que Stravin­sky, Satie ou Schön­berg en côtoy­ant Pablo Picas­so, Gabrielle Chanel ou Blaise Cen­drars.[63]

Dans la foulée, on passe de Mont­martre à Montparnasse.

 

En 1921, Érik Satie adhère au Par­ti Communiste.

Il pub­lie le pre­mier volet des Cahiers d’un Mam­mifère aux édi­tions Dynamo de Liège.[64]

 

Cahiers d’un Mam­mifère (Hol­lande N°4/10)

 

Si je suis Français ? …

Bien sûr … Pourquoi voulez-vous qu’un homme de mon âge ne soit pas Français ?[65]

 

En 1923, qua­tre jeunes com­pos­i­teurs — Hen­ri Cli­quet-Pleyel (1894–1963) + Roger Désormière (1898–1963) + Hen­ri Sauguet (1901–1989) + Maxime Jacob (1906–1977) — ren­dent hom­mage à Érik Satie en prenant le nom d’École d’Arcueil.

 

On a apposé une plaque rue du Pain, à Saint-Ger­main, sur la mai­son de Debussy — écrit Mau­rice Sachs dans son jour­nal en 1923. En lisant dans les jour­naux le réc­it de cette mat­inée, je me dis­ais : « Et Satie ? » Recon­naî­tra-t-on jamais Satie un jour ? (…)

C’est inouï, on ne voit plus que des autos sur l’avenue de l’Opéra. Il ne reste pas un seul cheval, pas un fiacre.[66]

 

Érik Satie pub­lie un ultime « frag­ment » des Mémoires d’un amnésique dans la revue Les Feuilles libres.[67]

 

RECOINS DE MA VIE

Pour ce qui est de moi, je suis né à Hon­fleur (Cal­va­dos), arrondisse­ment de Pont‑L’Évêque, le 17 mai 1866 … Me voici donc quin­quagé­naire, ce qui est un titre comme un autre.

Hon­fleur est une petite ville qu’arrosent ensem­ble — et de con­nivence — les flots poé­tiques de la Seine et ceux tumultueux de la Manche. Ses habi­tants (Hon­fleu­rais) sont très polis et très aimables.

Oui.

Je restai dans cette cité jusqu’à l’âge de douze ans (1878) et vins me fix­er à Paris … J’eus une enfance et une ado­les­cence quel­con­ques — sans traits dignes d’être relatés dans de sérieux écrits. Aus­si, n’en par­lerai-je pas.

Pas­sons. Je reviendrai sur ce sujet.

(…)

Après une assez courte ado­les­cence, je devins un jeune homme ordi­naire­ment potable, pas plus. C’est à ce moment de ma vie que je com­mençai à penser et à écrire musi­cale­ment. Oui.

Fâcheuse idée !… très fâcheuse idée !…

En effet, car je ne tar­dai pas à faire usage d’une orig­i­nal­ité (orig­i­nale) déplaisante, hors de pro­pos, antifrançaise, con­tre nature, etc.

Alors, la vie fut pour moi telle­ment inten­able, je réso­lus de me retir­er dans mes ter­res et de pass­er mes jours dans une tour d’ivoire — ou d’un autre métal (métallique).

C’est ain­si que je pris goût pour la mis­an­thropie ; que je cul­ti­vai l’hypocondrie ; et que je fus le plus mélan­col­ique (de plomb) des humains. Je fai­sais peine à voir — même avec un lorgnon en or con­trôlé. Oui.

Et tout cela m’est advenu par la faute de la Musique. Cet art m’a fait plus de mal que de bien, lui : il m’a brouil­lé avec nom­bre de gens de qual­ité, fort hon­or­ables, plus que dis­tin­gués, très « comme il faut ».

Pas­sons. Je reviendrai sur ce sujet.

 

 

En 1924, Érik Satie par­ticipe au film de René Clair — Entr’acte — pro­jeté à l’entracte du bal­let Relâche[68] dit « instan­ta­néiste » (rien avant, rien après et, entre les deux : mys­tère) de Fran­cis Picabia.

 

Érik Satie devient une icône DADA (plus tard récupérée par André Bre­ton qui détes­tait Tris­tan Tzara).

 

Qu’est-ce que Dada ?

Une entre­prise de démo­li­tion, selon André Gide.[69]

Dada, c’est tout, ce n’est rien, c’est oui en russe, c’est quelque chose en roumain, c’est quelque chose en presque toutes les langues et qui n’a pas son dada, c’est l’absurde absolu, l’absolu du fou, du oui, du non, c’est l’art pour l’art, c’est Dada, selon Mau­rice Sachs.[70]

 

Érik Satie a de nou­veau de nou­veaux amis ; Gertrude Stein[71] est folle de lui ; elle lui présente le pein­tre Kris­t­ian Ton­ny et le com­pos­i­teur Vir­gil Thom­son, tous deux proches de Paul Bowles. (Cf. La Série Jane Bowles).

 

Pho­tos extraites du film “Entr’Acte” réal­isé par René Clair, où l’on voit Satie et Picabia

 

Après la pre­mière de Relâche, Satie tom­ba grave­ment malade — se sou­vient Dar­ius Mil­haud (…) Il prit alors l’habitude de venir tous les jours à Paris déje­u­nant à tour de rôle chez Derain, chez Braque ou chez moi. (…) Lorsque le doc­teur exigea qu’il fût trans­porté à l’hôpital, le comte de Beau­mont[72], qui avait fondé une salle à Saint-Joseph, nous facili­ta les démarch­es et lui obtint une cham­bre privée. Satie chargea Madeleine[73] de faire sa valise ; comme elle le savait capa­ble d’inexplicables colères si on ne plaçait pas exacte­ment les objets dans la posi­tion qu’il désir­ait, elle pria Braque de se met­tre entre eux deux afin que Satie ne pût con­trôler com­ment elle con­fec­tion­nait sa valise…[74]

 

Les « car­tons » d’Érik Satie (com­po)

 

Le 1er juil­let 1925, Érik Satie meurt à l’hôpital Saint-Joseph d’une cir­rhose du foie — comme il se doit.

 

Il n’a pas eu d’enfant, mais sa postérité est immense.

Oui.

 

Satie est un état d’esprit.

 

Érik Satie « Auto­por­trait avec une pen­sée » (dessin, vers 1916)

 

 

©Féli­cieDubois, sep­tem­bre 2020


[1] Cf. Maisons Satie à Hon­fleur.

[2] Érik Satie, Écrits ; réu­nis par Ornel­la Vol­ta (Champ libre, 1977).

[3] Cité par Bruno Gin­er, Érik Satie (bleu nuit édi­teur, col­lec­tion hori­zons, 2016).

[4] Joris-Karl Huys­mans, À Rebours (Char­p­en­tier et Cie, 1884).

[5] Le café-con­cert est l’ancêtre du Music-hall — lequel, comme son nom l’indique, se don­nera dans d’immense salle de spec­ta­cle (« à l’américaine ») et non plus dans de petits cabarets.

[6] Vladimir Jankélévitch, La musique et l’ineffable (Seuil, 1983).

[7] Ful­canel­li, Les Demeures philosophales (Jean-Jacques Pau­vert, 1965) — cité par Romar­ic Ger­gorin, Érik Satie (Actes Sud / Clas­si­ca, 2016).

[8] Poème de Jean Ques­nel — cité par Ornel­la Vol­ta, Érik Satie, hon­fleu­rais (Édi­tions de La Lieu­tenance, col­lec­tion Les Car­nets d’Honfleur, 2007).

[9] Le mode pen­ta­tonique (fréquent en Asie) est une échelle musi­cale con­sti­tuée, comme son nom l’indique, de cinq degrés. Il se dis­tingue du mode usuel (dans la musique occi­den­tale) dit hep­ta­tonique (échelle de sept notes : do ré mi fa sol la si).

[10] Vladimir Jankélévitch, La musique et l’ineffable (Seuil, 1983).

[11] Jean-Joël Bar­bi­er, Au piano avec Érik Satie (Édi­tions Séguier, 2006).

[12] Inau­gurée en décem­bre 1883, L’Auberge du Clou (30 avenue Tru­daine) accep­tait que les artistes-pein­tres payent leur repas en accrochant une toile au clou.

[13] La Librairie de l’Art Indépen­dant (rue de la Chaussée-d’An­tin) a été fondée par un ancien Com­mu­nard, proche des Sym­bol­istes, Hen­ri-Edmond Limet dit Edmond Bail­ly (1850–1916). L’en­seigne, dess­inée par Féli­cien Rops, représente une sirène ailée, accom­pa­g­née de la devise : NON HIC PISCIS MONIUM (« Ce n’est pas là le pois­son de tous »).

[14] SAR sig­ni­fie : « Son Altesse Royale » (plus royale encore avec un accent cir­con­flexe couron­nant le « â »). Sar est aus­si un nom désig­nant divers­es espèces de pois­sons proches de la dorade (dont cer­taines sont « royales »). Le Sar est égale­ment une langue par­lée au Tchad. Enfin, en hébreu, Sar est syn­onyme de « prince, chef, souverain ».

[15] Ici : je résume ; les spé­cial­istes iront voir ailleurs.

[16] Salon de la Rose + Croix : Règle et moni­toire (Den­tu, 1891).

[17] La galerie Durand-Ruel est LA galerie des Impressionistes.

[18] Jour­nal dans lequel ont écrit, jusqu’à l’été 1914 : Jules Bar­bey d’Aurevilly, Tris­tan Bernard, Léon Bloy, Georges Courte­line, Hec­tor Mal­ot, Guy de Mau­pas­sant, Octave Mir­beau, Jules Renard, Auguste Vil­liers de l’Isle-Adam, Émile Zola…

[19] Cité par Ornel­la Vol­ta dans L’Hymagier d’Érik Satie (édi­tions Fran­cis Van de Velde / avec le con­cours du Théâtre Nation­al de l’Opéra de Paris, 1979).

[20] André Utter (1866–1948) pein­tre français.

[21] Vex­a­tions sera créé en 1963 par John Cage, accom­pa­g­né d’une douzaine d’interprètes (dont John Cale, co-fon­da­teur avec Lou Reed, l’année suiv­ante, du Vel­vet Under­ground) qui se relaieront, pen­dant plus de dix-huit heures, sans interruption.

[22] Vin­cent Hys­pa (1865–1938) chan­son­nier mont­martrois, ver­sé dans la satire politique.

[23] Paulette Dar­ty (née Pauline Joséphine Combes, 1871–1939) chanteuse d’opérette et de var­iétés dite « la reine de la valse lente ».

[24] Érik Satie, Cor­re­spon­dance presque com­plète ; réu­nie et présen­tée par Ornel­la Vol­ta (Fayard-IMEC, 2000).

[25] Mau­rice Maeter­linck (1862, Gand – 1949, Nice) poète, dra­maturge et essay­iste belge, prix Nobel de Lit­téra­ture en 1911.

[26] André Mes­sager (1853–1929) com­pos­i­teur et chef d’orchestre français.

[27] Érik Satie, Cor­re­spon­dance presque com­plète; réu­nie et présen­tée par Ornel­la Vol­ta (Fayard-IMEC, 2000).

[28] Érik Satie, Cor­re­spon­dance presque com­plète; op. cit.

[29] Érik Satie, Cor­re­spon­dance presque com­plète ; op. cit.

[30] Le rag­time a été inven­té par les afro-améri­cains au début du dix-neu­vième siè­cle ; les pre­miers rags sont des cake-walks, dans­es par­o­diques accom­pa­g­nées au ban­jo ou au piano à l’occasion de con­cours où l’on pou­vait gag­n­er un gâteau.

[31] La Schola Can­to­rum est un étab­lisse­ment supérieur d’enseignement musi­cal privé, fondé en 1894 par Charles Bor­des, Alexan­dre Guil­mant et Vin­cent d’Indy con­tre l’école Nie­der­mey­er (dont venait Maître Vinot, le pre­mier pro­fesseur de Crin-Crin.) Elle a ouvert ses portes en 1896, rue Stanis­las (à Mont­par­nasse) pour finale­ment s’installer, en 1900, rue Saint-Jacques (Quarti­er Latin), dans un ancien cou­vent de Béné­dictins Anglais où elle se trou­ve encore aujourd’hui.

[32] Vin­cent d’Indy (1851–1931) ; com­pos­i­teur français nation­al­iste et antidrey­fusard, mem­bre de la Ligue de la Patrie française (fondée en réac­tion à la Ligue des Droits de l’Homme), dont Mau­rice Bar­rès, Edgar Degas, Auguste Renoir, Jules Verne et tant d’autres font par­tie … Vin­cent d’Indy con­tribuera active­ment à l’aura de Beethoven et de Wag­n­er en France.

[33] Albert Rous­sel (1869–1937) com­pos­i­teur français.

[34] Érik Satie, Menus pro­pos enfan­tins + Pec­ca­dilles impor­tunes + Enfan­til­lages pit­toresques (1913).

[35] Mau­rice Rav­el (1875, Ciboure – 1937, Paris) ; Rav­el et Satie se sont ren­con­trés au Chat Noir (Mau­rice était alors ado­les­cent.) Lorsque les deux musi­ciens se retrou­vent, presque vingt-ans plus tard, Rav­el n’a pas encore com­posé le Boléro (1928) qui le ren­dra célébris­sime, mais déjà Pavane pour une infante défunte + les Jeux d’Eau + Ma mère l’Oye … Érik Satie n’était pas ten­dre avec son cadet. Dans le pre­mier numéro de la revue Le Coq (©Cocteau) en mai 1920, en réac­tion à la pub­lic­ité faite autour du refus d’une médaille par Rav­el, Satie écrit : Rav­el refuse la Légion d’Honneur mais toute sa musique l’accepte.

[36] Gabriel Fau­ré (1845, Pamiers — 1924, Paris) pianiste et com­pos­i­teur français (auteur, notam­ment, d’un sub­lime Requiem en 1888).

[37] Flo­rent Schmitt (1870–1958) com­pos­i­teur français.

[38] Charles Kœch­lin (1867–1950) com­pos­i­teur français.

[39] César Franck (1822, Liège — 1890, Paris) com­pos­i­teur et organ­iste franco-belge.

[40] « Con­férence de Jean Cocteau sur Érik Satie » (In : la Revue Musi­cale, 1924).

[41] Érik Satie, Cor­re­spon­dance presque com­plète ; réu­nie et présen­tée par Ornel­la Vol­ta (Fayard-IMEC, 2000).

[42] Igor Stravin­sky (1882, Saint-Péters­bourg – 1971, New York) ou Stravin­s­ki ou Straw­in­sky (comme l’orthographie Émile Vuiller­moz dans sa fameuse His­toire de la Musique, Arthème Fayard, 1949) est un com­pos­i­teur rus­so-fran­co-améri­cain à l’influence considérable.

[43] Igor Stravin­sky, Chroniques de ma vie (Denoël, 2000).

[44] Revue musi­cale S.I.M. (Hon­orée d’une souscrip­tion du Min­istère de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts), men­su­elle, paru­tion de novem­bre 1909 à juil­let 1914.

[45] Mémoires d’un amnésique, édi­tion annotée par Raoul Coquereau (Ombres, 2010).

[46] Érik Satie, Mémoires d’un amnésique (Ce que je suis) ; In : Revue musi­cale S.I.M. (15 avril 1912).

[47] Érik Satie, Mémoires d’un amnésique (La journée du musi­cien) ; In : Revue musi­cale S.I.M. (15 jan­vi­er 1913).

[48] Mau­rice Sachs, La Décade de l’illusion (re-éd, Gras­set, 2018).

[49] Bernard Gras­set (1881, Mont­pel­li­er — 1955, Paris) ; … un homme très car­ac­téris­tique de notre temps, rapi­de, heureux de l’être, auda­cieux, qui m’a paru mer­veilleuse­ment intel­li­gent, et très cul­tivé — écrit Mau­rice Sachs le 21 décem­bre 1919 ; In : Le Bœuf sur le toit (La Nou­velle Revue Cri­tique, 1939 ; Gras­set & Fasquelle, 1987). En 1923, Bernard Gras­set pub­liera le pre­mier roman d’un auteur juvénile : Le Dia­ble au corps de Ray­mond Radiguet (1903–1923) avec des méth­odes réservées jusqu’alors aux savons (dix­it Mau­rice) ; le tirage moyen (habituelle­ment = 2 000 exem­plaires) sera de 10 000 exem­plaires pour le « petit pro­tégé de Cocteau. » Gras­set invente le Ser­vice de Presse (envoi « gra­tu­it » d’un ouvrage avant paru­tion aux « pre­scrip­teurs » poten­tiels : jour­nal­istes & autres influenceurs.)

[50] Lucien Vogel (1886 ‑1954), édi­teur et jour­nal­iste français, époux d’Yvonne (dite Cosette) de Brun­hoff (1886 — 1964). En 1920, Cosette Vogel est la pre­mière rédac­trice en chef du mag­a­zine Vogue France. Ils auront trois enfants. L’aînée, Marie-Claude (née en 1912) sera résis­tante puis députée com­mu­niste sous le nom de Vaillant-Couturier.

[51] Sports et Diver­tisse­ments, par­ti­tions d’Érik Satie & dessins de Charles Mar­tin (édi­tions Lucien Vogel, 1923).

[52] Vladimir Jankélévitch,La musique et l’ineffable (Seuil, 1983).

[53] Cor­re­spon­dance presque com­plète ; op. cit.

[54] Parade est un bal­let en un tableau, sur un argu­ment de Jean Cocteau + rideau/décors/costumes de Pablo Picas­so + musique d’Érik Satie + choré­gra­phie de Léonide Massine.

[55] Serge de Diaghilev (1872–1929), impre­sario, cri­tique d’art et mécène russe.

[56] Au lende­main de Ver­dun et de la bataille de la Somme, quelques jours après le Chemin des Dames, la friv­o­lité de Parade ne passe pas, mais alors PAS DU TOUT.

[57] Mau­rice Sachs, La Décade de l’illusion (Gal­li­mard, 1951).

[58] Jean Cocteau, Le Coq et l’Arlequin, notes autour de la musique (Édi­tions de la Sirène, Col­lec­tion des Tracts, 1918).

[59] Mar­cel Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleurs (NRF/Gallimard, 1919).

[60] Le Groupe des Six doit son nom à l’article du cri­tique musi­cal Hen­ri Col­let, pub­lié dans la revue Comœ­dia le 16 jan­vi­er 1920, inti­t­ulé : « Un livre de Rim­sky et un livre de Cocteau. — Les Cinq Russ­es, les Six Français et Érik Satie. »

[61] Ambroise Thomas (1811–1896) com­pos­i­teur français (auteur de l’opéra-comique Mignon en 1866).

[62] Camille Saint-Saëns (1835–1921) pianiste et com­pos­i­teur français roman­tique à l’excès.

[63] Cf. Mau­rice Sachs, Au Temps du Bœuf sur le toit (éd. Gras­set & Fasquelle, Les Cahiers Rouges, 1987) + La Décade de l’illusion (ré-éd. Gras­set & Fasquelle, Les Cahiers Rouges, 2018).

[64] Édi­tion orig­i­nale décorée par Pablo Picas­so et ornée d’un por­trait du com­pos­i­teur par Alfred Frueh ; com­prend 40 exem­plaires sur vélin, 10 exem­plaires sur hol­lande antique et 1 exem­plaire sur japon impér­i­al, numérotés 1 à 51. Le tirage a été exé­cuté en août 1951 par l’Imprimerie Nationale des Invalides, à Liège.

[65] Cahiers d’un Mam­mifère, op. cit.

[66] Mau­rice Sachs, Au temps du Bœuf sur le toit, op. cit.

[67] Les Feuilles libres, « Chronique musi­cale » (jan­vi­er-févri­er 1924).

[68] Relâche est une com­mande de Rolf de Maré, directeur des Bal­lets Suédois.

[69] N.R.F. du 1er avril 1920.

[70] Mau­rice Sachs, Au temps du Bœuf sur le toit ; op. cit.

[71] Gertrude Stein et Érik Satie se sont ren­con­trés en avril 1919, à La Mai­son des Amis des Livres, dirigée par Adri­enne Mon­nier, rue de l’Odéon, voi­sine de la librairie anglaise Shake­speare and Com­pa­ny de Sylvia Beach.

[72] Éti­enne Jacques Alexan­dre Marie Joseph Bon­nin de la Bon­nière de Beau­mont, dit Éti­enne de Beau­mont (1883–1956) artiste-mécène français. Organ­isa­teur de soirées fab­uleuses, il est le mod­èle du comte d’Orgel dans le roman posthume de Ray­mond Radiguet : Le Bal du comte d’Orgel (éd. Gras­set, 1924). C’est dans son hôtel par­ti­c­uli­er, boule­vard des Invalides, en octo­bre 1922, que Mar­cel Proust fit sa dernière sor­tie (avant de s’enfermer dans sa cham­bre capi­ton­née de liège pour achev­er son grand œuvre).

[73] Madeleine était à la fois la cou­sine et l’épouse de Dar­ius Milhaud.

[74] Dar­ius Mil­haud, Ma vie heureuse (Zur­fluh, 1998).