Guillaume Apollinaire 1880–1918

Épisode 1 – De Wihelm à Guillaume

 

Wil­helm de Kostrow­itzky est né à Rome le 25 ou le 26 août 1880, de père incon­nu et de mère hési­tante. Guil­laume Apol­li­naire est mort à Paris de la grippe dite « espag­nole » le 9 novem­bre 1918, deux jours avant l’armistice. Blessé de guerre (tré­pané), a trente-huit ans, Apol­li­naire est entré dans sa légende sous les cris de « À mort Guil­laume ![1] »

Tous ses amis s’en sont émus.

 

Wilhelm de Kostrowitzky

 

Angel­i­ca Alexan­drine de Kostrow­itzky, née à Sve­aborg en Fin­lande, vers 1858, donne nais­sance à son pre­mier enfant ­— Gugliel­mo Alber­to Wladimiro Alessan­dro Apol­linare dit « Wil­helm » — fin août 1880, et au sec­ond — Alber­to Euge­nio Gio­vani Zevi­ni dit « Albert » — en juin 1882. Tous deux nés à Rome de (même) père incon­nu[2].

 

Les deux frères, Albert & Wil­helm de Kostrow­itzky (1888) D.R.

 

Mère céli­bataire, Angel­i­ca place ses deux fils en nour­rice. Issue de la petite noblesse slave, elle fréquente une dias­po­ra de piètre con­di­tion dont la survie dépend, le plus sou­vent, d’un coup de dés.

 

Médail­lon d’Angelica de Kostrowitzky

 

En 1887, Angel­i­ca de Kostrow­itzky quitte l’Italie pour Mona­co et son casi­no, con­stru­it huit ans plus tôt, autour duquel s’est con­sti­tuée la prin­ci­pauté de Monte-Car­lo. Nou­veaux cieux, nou­velle iden­tité : Angel­i­ca devient Olga, princesse russe. Elle récupère ses fils qu’elle inscrit au col­lège catholique Saint-Charles, fondé par Mon­seigneur Charles-Bonaven­ture Theuret, aumônier du Prince Albert 1er.

Le 8 mai 1892, Wil­helm fait sa pre­mière com­mu­nion. Il ren­con­tre René Dupuy (nom de plume : René Dalize).

 

Tu es très pieux et avec le plus ancien de tes cama­rades René Dalize

Vous n’aimez rien tant que les pom­pes de l’Église.[3]

 

Saint-Charles ferme ses portes en 1895 ; les deux frères, Wil­helm et Albert, pour­suiv­ent leur cur­sus à l’Institut Stanis­las de Cannes.

 

Début 1899, Olga et son Jules (Weil), de onze ans son cadet, quit­tent Monte-Car­lo pour aller ten­ter leur chance ailleurs, partout où il y a un casi­no. Après Aix-les-Bains, ce sera Spa, en Belgique.

 

À la cloche de bois

 

Début juil­let 1899, Jules & Olga instal­lent Wil­helm & Albert à la pen­sion de mon­sieur Con­stant, char­cuti­er-restau­ra­teur à Stavelot, dans les Ardennes belges. Puis les adultes vont jouer au casi­no de Spa, à 25 kilo­mètres de là, qu’ils quit­teront à la fin du mois pour Ostende, lais­sant les deux frères mineurs et dému­nis, sans un sou, der­rière eux.

Wil­helm est très impres­sion­né par ce paysage du nord de l’Europe qu’il décou­vre pour la pre­mière fois. Lui qui a tou­jours beau­coup lu (Vil­lon, Rabelais, Ner­val, Rim­baud, Ver­laine, Mal­lar­mé), se met à écrire une sorte de con­te mythologique, inspiré de la Bible et des légen­des cel­tiques — L’Enchanteur pour­ris­sant.[4] Et c’est dans les Ardennes belges qu’il éprou­ve ses pre­miers émois pour la jeune Maria Dubois.

 

William Degou­ve de Nunc­ques, “La Forêt” (1896)

 

Plus l’été avance, moins les Stavelotains regar­dent les deux « russ­es » avec bien­veil­lance : aucun argent n’a encore été ver­sé pour leur pen­sion chez Con­stant. Mal­gré leurs bonnes manières, les frères Kostrow­itzky éveil­lent à présent les soupçons.[5]

Wil­helm s’en émeut par cour­ri­er à sa mère.

Début octo­bre, Olga envoie un man­dat à ses fils équiv­alant au prix de deux bil­lets de train pour Paris, pas un sou de plus. Ils devront quit­ter l’auberge à la cloche de bois.

Mer­cre­di 4 octo­bre, Wil­helm & Albert atten­dent que la nuit soit tombée pour s’enfuir de Stavelot avec leurs balu­chons (dont le man­u­scrit, pre­mière ver­sion, de L’Enchanteur pour­ris­sant, pre­mier livre de Guil­laume Apol­li­naire). Les deux ados par­courent sept kilo­mètres à pied jusqu’à la gare de Roanne-Coo, d’où ils rejoignent celle de Liège, puis de Namur, pour arriv­er enfin à Paris le lende­main soir.

Là, ils retrou­vent leur mère, sous sa nou­velle iden­tité d’Olga Kar­poff, dans un gar­ni du 9 rue de Con­stan­tino­ple, der­rière la gare Saint-Lazare.

Le 11 octo­bre 1899, l’aîné se déclare à la Pré­fec­ture de Police de Paris sous le nom de Wil­helm Kostrow­itzky, de nation­al­ité italienne.

 

Fer­nand Khnopff, “L’eau immo­bile” (1894)

 

« Kostro », comme le surnomme ses amis, passe ses journées à la Bib­lio­thèque Mazarine où il ren­con­tre le maître des lieux, Léon Cahun, qui lui présente son neveu : Mar­cel Schwob, LE dédi­cataire de Ubu Roi[6].

 

C’est tou­jours comme ça que ça (se) passe : de main en main ou à portée de voix.

 

Véri­ta­ble por­trait de Mon­sieur Ubu par Alfred Jar­ry (1896)

 

A Comme … Amoureux

 

En 1901, Kostro est engagé en tant que pré­cep­teur de Gabrielle, 9 ans, la fille de Madame de Mil­hau. Le 22 août, il est assis dans l’automobile de la vicomtesse avec la petite Gabrielle et sa gou­ver­nante anglaise, Annie Play­den, en route pour l’Allemagne.

 

Annie Play­den & Wil­helm de Kostrow­itzky, Cologne, 1902. D.R.

 

Wil­helm tombe amoureux d’Annie, d’emblée, comme un fou. Pre­mier amour qui se con­jugue avec un séjour en Rhé­nanie et des voy­ages en Europe Cen­trale jusqu’à la fin de l’été 1902.

 

Wil­helm Kostrow­itzky devient Guil­laume Apol­li­naire en écrivant, dans la nuit rhénane :

 

Le Rhin le Rhin est ivre où les vignes se mirent 

Tout l’or des nuits tombe en trem­blant s’y refléter 

La voix chante tou­jours à en râle-mourir 

Ces fées aux cheveux verts qui incan­tent l’été

Mon verre s’est brisé comme un éclat de rire.[7]

Et que tout ait un nom nouveau

 

De retour à Paris, Guil­laume loge chez son frère Albert rue de Naples. Le Jules (Weil) de leur mère lui trou­ve un emploi de sténo dans une banque de la Chaussée d’Antin.

 

Dimanche 5 octo­bre 1902, Guil­laume Apol­li­naire assiste aux funérailles d’Émile Zola au cimetière de Mont­martre[8].

 

Affiche de Toulouse-Lautrec pour La revue blanche (avec Misia en couverture)

 

Guil­laume Apol­li­naire par­ticipe à La Revue Blanche de Thadée Natan­son[9], époux de Marie Godeb­s­ka dite « Misia » (1872, Saint-Péters­bourg – 1950, Paris) pianiste, égérie & mécène, muse des pein­tres « nabis » ; amie de Stéphane Mal­lar­mé, d’Érik Satie et de Toulouse-Lautrec, entre autres. Pas­sons, nous y reviendrons.

 

Pas­sons pas­sons puisque tout passe

Je me retourn­erai sou­vent[10]

 

Pierre Bon­nard, “Misia & Thadée Natan­son” (1902)

 

À par­tir de 1903, Guil­laume Apol­li­naire donne des vers à La Plume, revue bimen­su­elle lit­téraire, artis­tique, poli­tique & sociale, qui dur­era le temps de l’époque dite « belle » (1889, Paris — 1914, Verdun).

 

 

Le 18 avril 1903, au caveau du Soleil d’Or, place Saint-Michel (à Paris sinon où ?), Guil­laume Apol­li­naire fait la con­nais­sance d’Alfred Jar­ry[11]. Entre les deux, les atom­es sont crochus : archaïsme médié­val, masochisme chré­tien, lib­erté des lib­ertins ; la Bib­lio­thèque Rose & Collin de Plancy.

 

Collin de Plan­cy “Dic­tio­n­naire infer­nal” (Plon, 1863) : livre de chevet des sym­bol­istes, de Jar­ry et d’Apollinaire

 

Le mois suiv­ant, Guil­laume Apol­li­naire ren­con­tre André Salmon (1881, Paris — 1969, Sanary-sur-Mer) poète & cri­tique d’art. Alfred Jar­ry lui présente Léon-Paul Far­gue (1876–1947, Paris) poète sym­bol­iste & pié­ton de Paris.

 

(Cf. le Mémo « Alfred Jar­ry » à paraître ICI un jour ou l’autre.)

 

Le Festin d’Ésope

 

Les échanges entre les habi­tants de la Terre se mul­ti­pli­ant de façon expo­nen­tielle tout au long du dix-neu­vième siè­cle, les dif­fi­cultés de com­mu­ni­ca­tion aus­si, par con­séquent cer­tains idéal­istes rêvent de con­jur­er la malé­dic­tion de Babel en imag­i­nant une langue uni­verselle à voca­tion sinon paci­fique du moins diplomatique.

En 1879, un prêtre alle­mand, catholique et poly­glotte, l’abbé Schley­er, invente le Volapük (« langue du monde »).

En 1887, un jeune médecin juif de Bia­lystok, Zamen­hof, pub­lie un « manuel de langue inter­na­tionale » sous le pseu­do­nyme de Dok­toro Esperan­to. L’Espéranto a un suc­cès d’estime[12] … mais les con­ser­va­teurs européens sont plus nom­breux qui prô­nent le retour au latin. Les Français, quant à eux, défend­ent le français — con­tre l’impérialisme ger­manique, bien­tôt anglo-américain.

 

Guil­laume Apol­li­naire, poly­glotte et fran­cophile, est favor­able à l’élaboration d’une langue « con­stru­ite » com­mune à toute l’Europe. Par-dessus tout, dans le sil­lage des sym­bol­istes, il croit en la puis­sance créa­trice du lan­gage … La parole est soudaine et c’est un Dieu qui trem­ble.[13]

 

 

En 1903, Guil­laume Apol­li­naire lance une revue men­su­elle inti­t­ulée Le Fes­tin d’Ésope en référence à l’inventeur de la fable — du con­te & du folk­lore & de la fic­tion — fable lui-même, qui rap­por­ta du marché à son maître (nous sommes au VIe siè­cle avant Jésus-Christ) le meilleur & le pire, autrement dit : des langues.

 

Langue française du XIXe siè­cle (Traité d’Anatomie humaine, 1889)

 

La rédac­tion du Fes­tin d’Ésope s’installe chez André Salmon, 244 rue Saint-Jacques. Alfred Jar­ry est de la par­tie. Le pre­mier numéro (sur les neuf que comptera la revue), paraît en novem­bre 1903.

« N’étant l’organe d’aucune école [Le Fes­tin d’Ésope] sera seule­ment soucieux de mérit­er, par l’équité de sa cri­tique et la qual­ité des œuvres qui le com­poseront, son sous-titre de Revue des Belles Let­tres.[14] » Elle pub­liera notam­ment les pre­miers chapitres de L’Enchanteur pour­ris­sant.[15]

 

En jan­vi­er 1904, Olga loue une grande vil­la dans les Yve­lines, au Vésinet, à un chanteur d’opéra qu’elle ter­rorise tant et si bien qu’il n’ose pas lui réclamer ses loyers.

Guil­laume passe au moins une fois par semaine chez sa mère, ne serait-ce que pour chang­er de linge, et c’est au Vésinet, sur les bor­ds de la Seine, qu’il ren­con­tre deux jeunes fauves : Mau­rice de Vlam­inck[16] et André Derain[17].

 

Apol­li­naire par Vlam­inck, dessin non daté.

 

Dans un bar anglais de la rue d’Amsterdam — L’Austin’s Rail­way Hotel Bar and Restau­rant — à l’angle de la place Budapest, dans ce quarti­er bien nom­mé de l’Europe, Guil­laume Apol­li­naire — Lithuanien, Polon­ais, Russe, Ital­ien, futur grand poète français — ren­con­tre Pablo Picas­so, Cata­lan, qui lui présente Max Jacob, Breton.

 

Cf Max Jacob (1876, Quim­per — 1944, Dran­cy) poète & pein­tre, à paraître ICI prochainement

 

Guil­laume Apol­li­naire par Pablo Picas­so & par Max Jacob

 

Le Bateau-Lavoir

 

De 1903 à 1912, Pablo Ruiz dit « Picas­so » habite sur les hau­teurs de Mont­martre, 13 rue de Rav­i­g­nan, dans une anci­enne man­u­fac­ture en soupente divisée en ate­liers que Max Jacob a bap­tisée « Le Bateau-Lavoir ».

Fer­nande Olivi­er (1881, Paris — 1966, Neuil­ly-sur-Seine) la pre­mière com­pagne de Picas­so, péri­ode cubiste, s’en sou­vient : « Cette mai­son de la rue Rav­i­g­nan était bâtie de façon par­ti­c­ulière. Quand on entrait, quelques ate­liers se trou­vaient au rez-de-chaussée, mais il fal­lait descen­dre pour gag­n­er les autres ate­liers qui se trou­vaient être au qua­trième ou au cinquième étage sur une cour de la rue Gar­reau. »[18]

Reprenons tous ensemble.

L’entrée du 13 rue de Rav­i­g­nan (aujourd’hui, place Émile Goudeau, tout en haut de la butte Mont­martre), don­nait de plain-pied sur le dernier étage du bâti­ment, en rez-de-chaussée, tan­dis qu’un escalier descendait non pas qua­tre ou cinq, comme s’en sou­vient Fer­nande, mais trois étages plus bas, débouchant rue Gar­reau (tout en bas de la butte Montmartre).

 

Pho­to du Bateau-Lavoir au début du XXe siè­cle, D.R. « La rue Rav­i­g­nan toute droite se per­dait en haut dans le brouil­lard qui mouil­lait les pavés. » Pierre Reverdy, 1917

 

Guil­laume & ses amis fréquentent les cabarets de Mont­martre, tou­jours à la mode, à la mode de Mont­martre, dont l’influence ne faib­lit pas : Le Chat Noir (qui a con­nu ses heures de gloire dans les années 1880), Le Lapin Agile & Le Moulin-Rouge.

(Cf. les Mémos con­sacrés à Vil­liers de l’Isle-Adam & Alphonse Allais & Érik Satie.)

 

Pablo préfère la com­pag­nie des poètes à celle des pein­tres, Gui celle des pein­tres … Pablo & Gui & Max sont inséparables.

Fer­nande Olivi­er écrira dans ses mémoires, quelque trente ans plus tard : « Apol­li­naire était vêtu d’un com­plet de gros tis­su anglais beige, qu’il affec­tion­nait par­ti­c­ulière­ment. Sur le chef un can­oti­er de grosse paille sem­blait trop petit pour son crâne. La tête un peu en forme de poire, aux traits aigus, sym­pa­thiques, dis­tin­gués, de petits yeux très rap­prochés du nez arqué, long et fin ; des sour­cils comme des vir­gules. Une bouche petite qu’il sem­blait réduire encore, exprès, lorsqu’il par­lait, comme pour don­ner plus de mor­dant à ce qu’il dis­ait. Un mélange de noblesse et d’une espèce de vul­gar­ité due à un gros rire enfan­tin. Des mains de prélat aux gestes onctueux. (N’a‑t-on pas insin­ué qu’il était fils d’un prélat du Vat­i­can ? Sa mère était Russe ou Polon­aise.) Tout cela envelop­pé, sem­blait-il, atténué par un air bon enfant, calme et doux, grave ou ten­dre, qui fai­sait qu’on l’écoutait avec con­fi­ance dès qu’il par­lait, et il par­lait beau­coup. Char­mant, cul­tivé, artiste, et quel poète ! […] Para­dox­al, théâ­tral, empha­tique, sim­ple et naïf tout à la fois. »

 

Médail­lon Guil­laume Apol­li­naire vers 1905

 

Le 26 févri­er 1905, Mar­cel Schwob[19], trente-sept ans, époux de Mar­guerite Moreno[20], fin let­tré et mor­phi­no­mane, meurt dans les bras de son servi­teur chinois.

 

Le troisième Salon d’Automne ouvre ses portes le 18 octo­bre de la même année, au Grand Palais. Sur les con­seils de sa sœur Gertrude, Léo Stein, col­lec­tion­neur améri­cain, achète une huile sur toile qui se trou­ve à présent au Musée d’Art Mod­erne de San Fran­cis­co : La Femme au cha­peau d’Henri Matisse.

 

Hen­ri Matisse, “La Femme au cha­peau” (1905)

 

Les Stein vivent à Mont­par­nasse, 27 rue de Fleu­rus, dans un pavil­lon avec ate­lier trans­for­mé en galerie de pein­ture où, de 1904 à 1938 (moins une inter­rup­tion pen­dant la guerre) ils recevront des artistes et des écrivains nova­teurs (d’Érik Satie, que Gertrude ado­rait, au jeune Paul Bowles.)

(Cf la série Jane Bowles.)

 

Por­trait de Gertrude Stein par Pablo Picas­so (1906)

 

Guil­laume Apol­li­naire aime aimer, plus encore, il adore admirer.

C’est le cœur bat­tant fort que le jeune poète con­tribue à la pub­li­ca­tion de la pre­mière antholo­gie des textes (jusqu’alors épars) du Mar­quis de Sade par la Bib­lio­thèque des Curieux, col­lec­tion « Maîtres de l’Amour ».

André Bre­ton ne l’oubliera jamais[21] : « Il a fal­lu toute l’intuition des poètes pour sauver de la nuit défini­tive à laque­lle l’hypocrisie la vouait l’expression d’une pen­sée tenue entre toutes pour sub­ver­sive, la pen­sée du mar­quis de Sade cet esprit le plus libre qui ait encore existé au témoignage de Guil­laume Apol­li­naire. »[22]

Début 1907, celui-ci pub­lie à compte d’auteur et sous ini­tiales un roman pornographique inti­t­ulé Onze Mille Verges. Il a vingt-six ans ; Que les Onze Mille Verges me châ­tient si je mens !

 

Au print­emps suiv­ant, le 33e Salon des Indépen­dants présente une grande rétro­spec­tive Cézanne (mort en octo­bre 1906). Marie Lau­rencin y expose pour la toute pre­mière fois. Hen­ri Matisse accroche un Nu bleu aus­sitôt acheté par les Stein.

 

Hen­ri Matisse, “Nu bleu” (1907)

 

Poète lyrique pas­sion­né d’art plas­tique, héri­ti­er des sym­bol­istes, ami des cubistes, précurseur du Sur­réal­isme, Apol­li­naire écrit : « Le soir dîné chez Picas­so, vu sa nou­velle pein­ture […] Admirable lan­gage que nulle lit­téra­ture ne peut indi­quer, car nos mots sont faits d’avance. Hélas ! »[23]

 

À vingt-sept ans, Guil­laume a enfin les moyens de pay­er un loy­er et il reçoit, tous les mardis, dans son apparte­ment de la rue Léonie (future rue Hen­ner), dont Fer­nande Olivi­er se sou­vient très bien : « Quelle dif­férence entre la demeure de Max [Jacob] et celle de Guil­laume ! Celle-ci claire, nette, un peu mièvre, sans recherche de goût, bour­geoise, mais ingénue, fraîche. Rangée, ordon­née selon des règles, un peu apprêtée, prévue, mais de la lumière tou­jours, beau­coup le jour, beau­coup la nuit. Le salon, trop petit pour les vis­i­teurs, s’ouvrait sur une cham­bre où l’on se réfu­giait pour être tran­quille. On s’y instal­lait en ayant bien soin de ne rien déranger, ce qui aurait mécon­tenté Guil­laume. »[24]

 

C’est à la même époque, rue Laf­fitte, à la galerie de Clo­vis Sagot (un ancien clown du cirque Médra­no devenu marc­hand d’art), que Guil­laume Apol­li­naire ren­con­tre Marie Lau­rencin (de trois ans sa cadette, élève de Georges Braque[25].) « Elle est gaie, elle est bonne, elle est spir­ituelle et elle a tant de tal­ent. C’est moi en femme » — dira Guil­laume.[26]

 

Por­trait de Guil­laume Apol­li­naire par Marie Lau­rencin (1908)

 

Fer­nande Olivi­er se rap­pelle : « Mal­gré Apol­li­naire, qui, fort épris, voulait nous l’imposer, elle ne péné­tra pas tout de suite dans notre intim­ité. […] Elle vivait chez sa mère, aus­si réservée et dis­crète que sa fille l’était peu. Elles habitaient un apparte­ment, boule­vard de la Chapelle, qu’elles quit­tèrent pour aller demeur­er à Auteuil, rue La Fontaine. »[27]

 

Marie Lau­rencin, “Apol­li­naire et ses amis” (1909) De gauche à droite : Gertrude Stein, Fer­nande Olivi­er, X, Fric­ka (la chi­enne de Picas­so), Guil­laume Apol­li­naire, Pablo Picas­so, Mar­guerite Gillot, Mau­rice Crem­nitz, Marie Laurencin

 

Picas­so s’intéresse à l’art « naïf » — naturel, sim­ple & spon­tané — de ceux qui n’ont pas appris les règles de l’art « académique » — civil­isé, com­pliqué & apprêté. Il s’entiche de celui que Jar­ry a intro­n­isé, avec suc­cès, sous le nom du Douanier Rousseau pour la sim­ple et bonne rai­son qu’avant de se con­sacr­er à la pein­ture, Hen­ri Rousseau (1844, Laval — 1910, Paris) était fonc­tion­naire à l’octroi de Paris.

 

De beauté « pro­por­tion­née » on ne par­le plus, ce n’est plus une ver­tu artis­tique, revendiquent en chœur Jar­ry & Apollinaire.

 

C’est de souf­france et de bonté

Que sera faite la beauté.[28]

 

Le Douanier Rousseau, “La muse inspi­rant le poète” (Marie Lau­rencin & Apol­li­naire, 1909)

 

Le jour de La Tou­s­saint de l’an 1907, Alfred Jar­ry, trente-qua­tre ans, meurt d’une ménin­gite tuber­culeuse à l’Hôpital de la Char­ité, à Paris.

Le dimanche suiv­ant, Guil­laume Apol­li­naire assiste à l’enterrement de son ami au cimetière de Bag­neux. Il écrira, deux ans plus tard : « … nous étions une cinquan­taine à suiv­re son con­voi. Les vis­ages n’étaient pas très tristes et seuls Fagus[29], Thadée Natan­son et Octave Mir­beau[30] avaient un tout petit peu l’air funèbre. Cepen­dant tout le monde sen­tait vive­ment la dis­pari­tion du grand écrivain et char­mant garçon que fut Jar­ry. Mais il y a des morts qui se déplorent autrement que par les larmes. […] La foule de ceux qui avaient été au cimetière de Bag­neux s’était vers le soir répan­due dans les guinguettes des alen­tours. Elles regorgeaient de monde. On chan­tait, on buvait, on mangeait de la char­cu­terie : tableau tru­cu­lent comme une descrip­tion imag­inée par celui que nous met­tions en terre. »[31]

 

Quelques mois plus tard, on organ­ise un ban­quet chez Picas­so en l’honneur du Douanier Rousseau. D’aucuns diront qu’il s’agissait d’une mys­ti­fi­ca­tion en hom­mage à Jar­ry. Gertrude Stein[32] écrit (dans un style, com­ment dire ? … impayable, traduit de l’anglais par Bernard Faÿ) : « Fer­nande me décriv­it le menu en détail. Il allait y avoir du riz à la valen­ci­enne. Fer­nande venait d’apprendre la recette de ce plat durant son dernier voy­age en Espagne, et elle avait com­mandé, j’oublie main­tenant ce qu’elle avait com­mandé, mais enfin elle avait com­mandé un grand nom­bre de plats tout pré­parés chez Félix Potin. Tout le monde était fort excité. C’est Guil­laume Apol­li­naire, je me le rap­pelle, qui, grâce à ses rela­tions intimes avec Rousseau, l’avait décidé à promet­tre de venir et devait l’amener ; tout le monde devait rédi­ger des poèmes et des chan­sons et ça devait être très rigo­lo, comme on aimait alors à dire à Mont­martre. Nous devions tous nous retrou­ver à ce café situé en bas de la rue Rav­i­g­nan[33] ; nous devions y pren­dre un apéri­tif, puis mon­ter jusqu’à l’atelier de Picas­so où nous devions dîn­er. […] J’eus à peine le temps d’enlever mon cha­peau et d’admirer l’arrangement de la salle. Fer­nande était en train d’insulter Marie Lau­rencin et la foule d’arriver.»[34]

Fer­nande Olivi­er est furieuse car Marie, dite Coco, ivre morte, fait sa sotte.

Fer­nande racon­te : « Son pre­mier soin en ren­trant à l’atelier fut de tomber dans les tartes instal­lées sur un divan, et les mains et la robe bar­bouil­lées de con­fi­tures, elle cares­sait tout le monde. Son agi­ta­tion ne se cal­mant pas, cela dégénéra en dis­pute entre Apol­li­naire et elle et on ren­voya un peu bru­tale­ment Coco chez sa mère.[35] »

Gertrude pour­suit : « Guil­laume Apol­li­naire se leva et prononça un éloge solen­nel ; je ne me rap­pelle plus du tout ce qu’il dit, mais ça finis­sait par un poème qu’il avait écrit et qu’il chan­ta à demi, et dont tout le monde reprit ensem­ble le refrain : La pein­ture de ce Rousseau. »[36] Plus exacte­ment : C’est la pein­ture de ce Rousseau Qui dompte la nature Avec son mag­ique pinceau.[37]

Fer­nande con­tin­ue : « Rousseau, qui croy­ait que c’était arrivé, s’installa, grave et les larmes aux yeux, sous le dais qu’on lui avait amé­nagé. Il était char­mant de faib­lesse, de naïveté, de touchante van­ité. Il con­ser­va longtemps le sou­venir ému de cette récep­tion, que le brave homme prit de bonne foi pour un hom­mage ren­du à son génie. »[38]

Le Douanier, 64 ans, écrit à Picas­so, 27 ans : « Nous sommes les deux plus grands pein­tres de l’époque, toi dans le genre égyp­tien, moi dans le genre mod­erne. »[39]

 

Dîn­er de con ou bien ?

Quoiqu’il en soit, le ban­quet aura con­tribué à la notoriété du Douanier Rousseau, et André Salmon pour­ra écrire, quelque vingt ans plus tard, dans un style mal­lar­méen : « Nous voulûmes, très sincère­ment et y réus­sis­sant pleine­ment, don­ner beau­coup de joie à un vieil homme, croy­ant à son génie et pour qui la vie avait été sou­vent méchante. »[40]


C’est de souf­france et de bonté 

Que sera faite la beauté

 

Épisode 2 – Alcools

 

Le 8 févri­er 1909, Cat­ulle Mendès[41] — à qui Guil­laume Apol­li­naire doit la pub­li­ca­tion des pre­miers con­tes de L’Hérésiarque[42] dans La revue blanche — meurt en sautant (trop tôt) d’un train en gare de Saint-Germain-en-Laye.

Ci-gît le Sym­bol­isme in fine.

 

La Chanson du Mal-Aimé

 

Dans la gazette Les Marges de son ami Eugène de Mont­fort, sous le pseu­do­nyme de Louise Lalanne[43], Guil­laume Apol­li­naire, avec deux L, s’intéresse à ses con­tem­po­raines : Judith Gau­ti­er[44] ; Anna de Noailles[45] ; Pauline Mary Tarn, dite « Renée Vivien », née le 11 juin 1877 à Lon­dres & morte le 18 novem­bre 1909 à Paris, nous y revien­drons — sans oubli­er la mul­ti­ple, l’adorable Colette, Sidonie-Gabrielle Colette, née le 28 jan­vi­er 1873 à Saint-Sauveur-en Puisaye & morte le 3 août 1954 à Paris.

 

Guil­laume Apol­li­naire alias Louise Lalanne (1909)

 

Dans la même revue et sous son nom de Guil­laume Apol­li­naire, il signe la col­lec­tion des Con­tem­po­rains pit­toresques (Jar­ry, Gour­mont, Moréas, Mendès) « où se reflète sa curiosité des êtres excep­tion­nels, hors série, con­sti­tu­ant par eux-mêmes une sorte de preuve de ce qu’il y a de richesse et d’infinie diver­sité dans l’espèce humaine. »[46]

 

Le 1er mai de la même année — 1909 annus mirabilis ! — Guil­laume Apol­li­naire pub­lie une pre­mière ver­sion de La Chan­son du Mal-Aimé au Mer­cure de France.[47]

[…]

Mon beau navire ô ma mémoire 

Avons-nous assez navigué

Dans une onde mau­vaise à boire 

Avons-nous assez divagué 

De la belle aube au triste soir[48]

[…]

 

Marie Lau­rencin dite « Coco » (vers 1906)

 

Au mois d’octobre, Guil­laume Apol­li­naire quitte la rue Hen­ner pour la rue Gros, à Auteuil, afin de se rap­procher de Marie Lau­rencin et sa mère, cou­turière, qui vivent à présent rue La Fontaine.

« Rue Gros, Marie fut naturelle­ment appelée à pren­dre soin de l’intérieur de Guil­laume et même à trem­per de temps en temps sa soupe[49] », écrit André Bil­ly[50] en 1947. « Cela était peu de son goût. En retour, il lui ren­dit l’inappréciable ser­vice de libér­er sa per­son­nal­ité encore hési­tante et de faire de la bonne élève de l’Académie Jul­lian (sic) l’enchanteresse au cœur tour­men­té, dont il fut tour­men­té lui-même au point de ne pas pou­voir par­fois retenir ses plaintes. Marie lui échap­pa tou­jours plus ou moins, et il en souf­frait. »[51]

 

Inon­da­tions à Auteuil, rue Gros, jan­vi­er 1910 (carte postale)

 

Les inon­da­tions de l’hiver 1910 sont ter­ri­bles pour les quartiers parisiens en bord de Seine. Comme les enfants, le poète s’amuse. Le 25 jan­vi­er, Guil­laume Apol­li­naire pub­lie dans le jour­nal L’Intransigeant[52] ses Impres­sions d’un inondé :

J’habite au pre­mier étage d’une vieille petite mai­son de la rue Gros, à Auteuil.

Ven­dre­di matin, au moment où je sors de chez moi, on m’apprend que la rue voi­sine, la rue Féli­cien-David, est inondée. J’y vais aus­sitôt et je me réjouis du spec­ta­cle char­mant et imprévu qui m’apparaît. Me voici, non pas à Venise, comme dis­ent les jour­naux, mais dans une petite ville de la Hollande.

Il m’en sou­vient à Dor­drecht, des maisons bass­es se miraient ain­si dans un canal où les rayons d’un pâle soleil met­taient par­fois d’éblouissants reflets. À Dor­drecht comme dans cette rue de Paris, une bar­que venait au loin, avec un rameur, un chien et, debout, une dame bien habil­lée près d’un mon­sieur mélancolique …

Les cat­a­stro­phes ne m’effraient pas : enfant, j’ai assisté à un trem­ble­ment de terre et, les sec­ouss­es finies, j’en espérais encore …

[…]

Rue Gros, l’eau est arrivée devant chez moi. Des ouvri­ers murent la porte de ma mai­son jusqu’à la hau­teur de cinquante cen­timètres pour empêch­er que le flot inonde le rez-de-chaussée. Les enfants s’amusent, enchan­tés de ce qui arrive. Une jeune com­mère dit à un mon­sieur, du ton dont elle par­lerait de gens qu’elle aurait invités à une soirée :

« Nous atten­dons l’Yonne, le Loing, l’Armançon et le Seraing. »

Et le mon­sieur de répondre :

« Plus on est de fous, plus on rit. »

[…]

Les habi­tants du rez-de-chaussée vien­nent de me prier de les laiss­er met­tre leurs meubles chez moi, à l’abri de l’inondation. Et peu après, c’est un entasse­ment désolant de lits, de sièges, d’armoires, de tables, de linge, de touchants sou­venirs de famille. On espère que le flot n’atteindra pas mon pre­mier étage.

Qui sait ?

Je boucle ma valise et je m’en vais, aban­don­nant mes livres. Ce soir per­son­ne ne couchera dans la petite mai­son d’Auteuil.

En bas, dans les couloirs, l’onde coule avec un doux mur­mure. Elle ne paraît pas méchante … False as water …

Des planch­es me con­duisent presque à pied sec vers une bar­que qui me mène sur la rive de la rue Théophile-Gau­ti­er que gagne aus­si l’inondation.

Pont d’arc-en-ciel encore et l’eau monte toujours …

… Il neige …[53]

 

Inon­da­tions à Auteuil, rue Féli­cien David, jan­vi­er 1910 (carte postale)

 

Puis, le 27 jan­vi­er, Guil­laume Apol­li­naire écrit dans Paris-Jour­nal[54] :

L’inondation exalte les gens de let­tres. Jean Moréas s’est hier longue­ment accoudé sur le para­pet du pont Notre-Dame ; André Gide, l’un des rares habi­tants d’Auteuil à l’abri des eaux, souri­ait mali­cieuse­ment en regar­dant l’eau envahir le majestueux vestibule de la demeure du poète Vielé-Grif­fin, quai de Passy.

Mau­rice Bar­rès va rêver devant la rue Féli­cien-David : de l’eau, de la volup­té et de la mort ! On sait que les spec­ta­cles de dévas­ta­tion éveil­lent son lyrisme comme ils facil­i­taient celui de Chateaubriand, ain­si que l’a élo­quem­ment démon­tré Charles Maurras.

Au fait, l’illustre théoricien du néo-monar­chisme goûte mod­éré­ment les joies de l’inondation ; assis dans un can­ot de sauve­tage, on put le voir descen­dre tris­te­ment la rue de Verneuil, prê­tant une oreille vaine­ment atten­tive aux recom­man­da­tions de son rameur :

« Penchez donc pas à gauche, bon sang ! »[55]

 

Inon­da­tions de Paris, quai d’Auteuil, jan­vi­er 1910 (carte postale)

 

Après L’Hérésiarque et Cie aux édi­tions Stock (sélec­tion­né au prix Goncourt qui sera finale­ment attribué à Louis Per­gaud pour De Goupil à Mar­got[56]), Guil­laume Apol­li­naire pub­lie le Bes­ti­aire (ou Cortège d’Orphée) avec des gravures sur bois de Raoul Dufy, chez Deplanche, à Paris.[57]

 

Guil­laume Apol­li­naire & Raoul Dufy, “Bes­ti­aire” (Le Chat) 1911

 

L’Affaire des Statuettes

 

Guil­laume Apol­li­naire avait un ami belge — Géry Piéret, un orig­i­nal, vagabond & aven­turi­er, mais let­tré et d’excellente con­ver­sa­tion — qu’il hébergeait chez lui con­tre quelques menus travaux de secré­tari­at. Qua­tre ans plus tôt et sans se faire pren­dre, sans même que quiconque ne s’en rende compte, Géry avait volé des stat­uettes phéni­ci­ennes au Musée du Lou­vre. Comme ça, pour rigol­er. Il en don­na une (ou deux) à Picas­so, « il en trô­nait une autre sur la chem­inée de la rue Gros. »[58]

Le 22 août 1911, les jour­naux ne par­lent que de ça : on a volé Mona Lisa ![59] Le vol de la Joconde est un scan­dale nation­al. Pour Géry, c’est une nou­velle occa­sion de rigol­er ; il se dénonce du larcin tout guilleret.

Guil­laume est paniqué : son apparte­ment va être perqui­si­tion­né ! on n’y trou­vera pas la Joconde, certes, mais une stat­uette phéni­ci­enne dont on se ren­dra compte qu’elle a été volée … Il s’empare du cadeau empoi­son­né et file rejoin­dre Picas­so à Mont­martre pour le prévenir qu’il faut immé­di­ate­ment s’en débarrasser.

S’en suit une virée noc­turne rocam­bo­lesque : arrivés sur les bor­ds de la Seine, les deux com­pères ne peu­vent se résoudre à jeter les œuvres d’art à l’eau. Plutôt que de les restituer à la police, dont ils se méfient tous deux, Gui & Pablo déci­dent de les ren­dre aux bureaux de Paris-Jour­nal, ter­rain con­nu et a pri­ori amical.

Les policiers n’apprécient guère.

Le 7 sep­tem­bre 1911, l’inspecteur prin­ci­pal Robert et le brigadier Coste se présen­tent au domi­cile de Guil­laume Apol­li­naire. Après une perqui­si­tion som­maire qui ne donne rien, et pour cause, Guil­laume est arrêté & trans­féré au Palais de Jus­tice où il est déféré devant un Juge d’Instruction (un cer­tain Drioux).

 

Arresta­tion de Guil­laume Apol­li­naire en jan­vi­er 1911

 

À l’issue de l’interrogatoire, Apol­li­naire est placé sous man­dat de dépôt pour « com­plic­ité de vol ». Il n’a pas dénon­cé Géry.

Quant à Picas­so, enten­du une pre­mière fois par la police, il nie toute impli­ca­tion dans l’affaire puis, con­fron­té à Gui, il admet avoir par­ticipé à la resti­tu­tion des stat­uettes dont il igno­rait absol­u­ment la prove­nance. Son nom n’apparaît ni dans le dossier d’instruction ni à la Une des jour­naux. Ce n’est que bien plus tard que l’on con­naî­tra son rôle dans l’histoire. L’amitié entre les deux artistes sur­vivra à l’épreuve qui blessa pro­fondé­ment Guil­laume, soudain très seul.

 

Apol­li­naire dans l’atelier de Picas­so (vers 1910)

 

Guil­laume Apol­li­naire est incar­céré à la prison de la San­té. Il y restera jusqu’au 12 sep­tem­bre — six jours inter­minables pen­dant lesquels la mag­nif­i­cence du poète va se fis­sur­er. Doré­na­vant, Gui sera tou­jours inquiet.

 

Apol­li­naire et le juge Dri­oux, jour de la mise en lib­erté pro­vi­soire de Guil­laume (mar­di 12 sep­tem­bre 1911)

 

Une cer­taine presse[60] traite Kostro (késako ?) de « métèque » (chez ces gens-là, c’est comme un réflexe.) Le soi-dis­ant poète aurait pub­lié des livres pornographiques, sans compter qu’il est un peu juif, inver­ti, anar­chiste, etc.

La Pré­fec­ture envis­age l’expulsion.

« Le dossier polici­er qui devait empêch­er quelques années plus tard la nom­i­na­tion du lieu­tenant de Kostrow­itzky au grade de cheva­lier de la Légion d’honneur, fut du moins impuis­sant à chas­s­er Apol­li­naire d’un pays dont sa poésie suf­fit à prou­ver qu’il était le sien » écrira Pas­cal Pia en 1967.[61]

 

Tu es à Paris chez le juge d’instruction

Comme un crim­inel on te met en état d’arrestation

 

Tu as fait de douloureux et de joyeux voyages

Avant de t’apercevoir du men­songe et de l’âge

Tu as souf­fert de l’amour à vingt et à trente ans

J’ai vécu comme un fou et j’ai per­du mon temps

Tu n’oses plus regarder tes mains et à tous moments je voudrais sangloter

Sur toi sur celle que j’aime sur tout ce qui t’a épou­van­té [62]

 

Apol­li­naire au Palais de Justice

 

Le 14 sep­tem­bre 1911, Guil­laume Apol­li­naire pub­lie un texte inti­t­ulé Mes pris­ons (en hom­mage à Gérard de Ner­val) dans Paris-Jour­nal :

Dès que la lourde porte de la San­té se fut fer­mée der­rière moi j’eus une impres­sion de mort. Cepen­dant, les murs de la cour où je me trou­vais, par la nuit claire, étaient cou­verts de plantes grim­pantes, mais, la sec­onde porte franchie et close, je con­nus que la zone de la végé­ta­tion était passée, et il me sem­bla que, désor­mais, j’étais dans un lieu situé hors de notre terre et que j’allais m’anéantir.

On m’interrogea plusieurs fois et un gar­di­en me fit pren­dre mon « fourn­i­ment » : une grosse chemise, une servi­ette, une paire de draps et une cou­ver­ture de laine, puis, à tra­vers des couloirs inter­minables, on m’amena devant ma cel­lule : la quinz­ième de la onz­ième divi­sion. Là, je dus me met­tre nu dans le cor­ri­dor, et l’on me fouil­la, puis on m’enferma, et je ne dormis que fort peu, à cause de la lumière élec­trique qui éclaire toute la nuit les cellules.

On sait ce qu’est la vie dans une prison : pur­ga­toire d’ennui, séjour où vous êtes seul et cepen­dant con­stam­ment épié.

[…]

La pre­mière émo­tion vio­lente que j’ai ressen­tie à la San­té provient d’une inscrip­tion gravée dans la couleur qui recou­vre la fer­rure de la couchette : « Dédé de Ménil­montant pour meurtre. »

J’eus une émo­tion beau­coup plus agréable en lisant quelques vers naïfs lais­sés par un pris­on­nier, qui les a signés : « Myriès le chanteur ».

J’en com­po­sai aus­si et la poésie me con­so­la presque de l’absence de la liberté.

[…]

Les affres recom­mencèrent lorsque, mar­di, je fus extrait pour aller à l’instruction.

La prom­e­nade en voiture cel­lu­laire me parut un long voy­age. J’étais enfer­mé dans une sorte de cage où il fai­sait très chaud. Le garde m’avait dit que je ferais bien de met­tre mon faux col en poche.

Au Palais, on m’enferma dans une des cel­lules étroites et puantes de la Souri­cière, où j’attendis de onze heures à trois heures, le vis­age col­lé aux bar­reaux, pour voir ce qui se pas­sait dans le cor­ri­dor. Qua­tre mortelles heures : que longues à pass­er ! À pas lents, elles s’en allèrent, cepen­dant, et, poing lié, je fus mené, par un garde, vers le cab­i­net du juge.

Quelle sur­prise de se voir regarder tout à coup comme une bête curieuse ! Ce furent soudain cinquante appareils braqués sur moi ; les éclairs du mag­né­si­um don­naient une apparence dra­ma­tique à cette scène, où je jouais un rôle. Je recon­nus bien­tôt quelques cama­rades, quelques amis : Me Tou­s­saint Luca, André Salmon, René Bizet, et voilà mes défenseurs à mes côtés : je devais, je crois, rire et pleur­er en même temps.

[…]

Il me reste encore un devoir à rem­plir : que tous les jour­naux, que tous les écrivains, que tous les artistes qui m’ont don­né de si touchants témoignages de sol­i­dar­ité et d’estime, soient ici remerciés !

Qu’on me par­donne de ne pas avoir encore remer­cié cha­cun en par­ti­c­uli­er. Soit par une let­tre, soit par une vis­ite, cela sera fait. Mais, obser­vant ain­si les sim­ples règles de la politesse, je ne me croirai pas quitte de la recon­nais­sance.[63]

 

Guil­laume Apol­li­naire au Tribunal

 

Le 19 jan­vi­er 1912, une ordon­nance de non-lieu est ren­due en faveur d’Apollinaire.

Mais Marie l’a quit­té, Marie s’en est allée. Marie ne l’aime plus.

Gertrude Stein écrit dans Auto­bi­ogra­phie d’Alice Tok­las : « Après la mort de sa mère, Marie Lau­rencin parut à la dérive. Elle et Guil­laume cessèrent de se voir. […] Con­tre les avis de tous ses amis Marie épousa un Alle­mand […] le seul être qui me donne l’impression de maman. »[64]

 

Marie Lau­rencin “Femme à la colombe” (Marie Lau­rencin & Nicole Groult, 1919)

 

Guil­laume pleure le désamour de Marie :

 

 

Les hommes ne se sépar­ent de rien sans regret, et même les lieux, les choses et les gens qui les rendirent le plus mal­heureux, ils ne les aban­don­nent point sans douleur » écrit Guil­laume Apol­li­naire. C’est ain­si qu’en 1912, je ne vous quit­tai pas sans amer­tume, loin­tain Auteuil, quarti­er char­mant de mes grandes trist­esses. Je n’y devais revenir qu’en l’an 1916 pour être tré­pané à la Vil­la Molière.[65]

 

Pho­to-sou­venir @FélicieDubois, 2006

 

Les Soirées de Paris

 

Une nou­velle revue lit­téraire, conçue pour et autour de Guil­laume Apol­li­naire par un groupe de ses amis (dont René Dal­ize, André Salmon et André Bil­ly), paraît en févri­er 1912 : Les Soirées de Paris.[66]

 

À l’été de la même année, Guil­laume Apol­li­naire ren­con­tre Fran­cis Picabia[67] avec lequel il voy­age en Angleterre. De retour à Paris, il reçoit par la poste (depuis New York) un long poème d’un jeune suisse qui l’admire et lui demande de l’aider à se faire pub­li­er. Les Pâques de Frédéric Sauser, futur Blaise Cen­drars[68], sont trop proches de ce que Guil­laume est en train de composer.

Il ne répond pas.

 

En novem­bre 1912, Guil­laume Apol­li­naire (trente-deux ans) pub­lie une pre­mière ver­sion de Zone dans Les Soirées de Paris. Blaise Cen­drars (vingt-cinq ans) pub­lie ses Pâques[69] dans une revue qu’il fonde tout exprès : Les Hommes nouveaux.

 

Blaise Cen­drars, derniers vers des “Pâques” (1912)

 

Qui a influ­encé qui ? Assuré­ment, les deux poètes sont sur la même longueur d’onde …

 

En décem­bre 1912, René Dal­ize signe un arti­cle dans Les Soirées de Paris, titré Les vieux ont soif ! (en référence au roman d’Anatole France paru cette année-là : Les dieux ont soif!) pour se moquer de ces vieil­lards qui font mourir l’Europe, tel l’empereur d’Autriche François-Joseph (qua­tre-vingt-trois ans, dont soix­ante-huit sur le trône) qui n’aura pas de repos avant que son Empire et le monde occi­den­tal tout entier n’aient som­bré dans un effroy­able car­nage de sang. [70]

 

Hommes de l’avenir souvenez-vous de moi

 

202 boule­vard Saint-Ger­main, à l’angle de la rue Saint-Guillaume

 

Lun­di 13 jan­vi­er 1913, Guil­laume Apol­li­naire emmé­nage au six­ième et dernier étage du 202 boule­vard Saint-Ger­main, à l’angle de la rue Saint-Guil­laume. Avec l’aide de l’ami Pierre Reverdy[71], il s’installe « dans l’appartement où il devait mourir un peu moins de six ans après, 202 boule­vard Saint-Ger­main, immeu­ble appar­tenant, coïn­ci­dence sin­gulière, au prince de Mona­co qui avait passé jadis pour son père. »[72]

 

Médail­lon Albert Kostrowitzky

 

La même année, Albert Kostrow­itzky part au Mex­ique où la révo­lu­tion de Pan­cho Vil­la & Emil­iano Zap­a­ta est en train de vir­er à la guerre civile.

Albert arrive à Mex­i­co le 9 févri­er 1913, puis on perd sa trace.[73]

Guil­laume ne rever­ra jamais son frère.

 

Diego Rivera, “His­to­ria de Mex­i­co” — détail, fresque murale réal­isée au Pala­cio Nacional entre 1929 et 1935

 

Plus que jamais Guil­laume Apol­li­naire est inqui­et. Il doit absol­u­ment devenir français, tout de suite, avec de vrais papiers, des papiers offi­ciels. L’illustre Paul Fort[74] veut bien l’aider, il con­naît Berth­elot, chef de cab­i­net de Ray­mond Poincaré.

 

Au mois d’avril 1913, Alcools paraît et c’est toute la poésie qui renaît.

 

Guil­laume Apol­li­naire, “Alcools” (Mer­cure de France, 1913)

 

Alcools, poèmes, 1898–1913, avec un por­trait de l’auteur par Pablo Picas­so, a été pub­lié ini­tiale­ment au Mer­cure de France. Le recueil ne cessera plus d’être réédité, en ver­sion de luxe ou en for­mat de poche, jusqu’aujourd’hui encore et dans le monde entier.

 

 

Les pre­miers vers du poème inau­gur­al — Zone — ravis­sent immédiatement :

 

A la fin tu es las de ce monde ancien

 

Bergère ô tour Eif­fel le trou­peau des ponts bêle ce matin

 

Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine

 

Ici même les auto­mo­biles ont l’air d’être anciennes

La reli­gion seule est restée toute neuve la religion

Est restée sim­ple comme les hangars de Port-Aviation

 

Les derniers vers enivrent définitivement :

 

Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie

Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie

 

Tu march­es vers Auteuil tu veux aller chez toi à pied

Dormir par­mi tes fétich­es d’Océanie et de Guinée

Ils sont des Christ d’une autre forme et d’une autre croyance

Ce sont les Christ inférieurs des obscures espérances

 

Adieu Adieu

 

Soleil cou coupé

 

Après un menu copieux à la hau­teur du for­mi­da­ble appétit de Guil­laume, le fes­tin se ter­mine par un poème d’un lyrisme solaire : Vendémi­aire

 

Hommes de l’avenir sou­venez-vous de moi

Je vivais à l’époque où finis­saient les rois

Tour à tour ils mouraient silen­cieux et tristes

Et trois fois courageux deve­naient tris­mégistes[75]

[…]

 

Guil­laume Apol­li­naire rejoint François Vil­lon, en frère, tant que dur­era l’éternité.

 

Apol­li­naire par Picas­so, non daté

 

 

Épisode 3 – Le Poète Assassiné

 

En jan­vi­er 1914, Les Soirées de Paris[76] con­sacrent un numéro spé­cial au Douanier Rousseau. Dans la même revue, la même année, Guil­laume Apol­li­naire com­mence à pub­li­er des « idéo­grammes lyriques » ou « idéo­gram­ma­tiques » qu’il nom­mera bien­tôt « calligrammes ».

 

Gior­gio de Chiri­co, « Por­trait de Guil­laume Apol­li­naire dit pré­moni­toire » (print­emps 1914)

 

Première guerre industrielle mondiale

 

Le 28 juin 1914, à Sara­je­vo, l’archiduc François-Fer­di­nand d’Autriche & la duchesse de Hohen­berg, héri­tiers de l’Empire aus­tro-hon­grois, sont assas­s­inés par un nation­al­iste serbe.

 

Baigneuse à l’époque dite “belle” …

 

Au mois de juil­let, le jour­nal Comœ­dia envoie Guil­laume Apol­li­naire et André Rou­veyre[77] à Deauville, sta­tion bal­néaire à la mode, pour un reportage mondain.

 

Cabourg à la Belle Époque (carte postale)

 

Le 25 juil­let, Jean Jau­rès, répub­li­cain-philosophe, veut encore « espér­er que le crime ne sera pas con­som­mé … »[78]

Le 28, l’Autriche déclare la guerre à la Serbie.

Le 31 au matin, Jau­rès pub­lie un dernier édi­to dans son jour­nal L’Humanité[79] : « Le plus grand dan­ger, à l’heure actuelle, n’est pas dans les événe­ments eux-mêmes … Il est dans l’énervement qui gagne, dans les impres­sions subites qui nais­sent de la peur. » L’après-midi, la Russie mobilise et l’Allemagne lance un ulti­ma­tum à la France. À 21h30, Jean Jau­rès — dernier apôtre de la paix — est assas­s­iné par Raoul Vil­lain[80] au Café du Crois­sant, rue Montmartre.

 

“L’Express du Midi” du jeu­di 20 août (où l’on retrou­ve le juge d’instruction Dri­oux qui avait inculpé Apol­li­naire en 1911 … )

 

Les jeux d’alliances diplo­ma­tiques entrainent la France dans la Pre­mière Guerre indus­trielle mondiale.

 

Félix Val­lo­ton, « Marée mon­tante » (1913)

 

Sur la Côte fleurie[81], la fête est finie.

Le Tout-Paris ren­tre à Paname.

 

Ordre de Mobil­i­sa­tion Générale, 2 août 1914 (Archives nationales)

 

Le 3 août 1914, Fred­er­ic Sauser (alias Blaise Cen­drars), de nation­al­ité suisse (pays neu­tre), s’engage dans l’armée française « pour savoir ce dont les hommes sont capa­bles, en bien, en mal, en intel­li­gence, en con­ner­ie, et que de toute façon, la mort est au bout, que l’on tri­om­phe ou que l’on suc­combe. »[82]

 

Le 5 août, une loi autorise le gou­verne­ment français à nat­u­ralis­er tout étranger con­trac­tant un engage­ment volon­taire pour la durée de la guerre. Guil­laume Apol­li­naire, russe-polon­ais, homme de let­tres, ren­seigne avec ardeur la fiche de recrute­ment mil­i­taire. À son grand désar­roi, sa demande est ajournée par le con­seil de révi­sion des Invalides qui croule sous l’afflux de volon­taires redirigés, dès lors, vers la Légion étrangère (sans nat­u­ral­i­sa­tion à la clé).

 

La plu­part des revues lit­téraires aux­quelles Guil­laume Apol­li­naire col­lab­o­rait cessent de paraître. Il n’a plus aucun revenu et l’apatride, le « métèque », descend sur la Côte d’Azur, ombre de son enfance.

 

C’est Lou qu’on la nommait

 

Au mois de sep­tem­bre 1914, à Saint-Jean-Cap-Fer­rat, Kostro ren­con­tre la comtesse Geneviève Mar­guerite Louise de Pil­lot de Col­igny — dite « de Col­igny-Chatil­lon » (1881, Vesoul — 1963, Genève) —, divor­cée du baron Édouard Hen­ry de Couden­hove, héri­tière d’un nom qu’illustrait déjà, au XVIe siè­cle, une précé­dente Louise qua­trième et dernière épouse de Guil­laume Ier d’Orange.

 

Il est des loups de toute sorte

Je con­nais le plus inhumain

Mon cœur que le dia­ble l’emporte

Et qu’il le dépose à sa porte

N’est plus qu’un jou­et dans sa main[83]

 

Apol­li­naire est ravi.

Dès le 27 sep­tem­bre, il écrit à Louise de Col­igny : … je vous aime avec un fris­son si déli­cieuse­ment pur que chaque fois que je me fig­ure votre sourire, votre voix, votre regard ten­dre et moqueur il me sem­ble que, dussé-je ne plus vous revoir en per­son­ne, votre chère appari­tion liée à mon cerveau m’accompagnera désor­mais sans cesse.[84]

 

Louise de Col­igny-Chatil­lon (com­po­si­tion)

 

La châte­laine snobe le trou­ba­dour qui insiste.[85]

 

Nîmes, le 18 octo­bre 1914

Au LAC de tes yeux très profond

Mon pau­vre cœur se noie et fond

Là le défont

Dans l’eau d’amour et de folie

Sou­venir et Mélancolie

 

Le 4 décem­bre 1914, écon­duit par sa belle, Guil­laume Apol­li­naire passe devant le con­seil de révi­sion où il renou­vèle sa demande de naturalisation.

Il est aus­sitôt incor­poré dans l’armée française au 38e rég­i­ment d’artillerie de Nîmes.

Quelques jours plus tard, motivée sans doute par l’uniforme, Madame de Col­igny rejoint le poète dans la cité romaine.

 

Apol­li­naire en uni­forme, médaillon

 

L’amour entre Guil­laume et Louise dure le temps d’un cycle de Lune.

En jan­vi­er 1915, Lou est lasse du sim­ple « deux­ième classe ».

Elle ren­tre à Nice.

 

“La nuit descend”, fac-sim­ilé (jan­vi­er 1915)

 

Le « 2e canon­nier con­duc­teur Kostrow­itzky, 70e bat­terie, 38e RAC, 15e brigade d’artillerie, 15e corps, armée française » (on dirait du Satie), lui écrit sans cesse.

Lou s’en désintéresse.

 

 

Guil­laume part au front dans l’espoir de regag­n­er le cœur de Louise.

La manœu­vre a déjà fait ses preuves …

Cette fois, Apol­li­naire reçoit des galons de brigadier.

 

4 févri­er 1915

Vous partez ? Oui ! c’est pour ce soir

Où allez-vous ? Reims ou Belgique !

Mon voy­age est un grand trou noir

A tra­vers notre République

C’est tout ce que j’en peux savoir

 

Et pour­tant, dans la nuit du 26 au 27 avril 1915, Guil­laume écrit encore :

 

“La nuit s’achève” fac-similé

 

La tête étoilée

 

À présent, c’est à une jeune femme orig­i­naire d’Algérie – Jolie bizarre enfant chérie[86]— que Guil­laume s’adresse. Il a voy­agé avec elle dans un train au tout début de l’an­née 1915. Madeleine Pagès, vingt-et-un an, en vacances sur la Côte d’Azur ren­trait dans sa famille à Oran.

 

Médail­lon Madeleine Pagès

 

11 mai 1915

Le VRAI, mon Enfant, c’est ton Rêve …

Tout meurt, mon Cœur, la joie est brève

 

Pre­mier juin 1915

Une nou­velle human­ité est en train de se créer plus sen­si­ble plus volon­taire plus libre plus amoureuse 

cette human­ité neuve c’est la spi­rale plus céleste que l’oiseau c’est l’ange même 

et l’ancienne human­ité la déteste et veut la tuer

Guil­laume Apol­li­naire, dessin sur le front

 

Le 2 juil­let 1915, Remy de Gour­mont[87] chronique un petit recueil de poèmes (Case d’Armons) qu’il vient de recevoir[88] :

« Il m’est arrivé du front, l’autre jour, un livre bien sin­guli­er et qui restera prob­a­ble­ment une des curiosités de la guerre, d’abord par son orig­ine, ensuite par bien d’autres motifs : son titre, sa com­po­si­tion, son tirage très restreint, son goût sin­guli­er. Naturelle­ment, il n’est pas imprimé, mais seule­ment tiré au poly­copiste […] Quant à l’auteur, c’est Guil­laume Apol­li­naire, qui, en devenant canon­nier, n’a pas cessé d’être le poète étrange que l’on con­naît. […] Je trou­ve mer­veilleux qu’artilleurs ou fan­tassins n’en soient pas davan­tage grisés ou aba­sour­dis et gar­dent au milieu du car­nage ou de la tem­pête des bruits et des éclairs, le soin de rester eux-mêmes et de con­tin­uer avec une tran­quil­lité, presque insul­tante à nos émois, l’exercice de leur tal­ent ! Ils sont restés eux-mêmes et pour­tant ce sont d’autres hommes… »[89]

 

Une femme qui pleurait,

Eh ! Oh ! Ah !

Des sol­dats qui passaient

Eh ! Oh ! Ah !

Un éclusi­er qui pêchait

Eh ! Oh ! Ah !

Les tranchées qui blanchissaient

Eh ! Oh ! Ah !

Des obus qui pétaient

Eh ! Oh ! Ah !

Des allumettes qui ne pre­naient pas

Et tout

A changé

En moi

Tout

 Sauf mon amour

Eh ! Oh ! Ah ! [90]

 

Le 10 août 1915, à la suite d’un échange épis­to­laire soutenu[91], Guil­laume Apol­li­naire demande la main de Madeleine à sa mère :

 

Aux Armées, le 10 août 1915

Madame,

Madeleine vous a par­lé de moi. Je l’adore, elle m’aime. Je veux la ren­dre heureuse.

J’ai l’honneur de vous prier de m’accorder sa main.

J’attends votre réponse avec une très grande anxiété …

 Guil­laume de Kostrow­itzky

Brigadier au 38e Rég­i­ment d’Artillerie de cam­pagne[92]

 

Guil­laume Apol­li­naire par Pablo Picasso

 

Tout, sauf mon amour

 

Le 20 novem­bre 1915, Guil­laume Apol­li­naire, pro­mu maréchal des logis, rejoint le 96e rég­i­ment d’infanterie. Fan­tassin, il vit dans les tranchées avec ses compagnons.

 

À la fin du mois de décem­bre, Guil­laume part en per­mis­sion. Il embar­que à Mar­seille sur le Sidi-Brahim pour rejoin­dre Madeleine en Algérie.

 

Madeleine Pagès et Guil­laume Apol­li­naire à Oran

 

Le 12 jan­vi­er 1916, Guil­laume Apol­li­naire retrou­ve son rég­i­ment à Damery, près d’Épernay.

 

Guil­laume Apol­li­naire par lui-même

 

Le 9 mars 1916, le maréchal des logis Kostrow­itzky dit « Guil­laume Apol­li­naire » est enfin nat­u­ral­isé français.

Le 17, vers 16 heures, dans une tranchée du bois des Buttes, sur le front de l’Aisne, un éclat d’obus troue le casque puis le crâne du poète à la tempe droite.

 

Casque troué

 

Le 18, Guil­laume Apol­li­naire est évac­ué & dirigé vers l’Hôtel-Dieu de Château-Thier­ry ; puis au Val-de-Grâce, à Paris.

 

Bil­let grif­fon­né par Apol­li­naire dans l’ambulance à l’intention du cour­riériste lit­téraire qui tient à jour pen­dant la guerre le Bul­letin des Écrivains militaires.

 

Le Poète Assassiné

 

Le 9 mai 1916, Guil­laume Apol­li­naire est trans­porté à la vil­la Molière, une annexe du Val-de-Grâce, boule­vard de Mont­moren­cy, à Auteuil, où il est tré­pané[93] par le doc­teur Baudet.

 

Guil­laume à l’hôpital

 

Le 10 mai, le poète reçoit la vis­ite d’un étu­di­ant en médecine pas­sion­né de « psy­cho­analyse »[94] — et qui l’admire : André Bre­ton.[95]

 

Le lende­main, Guil­laume envoie un télé­gramme à Madeleine pour l’informer que l’opération s’est bien passée. Il n’ose pas lui avouer qu’il n’a plus l’intention de l’épouser : Je ne suis plus ce que j’étais à aucun point de vue et si je m’écoutais je me ferais prêtre ou religieux.[96]

 

Guil­laume blessé

 

En août, Guil­laume Apol­li­naire est de retour par­mi les siens — poètes & pein­tres & péquins — que l’on trou­ve à présent dans les cafés de Montparnasse.

 

Le Poète Assas­s­iné (nou­velles & con­tes ; 1910–1916) sort en octo­bre avec un por­trait de l’auteur par André Rou­veyre et une cou­ver­ture de Cap­piel­lo.[97]

 

 

 

Le 31 décem­bre 1916, un ban­quet est servi en l’honneur d’Apollinaire au Palais d’Orléans, avenue du Maine (où l’on avait célébré le Pau­vre Lelian[98] en son temps …)

 

Menu du ban­quet et sig­na­tures autographes

 

Au début de l’année 1917, Apol­li­naire, qui n’a pas été dégagé de ses oblig­a­tions mil­i­taires mal­gré sa blessure, est détaché à la « Direc­tion générale des rela­tions (du Com­man­de­ment) avec la Presse », autrement dit : la Censure.

 

Le 16 févri­er 1917, Octave Mir­beau[99] meurt le jour de ses soix­ante-neuf ans.

 

Au print­emps de la même année, Blaise Cen­drars revient de la guerre amputé du bras droit. Le 4 avril, Apol­li­naire écrit à Picasso :

« Je suis très peiné avec Cen­drars. Tu sais com­bi­en j’aime ce garçon et com­bi­en je l’estime. Il prend main­tenant vis-à-vis de moi une atti­tude qui me cha­grine. J’ai essayé d’avoir une expli­ca­tion avec lui mais il n’y a pas eu moyen. Il m’en veut et je ne sais pourquoi. »[100]

 

Le 6 avril 1917, les États-Unis d’Amérique entrent en guerre aux côtés de la Triple Entente (France & Roy­aume-Uni & Russie.)

 

Le 7 mai 1917, René Dupuy dit « René Dal­ize » — le plus ancien cama­rade de Wil­helm de Kostrow­itzky — meurt au Chemin des Dames.

Guil­laume Apol­li­naire écrit :

Main­tenant tout est énorme

Et il me sem­ble que la paix

Sera aus­si mon­strueuse que la guerre

Ô temps de la tyrannie

Démoc­ra­tique

Beau temps où il fau­dra s’aimer les uns les autres

Et n’être aimé de per­son­ne[101]

 

Le 11 mai 1917, Guil­laume Apol­li­naire emploie le mot sur-réal­isme dans le pro­gramme du bal­let Parade imag­iné par Jean Cocteau[102], décor et cos­tumes de Pablo Picas­so, musique d’Érik Satie, choré­gra­phie de Leonid Mas­sine pour les Bal­lets russ­es de Diaghilev.

Un néol­o­gisme qu’Apollinaire réu­tilise un mois plus tard pour qual­i­fi­er Les Mamelles de Tire­sias (Thérèse change de sexe tan­dis que son mari perd l’accent belge et accouche de leurs 40 050 enfants) : drame sur-réal­iste en deux actes et un pro­logue, chœurs, musique et cos­tume selon l’esprit nou­veau.[103]

 

Le 18 mai 1917, la créa­tion de Parade au Théâtre du Châtelet est un suc­cès de scan­dale. (Cf. la série Érik Satie.)

Alors que les mutiner­ies dans l’armée se propa­gent, don­nant lieu à des exé­cu­tions scélérates, la pochade pour hap­py-few n’est pas digne de l’écœurement général.

 

 

Guil­laume Apol­li­naire col­la­bore à dif­férentes revues poé­tiques : Sic (de Pierre Albert-Birot) ; 391 (de Fran­cis Picabia) ; Nord-Sud (de Pierre Reverdy).

 

Le Mer­cure de France édite une pla­que­tte de Guil­laume Apol­li­naire inti­t­ulée Vitam empen­dere amori & illus­trée par André Rouveyre.

 

Nota Bene : le film ci-dessous est ines­timable, nous vous con­seil­lons vive­ment de le regarder in exten­so (ci-dessous, il com­mence 13 min­utes avant la fin avec André Rouveyre).

À la recherche de Guil­laume Apol­li­naire, réal­isé par Jean-Marie Drot, a été dif­fusé pour la pre­mière fois dans l’émission de l’ORTF « L’Art et les Hommes » le 29 mai 1960.

Un grand MERCI à la chaîne Éclair Brut du poète vivant Arthur Yas­mine.

 

 

À l’été 1917, Guil­laume Apol­li­naire tombe amoureux d’Amélia Emma Louise Kolb, dite « Jacque­line », alias Ruby. Il quitte la Cen­sure pour le cab­i­net du min­istre des Colonies.

 

En octo­bre-novem­bre, la révo­lu­tion bolchévique de Lénine & Trot­s­ki boule­verse la géopoli­tique mondiale.

 

Calligrammes

 

En jan­vi­er 1918, Guil­laume Apol­li­naire pré­face le cat­a­logue de l’exposition « Matisse et Picas­so » à la galerie Paul Guillaume.

Il est admis une sec­onde fois à la vil­la Molière pour une con­ges­tion pulmonaire.

 

Au mois d’avril, cinq ans après Alcools et tou­jours au Mer­cure de France, Guil­laume Apol­li­naire pub­lie un sec­ond chef‑d’œuvre : Cal­ligrammes — Poèmes de la paix et de la guerre (1913–1916) -, dédié à René Dalize.

 

 

Le 2 mai 1918, Guil­laume épouse Ruby, sa jolie rousse, en l’église Saint-Thomas d’Aquin. Pablo Picas­so & Lucien Descav­es[104] sont témoins du mar­ié ; Gabrielle Buf­fet-Picabia[105] & Ambroise Vol­lard[106] sont témoins de la mariée.

 

 

 

Lun­di 1er juil­let, Guil­laume Apol­li­naire est témoin au mariage de Pablo Picas­so et Olga Khokhlo­va (1891, Nijyn — 1955, Cannes) danseuse aux Bal­lets russ­es de Serge de Diaghilev.

Le 25, sur ordre du sovi­et de l’Oural, Nico­las II, dernier Tsar de Russie, est exé­cuté sans procès puis jeté dans un puits de mine avec tous les siens.

 

L’agent grippal

 

Le 28 octo­bre 1918, la femme d’Egon Schiele[107] (Édith, enceinte de six mois) meurt de la grippe dite « espag­nole ». Trois jours plus tard, le pein­tre autrichien de vingt-huit ans suc­combe lui aus­si à la même maladie.

 

Egon Schiele, « La famille » (1918)

 

L’Espagne, non-bel­ligérante, est un des rares pays européens dont les jour­naux ne sont pas cen­surés, c’est pourquoi il est le seul à par­ler ouverte­ment de l’épidémie qui devient, de ce fait, « espagnole ».

Les pre­miers cas ont été iden­ti­fiés en mars 1918 dans le Kansas, aux États-Unis d’Amérique. Puis le virus est arrivé en Europe avec le trans­port des troupes par bateaux mil­i­taires ; au mois de juin, la grippe était mon­di­ale (Inde, Chine, Océanie, Afrique).

La grippe dite « espag­nole » est, à ce jour, devant la Peste noire du 14e siè­cle occi­den­tal, la pandémie la plus meur­trière de l’histoire humaine. Elle a duré trois ans, a fait 50 mil­lions de morts en Europe, près de 100 mil­lions dans le monde (les chiffres vari­ent selon les sources ; tous con­vi­en­nent que l’agent grip­pal a été plus mor­tel que la guerre mondiale).

Face à la cat­a­stro­phe, les rumeurs vont bon train … On pré­tend qu’après le gaz moutarde les Alle­mands ont inven­té une nou­velle arme bac­téri­ologique dis­simulée dans les sachets d’aspirine du lab­o­ra­toire phar­ma­ceu­tique Bayer …

 

Virus H1N1

 

Le 3 novem­bre 1918, Guil­laume Apol­li­naire, déjà très affaib­li par sa blessure à la tête, est atteint par le virus H1N1.

Il s’alite dans son apparte­ment du 202 boule­vard Saint-Ger­main. Sa femme Jacque­line, ses amis Max Jacob & Pablo Picas­so le veil­lent jour & nuit.

 

Intérieur du 202 boule­vard Saint-Germain

 

Guil­laume Apol­li­naire meurt le 9 novem­bre 1918 à 17 heures.

Le 13, ses obsèques sont célébrées en l’église Saint-Thomas d’Aquin où Gui et Ruby s’étaient mar­iés six mois auparavant.

Il est enter­ré au cimetière du Père-Lachaise — 23e rangée, 89e divi­sion, 5e ligne, 25e place.

 

« La mort de Guil­laume Apol­li­naire […] changea pro­fondé­ment la vie de tous ses amis, sans par­ler même du cha­grin qu’elle leur causa. C’était juste après la guerre quand tout était sens dessus dessous, et que cha­cun s’en allait de son côté. Guil­laume aurait servi de trait d’union ; il avait le don de grouper les gens ; mais main­tenant il était mort et les ami­tiés se relâchèrent. Mais tout cela arri­va beau­coup plus tard, et main­tenant il faut que je revi­enne à mon com­mence­ment, à la pre­mière ren­con­tre de Gertrude Stein avec Marie Lau­rencin et Guil­laume Apol­li­naire. »[108]

 

©Féli­cieDubois, avril 2021


[1] Il s’agissait de l’empereur alle­mand Guil­laume II, bien sûr, le dernier roi de Prusse « … il fai­sait chaud, les fenêtres étaient ouvertes et la foule, qui emplis­sait la rue, cri­ait : À bas Guil­laume ! et comme tout le monde avait tou­jours appelé Guil­laume Apol­li­naire Guil­laume, même dans son ago­nie cela lui fai­sait mal. » Gertrude Stein, Auto­bi­ogra­phie d’Alice Tok­las (Gal­li­mard, 1934).

[2] Le géni­teur de Wil­helm & Albert a été iden­ti­fié par Pierre-Mar­cel Adé­ma dans Guil­laume Apol­li­naire le mal aimé (Plon, 1952) comme étant le comte Francesco Flu­gi d’Aspermont, offici­er ital­ien. Les deux frères ne l’ont jamais su ; ils sont morts tous les deux sans ascen­dance ni descendance.

[3] Guil­laume Apol­li­naire, Zone — in : Alcools (Mer­cure de France,1913).

[4] Guil­laume Apol­li­naire, L’Enchanteur pour­ris­sant, édi­tion de luxe illus­trée de gravure sur bois par André Derain (Hen­ry Kah­n­weil­er, 1909). Nota bene : dans le recueil posthume de Guil­laume Apol­li­naire inti­t­ulé Le Guet­teur mélan­col­ique (Gal­li­mard, 1952) plusieurs textes inédits ont été regroupés sous le titre « Stavelot » — écrits en même temps que L’Enchanteur pour­ris­sant mais exclus alors du corpus.

[5] Il existe aujourd’hui à Stavelot un musée dédié à Guil­laume Apol­li­naire, instal­lé ini­tiale­ment en 1954 dans une salle de l’ancienne Pen­sion Con­stant, puis trans­féré en 2002 dans l’ancienne Abbaye.

[6] Alfred Jar­ry, Ubu Roi — pièce en cinq actes (Mer­cure de France, 1896).

[7] Nuit Rhé­nane, pre­mier poème du cycle des Rhé­nanes, qui en compte neuf, in : Alcools (Mer­cure de France, 1913). Nota bene : dans le recueil posthume inti­t­ulé Le Guet­teur mélan­col­ique (Gal­li­mard, 1952) une par­tie inti­t­ulée « Rhé­nanes » com­plètes les Rhé­nanes d’Alcools avec des poèmes qu’Apollinaire avait ini­tiale­ment écartés.

[8] Émile Zola sera trans­féré au Pan­théon le 4 juin 1908.

[9] Thadée Natan­son (1868, Varso­vie – 1951, Paris) cofon­da­teur, avec ses frères Alexan­dre et Louis-Alfred, de La Revue Blanche (1889–1903) ; revue lit­téraire fran­co-belge de sen­si­bil­ité anarchiste.

[10] Guil­laume Apol­li­naire, Cors de chas­se — in : Alcools, op. cit.

[11] Alfred Jar­ry (1873, Laval — 1907, Paris) écrivain & dra­maturge ; alias Doc­teur Faus­troll, pataphysicien.

[12] Recon­nu par l’UNESCO, l’Espéranto est aujourd’hui par­lé sur les cinq continents.

[13] Guil­laume Apol­li­naire, La Vic­toire — in : Cal­ligrammes (Mer­cure de France, 1918).

[14] Cité par Lau­rence Cam­pa dans son indis­pens­able biogra­phie de Guil­laume Apol­li­naire pub­liée en 2013 aux édi­tions Gallimard.

[15] Numéros 5 à 9 (de mars à août 1904).

[16] Mau­rice de Vlam­inck (1876, Paris — 1958, Rueil-la-Gadelière) pein­tre fauve & cubiste.

[17] André Derain (1880, Cha­tou — 1954, Garch­es) pein­tre & graveur & déco­ra­teur pour Serge de Diaghilev.

[18] Fer­nande Olivi­er, Picas­so et ses amis (Stock, 1933).

[19] Mar­cel Schwob (1867, Chav­ille — 1905, Paris) homme de let­tres proche des symbolistes.

[20] Mar­guerite Moreno (1871, Paris — 1948, Touzac) « mon­stre sacré » sur les planch­es, elle fut la muse des poètes sym­bol­istes et l’amie intime de Colette.

[21] … Gabrielle Wit­tkop non plus (CF le Mémo Gabrielle Wit­tkop.)

[22] André Bre­ton, Antholo­gie de l’humour noir (Jean-Jacques Pau­vert, 1966).

[23] Note du 27 févri­er 1907, citée par Lau­rence Cam­pa — in : Guil­laume Apol­li­naire (Gal­li­mard, 2013).

[24] Fer­nande Olivi­er, Picas­so et ses amis (Stock, 1933).

[25] Georges Braque (1882, Argen­teuil — 1963, Paris) pein­tre cubiste.

[26] Cité par Lau­rence Cam­pa, in : Apol­li­naire op. cit.

[27] Fer­nande Olivi­er, op.cit.

[28] Guil­laume Apol­li­naire, Les Collines — in : Cal­ligrammes (Mer­cure de France, 1918).

[29] Georges Fail­let dit « Fagus » (1872 — 1933), poète fantaisiste.

[30] Octave Mir­beau (1848, Trévières – 1917, Paris) écrivain & jour­nal­iste (CF https://mirbeau.asso.fr & https://www.mirbeau.org )

[31] Guil­laume Apol­li­naire, in : Les Marges, « Con­tem­po­rains pit­toresques » n°18, novem­bre 1909 ; repris dans Œuvres en pros­es, tome III, Bib­lio­thèque de la Pléi­ade (Gal­li­mard, 1993).

[32] Gertrude Stein (1874, Alleghe­ny West Penn­syl­vanie — 1946, Neuil­ly-sur-Seine près de Paris) OVNI.

[33] Le café Fau­vet, rue des Abbesses.

[34] Gertrude Stein, Auto­bi­ogra­phie d’Alice Tok­las (Gal­li­mard, 1934).

[35] Fer­nande Olivi­er, op. cit.

[36] Gertrude Stein, op. cit.

[37] Paroles mémorables, s’il en est, de Mau­rice Crem­nitz (1875, Hon­grie — 1935, Paris) poète & cri­tique d’art sous le nom de Mau­rice Chevrier.

[38] Fer­nande Olivi­er, Picas­so et ses amis, op. cit.

[39] Ibidem.

[40] André Salmon, in : n° 32 de la revue Bra­vo (août 1931).

[41] Cat­ulle Mendès (1841, Bor­deaux — 1909, Saint-Ger­main-en-Laye) écrivain par­nassien & wag­nérien / CF la série Vil­liers de l’Isle-Adam.

[42] Guil­laume Apol­li­naire, L’Hérésiarque et Cie (Stock, 1910).

[43] Louise Lalanne dis­paraî­tra comme elle était apparue dans les pages des Marges qui pub­lieront cette annonce, en jan­vi­er 1910 : « Louise Lalanne vient d’être enlevée par un offici­er de cav­a­lerie (…) Nul ne sait où elle est passée. » Cité par Lau­rence Cam­pa, in : Apol­li­naire (Gal­li­mard 2013).

[44] Judith Gau­ti­er (1845, Paris — 1917, Dinard), femme de let­tres, fille de Théophile Gau­ti­er, amie de Vil­liers de l’Isle-Adam, épouse de Cat­ulle Mendes.

[45] Anna de Noailles (1876/1933, Paris) poétesse comtesse, ou l’inverse.

[46] André Bil­ly, Guil­laume Apol­li­naire (Poètes d’aujourd’hui/Seghers, 1947).

[47] Le nou­veau Mer­cure de France — revue lit­téraire, puis mai­son d’édition — a été refondé par Alfred Val­lette (1858–1935, Paris) qui en fut le directeur de 1890 à 1935 avec son épouse Mar­guerite Eymery (1860, Château‑l’Évêque — 1953, Paris) dite « Rachilde, homme de let­tres », roman­cière aus­si pro­lixe que sul­fureuse, cri­tique lit­téraire & salon­nière /CF le Mémo con­sacré à Alfred Jar­ry à paraître ICI un jour ou l’autre.

[48] Guil­laume Apol­li­naire, La Chan­son du Mal-Aimé – in : Alcools (Mer­cure de France, 1913).

[49] « Trem­per sa soupe » autrement dit : avoir des rela­tions sex­uelles. Expres­sion argo­tique passée de mode.

[50] André Bil­ly (1882, Saint-Quentin — 1971, Fontainebleau) cri­tique littéraire.

[51] André Bil­ly, Guil­laume Apol­li­naire, op. cit.

[52] L’Intransigeant, quo­ti­di­en du soir (1880–1940) de gauche puis de droite.

[53] Guil­laume Apol­li­naire, Impres­sions d’un inondé — in : L’Intransigeant, 25 jan­vi­er 1910 (Source Gallica/BNF).

[54] Paris-Jour­nal (1908–1933) quo­ti­di­en du matin « poli­tique et littéraire ».

[55] Guil­laume Apol­li­naire, La Seine à faire — in – Paris-Jour­nal, 27 jan­vi­er 1910 (Source Gallica/BNF).

[56] Louis Per­gaud (1882, Bel­mont — 1915, Marchéville) auteur de La Guerre des bou­tons (Mer­cure de France, 1912).

[57] Raoul Dufy (1877, Le Havre — 1953, For­calquier) pein­tre nor­mand ami d’Albert Mar­quet, pein­tre cubiste ami de Gorges Braque, col­lab­o­ra­teur du cou­turi­er Paul Poiret, auteur de La Fée élec­tric­ité (1937).

[58] André Bil­ly, op. cit.

[59] On retrou­vera la Joconde deux ans plus tard à Flo­rence, chez un pein­tre en bâti­ment, Vin­cen­zo Perug­gia, qui pré­ten­dra avoir agit par patriotisme.

[60] La Libre Parole, quo­ti­di­en anti­sémite fondé par Édouard Dru­mont en 1892 dont le slo­gan « La France aux Français » con­naî­tra un cer­tain suc­cès … L’Action Française, quo­ti­di­en nation­al­iste & roy­al­iste fondé par Charles Mau­r­ras en 1908 et inter­dit à la Libéra­tion en 1944 ; notam­ment, ce sont les plus vir­u­lents, mais ils ne sont pas seuls.

[61] Pas­cal Pia, Apol­li­naire par lui-même, Écrivains de toujours/Seuil (1967).

[62] Guil­laume Apol­li­naire, Zone – in : Alcools (Mer­cure de France, 1913).

[63] Guil­laume Apol­li­naire, Mes pris­ons – in : Paris-Jour­nal (14 sep­tem­bre 1911).

[64] Gertrude Stein, Auto­bi­ogra­phie d’Alice Tok­las, (Gal­li­mard, 1934).

[65] Guil­laume Apol­li­naire, Le Flâneur des Deux Rives (Gal­li­mard, 1928).

[66] Les Soirées de Paris, revue men­su­elle (1912–1914), tel un phénix, a ressus­cité il y a une dizaine d’années grâce à Philippe Bon­net / CF https://www.lessoireesdeparis.com/a‑propos/

[67] Fran­cis Picabia (1879–1953, Paris) artiste dada & surréaliste.

[68] Fred­er­ic Louis Sauser dit « Blaise Cen­drars » (1887, La-Chaux-de-Fonds, — 1961, Paris) écrivain-voyageur & fran­co-suisse ; nous y reviendrons.

[69] Blaise Cen­drars, Les Pâques – in : Les Hommes nou­veaux, 1912. Remar­quable poème réédité sous le titre Les Pâques à New-York – in : Du monde entier (Gal­li­mard, 1919).

[70] René Dal­ize, Les vieux ont soif – in : Les Soirées de Paris, cité par Lau­rence Cam­pa, op. cit.

[71] Pierre Reverdy (1889, Nar­bonne — 1960, Solesmes) poète cubiste & surréaliste.

[72] André Bil­ly, op. cit.

[73] Albert Kostrow­itzky (1882, Rome — 1919, Mex­i­co) « agent de négoce » (selon le cer­ti­fi­cat de décès retrou­vé récem­ment) est mort au Mex­ique le 4 juin 1919 d’une pluri-infec­tion (sep­ticémie-phlébite-typhus) CF https://www.lessoireesdeparis.com/

[74] Paul Fort (1872, Reims — 1960, Montl­héry) poète sym­bol­iste ; co-fon­da­teur, avec Lugné-Poe, du Théâtre de l’Œuvre, à Paris ; co-créa­teur, avec Jean Moréas et André Salmon, de la revue Vers et Prose (1905–1914) ; organ­isa­teur des fameuses soirées lit­téraires du mar­di, à La Closerie des Lilas, pen­dant la Belle Époque.

[75] Guil­laume Apol­li­naire, Vendémi­aire — in : Alcools, op. cit.

[76] CF Apollinaire/Épisode 2.

[77] André Rou­veyre (1879, Paris — 1962, Bar­bi­zon) dessi­na­teur de presse.

[78] Jean Jau­rès, dis­cours de Lyon-Vaise (25 juil­let 1914).

[79] L’Humanité — quo­ti­di­en social­iste créé par Jean Jau­rès en avril 1904, auquel ont col­laboré, entre autres dis­tin­gués : Jules Renard, Tris­tan Bernard, Octave Mir­beau, Ana­tole France, Lau­rent Tail­hade, Léon Blum, Aris­tide Briand … Avec un feuil­leton de George Sand & des illus­tra­tions de Théophile Alexan­dre Steinlen (1859, Lau­sanne — 1923, Paris). Cent dix-sept ans plus tard, dif­férent, L’Humanité est tou­jours présent.

[80] Raoul Vil­lain (1885, Reims — 1936, Ibiza) est arrêté après le meurtre ô com­bi­en prémédité de Jean Jau­rès. L’abruti revendique un geste patri­o­tique ; il passera toute la guerre en prison … et tan­dis que le fils de Jau­rès, Louis, vingt ans, meurt au Champ d’Honneur en juin 1918, Vil­lain est acquit­té le 29 mars 1919. Nota Bene : le corps de Jean Jau­rès sera trans­féré au Pan­théon en 1924.

[81] La Côte fleurie :  côte mar­itime nor­mande qui va de Cabourg à Deauville (et vice-versa).

[82] Blaise Cen­drars, La Main coupée (Denoël, 1946).

[83] Guil­laume Apol­li­naire, C’est Lou qu’on la nom­mait — in : Cal­ligrammes (Mer­cure de France, 1918).

[84] Guil­laume Apol­li­naire, Let­tres à Lou — édi­tion revue & aug­men­tée par Lau­rence Cam­pa (L’Imaginaire/Gallimard, 2010).

[85] Les cita­tions suiv­antes, indiquées en italique, sont extraites du recueil Ombre de mon Amour (Pierre Cailler, Genève, 1947) réédité sous le titre Poèmes à Lou (Gal­li­mard, 1955).

[86] Guil­laume Apol­li­naire, Ombre de Mon Amour (Pierre Cailler, Genève, 1947).

[87] Remy de Gour­mont (1858, Argen­tan — 1915, Paris) homme de let­tres proche des sym­bol­istes, grande fig­ure du Mer­cure de France. Nous y reviendrons.

[88] La pre­mière édi­tion à 25 exem­plaires de Case d’Armons a été poly­copiée sur papi­er quadrillé, à l’encre vio­lette, au moyen de géla­tine, à la bat­terie de tir, devant l’ennemi. L’ensemble sera repris dans le recueil Cal­ligrammes (Mer­cure de France, 1918).

[89] Remy de Gour­mont, « Le poète canon­nier » — in : Dans la tour­mente (Crès, 1916).

[90] Guil­laume Apol­li­naire, Muta­tion – in : Case d’Armons (Cal­ligrammes, Mer­cure de France, 1918).

[91] Ten­dre comme le sou­venir, Let­tres de Guil­laume Apol­li­naire à Madeleine Pagès (Gal­li­mard, 1952).

[92] Cité par Lau­rence Cam­pa — in : Apol­li­naire (Gal­li­mard, 2013).

[93] La tré­pa­na­tion con­siste à ouvrir la boîte crâni­enne de façon cir­cu­laire avec un tré­pan, instru­ment chirur­gi­cal per­me­t­tant de per­for­er les os sans percer le cerveau.

[94] La « psy­cho­analyse » est une sci­ence humaine qui vient d’être inven­tée par Sig­mund Freud à Vienne …

[95] André Bre­ton (1896, Tinche­bray — 1966, Paris) poète & écrivain, chef de file du Surréalisme.

[96] Cité par Pas­cal Pia dans Apol­li­naire par lui-même (Écrivains de tou­jours / Seuil, 1967).

[97] Guil­laume Apol­li­naire, Le Poète Assas­s­iné (L’Édition Bib­lio­thèque des Curieux, 1916) ; réédité en 1945 aux édi­tions Gallimard.

[98] Ana­gramme de « Paul Ver­laine », surnom que le Prince des Poètes s’était don­né à la fin de sa vie.

[99] Nous croi­sons sou­vent Octave Mir­beau, de Mémo en Mémo, sans pren­dre le temps de nous arrêter ; pour cela CF le blog de l’ami Pierre Michel.

[100] Apol­li­naire à Picas­so, 4 avril 1917 (cité par Lau­rence Cam­pa dans son Apol­li­naire, op.cit.)

[101] Guil­laume Apol­li­naire, « Orphée » in : Revue nor­mande (avril-mai 1917).

[102] Con­cer­nant la rela­tion de Guil­laume Apol­li­naire avec Jean Cocteau, CF le Mémo « Max Jacob » à paraître prochainement.

[103] Cité par Lau­rence Cam­pa – in : Apol­li­naire, op. cit.

[104] Lucien Descav­es (1861–1949, Paris) écrivain libertaire.

[105] Gabrielle Buf­fet-Picabia ((1881, Fontainebleau — 1985, Paris) musi­ci­enne ; épouse de Fran­cis Picabia, maîtresse de Mar­cel Duchamp.

[106] Ambroise Vol­lard (1866, Saint-Denis de La Réu­nion — 1939, Ver­sailles) marc­hand d’art.

[107] Egon Schiele (1890, Tulln an der Donan — 1918, Vienne) dessi­na­teur & pein­tre expressioniste.

[108] Gertrude Stein, Auto­bi­ogra­phie d’Alice Tok­las (Gal­li­mard, 1934).