Max Jacob /1

Max Jacob /1

7 septembre 2021 4 Par Félicie Dubois

MAX JACOB

1876 — 1944

I

 

Max Alexan­dre est né le 12 juil­let[1] 1876 à Quim­per, dans le Fin­istère, en Bre­tagne, qua­trième d’une fratrie de sept enfants.

Max Jacob est mort le 5 mars 1944 au camp d’internement de Dran­cy, à une ving­taine de kilo­mètres de Paris, quelques mois après son frère aîné Gas­ton et sa sœur cadette Myrté-Léa, déportés & exter­minés à Auschwitz.

(Audio Arthur Honneger)

 

La Bretagne est un miracle

 

Au début du dix-neu­vième siè­cle, Samuel Alexan­der (1811–1889) & Myrthe-Léa May­er (1818–1884) quit­tent l’Allemagne pour Paris en pas­sant par la Lorraine.

Le 28 jan­vi­er 1847, Lazare, futur père de Max, naît à Tours en Touraine.

En 1858, la famille Alexan­der s’installe à Quimper.

 

Jacob frères, Quimper

 

Samuel Alexan­der est tailleur pour hommes. Dans le même immeu­ble, 8 rue du Parc, con­tiguë du Grand Hôtel de L’Épée, sur le quai de l’Odet, il tient aus­si une bou­tique d’antiquités (Vieux meubles — Curiosités locales — Den­telles — Cos­tumes bre­tons — Tapis­series). Son fils Lazare tra­vaille avec lui.

 

Max Jacob, “Por­trait de son père Lazare” (lavis d’en­cre de chine sur car­ton, 1894)

 

En 1871, Lazare Alexan­der, Quim­pérois de vingt-qua­tre ans, épouse Pru­dence Jacob, Parisi­enne de vingt-deux ans. L’année suiv­ante, le cou­ple donne nais­sance à Julie-Del­phine Jacob-Alexander.

 

En 1873, le gou­verne­ment de la Troisième République décerne à Lazare Alexan­dre la nation­al­ité française pour « bons et loy­aux ser­vices » — à cause que, pen­dant la guerre de 70, le jeune homme s’était engagé dans les Mobiles bre­tons, aux­il­i­aires de l’armée active.

 

En 1874, Julie-Del­phine accueille un petit frère : Maurice.

Gas­ton naît en 1875, tou­jours à Quimper.

Le 12 juil­let 1876, Max voit le jour à son tour.

 

Bébé Max

 

Puis vien­dront Jacques (en 1880) et Myrté-Léa (en 1884) ; enfin, du 10 juil­let au 1er sep­tem­bre 1887, passera Suzanne …

Les enfants Alexan­dre auraient dû être sept, ils seront six.

 

Pru­dence Jacob, unique pho­togra­phie con­nue de la mère de Max, non datée.

 

En 1888, la famille Alexan­dre prend offi­cielle­ment le nom de Jacob, celui de Pru­dence, pour une rai­son « stricte­ment com­mer­ciale » (pré­cise Hélène Hen­ry) : « … asso­ciés à des cousins Jacob de Lori­ent, les Alexan­dre sont con­nus sous le nom de messieurs Jacob. »[2]

À moins que ce ne soit, pour le père de Max, « une façon de con­serv­er des traces de son orig­ine israélite grâce à un des noms bre­tons[3] pris dans l’Ancien Tes­ta­ment » (com­mun aux Juifs et aux Chré­tiens)[4] — comme le sug­gère François Caradec[5], Bre­ton lui-même.

 

Max Jacob, « Fêtes de Quim­per » (gouache sur papi­er, 1925) ©Musée des Beaux-Arts de Quimper

 

À l’instar du comte VILLIERS DE L’ISLE-ADAM, barde bre­ton de trente-huit ans son aîné, Max Jacob est fasciné par les cal­vaires[6] & les roga­tions[7].

Oui ! j’ai aimé pas­sion­né­ment le catholi­cisme dans mon enfance. Les pro­ces­sions à Quim­per me sem­blaient ce qu’on peut voir de plus beau au monde — écrit Max Jacob à René Vil­lard.[8]

Puis, dans La Défense de Tartufe[9] :

… j’étais élevé dans le coin le plus catholique de France : le cœur de notre mai­son n’était guère séparé de la cathé­drale, à toute heure j’en aperce­vais les flèch­es goth­iques toutes dorées le soir par les cré­pus­cules, toutes blanch­es de lune la nuit. À toute heure, j’entendais les cloches et mes frères et sœurs et moi nous savions dis­tinguer les son­ner­ies des mariages ou des bap­têmes, de l’angélus, des annonces de fêtes ou des dif­férentes class­es d’enterrements.[10]

 

Max Jacob, « Auto­por­trait enfant » (non daté) ©Bib­lio­thèque Jacques Doucet

 

En 1894, Max Jacob obtient son Bac à Quimper.

 

Max Jacob au lycée de La Tour d’Auvergne à Quim­per (pho­to de classe, 1894)

 

Le cap­i­taine Alfred Drey­fus est arrêté pour haute trahi­son et con­damné au bagne à per­pé­tu­ité sur l’île du Dia­ble, en Guyane.

Max Jacob monte à Paris.

 

La Bohème

 

En 1895, Max Jacob est étu­di­ant en Droit et à l’École Colo­niale de Paris (comme avant lui son frère aîné Mau­rice, dit « L’Africain », admin­is­tra­teur civ­il au Sénégal.)

Pourquoi l’École colo­niale ? me direz-vous — nous inter­roge-t-il. Je suis aus­si igno­rant que vous sur ce point. Au sor­tir du lycée de Quim­per on rêvait pour moi de l’École nor­male supérieure et j’ai tou­jours eu l’esprit de con­tra­dic­tion.[11]

[…] l’essentiel était de fuir le latin et le grec aux­quels des suc­cès de col­lège, en rhé­torique et en philoso­phie, sem­blaient vouloir me con­damn­er.[12]

 

En 1896, les études de Max sont inter­rompues par le ser­vice mil­i­taire ; à son grand désar­roi, le citoyen Jacob est réfor­mé pour insuff­i­sance pulmonaire.

Il quitte l’École Colo­niale, mais obtient sa licence en Droit.

 

Vue panoramique de l’exposition uni­verselle de 1900 (par Lucien Bey­lac, 1851–1913)

 

À Paris, sous le pseu­do­nyme de Léon David, Max Jacob s’improvise cri­tique d’art[13] ; il est secré­taire de rédac­tion au Sourire où règne le Prince des Fumistes : ALPHONSE ALLAIS.

 

En juin 1901, galerie Ambroise Vol­lard, rue Laf­fitte[14], Léon Max David Jacob s’enthousiasme pour la pre­mière expo­si­tion d’un jeune pein­tre cata­lan de cinq ans son cadet : Pablo Ruiz Picasso.

 

Pablo Picas­so, « His­toire claire et sim­ple de Max Jacob » (13 jan­vi­er 1903)

 

Max & Pablo vivent ensem­ble heureux et mis­éreux, boule­vard Voltaire ; ils n’ont qu’un seul lit : quand l’un se lève pour tra­vailler, l’autre se couche pour dormir.

 

Après les Poètes Mau­dits[15] de la fin du dix-neu­vième siè­cle, la Bohème du début du vingtième se rêve plus légère …

 

 

Max & Pablo sont dans un bateau

 

En 1904, Picas­so s’installe au Bateau-Lavoir — ain­si que Max a bap­tisé l’acropole bigar­rée du 13 rue Rav­i­g­nan, à Mont­martre, où vont et vien­nent les pein­tres Kees Van Don­gen, Juan Gris, Mau­rice de Vlam­inck, Hen­ri Matisse, le Douanier Rousseau, Georges Braque, André Derain, Fer­nand Léger, Marie Lau­rencin, Louis Mar­cous­sis, Moïse Kisling ; l’écrivain Pierre Dumar­chais alias Mac Orlan ; les poètes André Salmon[16] & Pierre Reverdy[17] & GUILLAUME APOLLINAIRE.

 

Le Bateau-Lavoir (dit aus­si La Mai­son du Trappeur) à Montmartre

 

Anci­enne man­u­fac­ture de piano, la bâtisse a été divisée en une dizaine d’ateliers loués à autant d’artistes & artisans.

… cette demeure qui n’avait pas d’étages vis­i­bles de l’extérieur avait des caves et des gre­niers et n’avait que cela,[18] écrit Max Jacob (lequel est hébergé par son petit frère Jacques, 33 boule­vard Barbès).

 

Max Jacob, « Com­mères des soirs d’été » (encre & cray­on sur papi­er, 1903)
©Musée des Beaux-Arts de Quimper

 

Pablo doit beau­coup à Max, racon­te Fer­nande Olivi­er.[19]

« C’est Max Jacob qui l’a soutenu, encour­agé, aidé, quand, tout jeune, il con­nais­sait une pro­fonde détresse — se sou­vient-elle. Lorsque Picas­so me l’eut présen­té, je regar­dai, un peu éton­née, ce petit homme sautil­lant, aux yeux bizarres et péné­trants sous les ver­res du lorgnon, céré­monieux, l’air con­tent de lui, et qui s’inclinait très bas le cha­peau à la main. […] De toute sa per­son­ne se dégageait un sen­ti­ment d’indéfinissable inquié­tude. Mais, avant tout, c’était un masque d’originalité intel­li­gente qui s’imposait. Les femmes l’avaient tou­jours effrayé, j’allais écrire intimidé, mal­gré l’impertinence qu’il affec­tait vis-à-vis d’elles. »[20]

 

1905 : vote de la loi de sépa­ra­tion des églis­es et de l’État.

1906 : réha­bil­i­ta­tion du cap­i­taine Alfred Dreyfus.

 

L’Ankoù de Ploumilliau

 

La Camarde camarade !

 

Max Jacob, trente­naire & céli­bataire, passe les fêtes de fin d’année … jusqu’au mois d’avril, chez ses par­ents à Quimper.

Dans sa cham­bre d’enfant, qua­si intacte, vue sur la cathé­drale, il relit La Légende de la Mort[21] — une com­pi­la­tion de con­tes bre­tons recueil­lis par son ancien pro­fesseur de philoso­phie, Ana­tole Le Braz.[22]

 

Max Jacob, « Le Cal­vaire de Guen­gat »
(gouache & tech­niques divers­es dont « café », oui, celui qui se boit, non daté)

 

De retour à Paris, Max Jacob s’installe 7 rue Rav­i­g­nan, au plus près du Bateau-Lavoir.

Vous tous, pas­sants de la rue Rav­i­g­nan, je vous ai don­né les noms des défunts de l’Histoire, écrit-il dans un petit car­net à un sou. Voici Agamem­non ! voici madame Han­s­ka ! Ulysse est un laiti­er ! Patro­cle est au bas de la rue qu’un Pharaon est près de moi. Cas­tor et Pol­lux sont les dames du cinquième. Mais toi, vieux chif­fon­nier, toi, qui, au féerique matin, viens enlever les débris encore vivants quand j’éteins ma bonne grosse lampe, toi que je ne con­nais pas, mys­térieux et pau­vre chif­fon­nier, toi, chif­fon­nier, je t’ai nom­mé d’un nom célèbre et noble, je t’ai nom­mé Dos­toïewsky (sic).[23]

Fer­nande Olivi­er s’en sou­vient : « Dès qu’on péné­trait dans sa cham­bre, on l’apercevait penché sur sa table, écrivant à la lumière terne d’une lampe fumeuse. C’était au rez-de-chaussée, dans une petite cour, où les locataires de la mai­son venaient jeter leurs ordures ménagères. […] Max rece­vait là tous les lundis. […] Cette cham­bre, mal­gré sa mis­érable apparence, n’avait rien de triste. […] Son odeur, mélange de fumée, de pét­role et d’encens, de vieux meubles et d’éther, se con­den­sait en un par­fum lourd, inex­plic­a­ble, mais évo­ca­teur pour qui l’avait respiré une fois. »

 

Pierre de Belay (alias Eugène Sav­i­gny, 1890–1947) « Max dans sa cham­bre, rue Rav­i­g­nan » (1907)
(©Bib­lio­thèque Jacques Doucet)

 

Max peint autant qu’il écrit, en per­ma­nence, la plu­part du temps sur des sup­ports sans impor­tance, pré­caires, éphémères : un petit car­net, un morceau de car­ton. Il donne, il échange. Il n’a rien à vendre.

Pablo, lui, si.

André Salmon se sou­vient de l’arrivée du célèbre marc­hand de tableaux, Ambroise Vol­lard, au Bateau-Lavoir : « Il y vint en fiacre décou­vert, jusqu’au bas des march­es de la rue Rav­i­g­nan. Vol­lard grim­pa, lour­de­ment. Le cocher alla boire un verre. Une heure plus tard, Vol­lard reparais­sait, faisant plusieurs voy­ages pour entass­er dans le fiacre tant de toiles tirées des pro­fondeurs de la Mai­son du Trappeur[24]. Au départ, il vint s’asseoir sans façon à côté du cocher. Max Jacob et moi suiv­ions le spec­ta­cle. L’hagiographe de saint Matorel[25] me ser­ra la main, sans mot dire, sans me regarder, con­tent, des pleurs plein ses yeux, pareils à des marines. Son ami, son frère d’élection, celui pour qui, devant tous, il avait tiré la voiture à bras au ser­vice de l’Entrepôt Voltaire, venait de trou­ver son pre­mier marc­hand d’importance. »[26]

 

Soudain riche, Picas­so part en Espagne avec Fernande.

Max se retrou­ve seul et plus mis­érable que jamais, à Montmartre.

 

Max Jacob, « Vieux quarti­er de Paris » (gouache et rehauts de pas­tel sur papi­er, vers 1930) ©Musée des Beaux-Arts de Quimper

 

Ne va jamais à Montparnasse !

 

Max Jacob tire les cartes, dit la bonne aven­ture, com­pose des horo­scopes, étudie l’hébreu … « Se pre­nait-il au sérieux ? s’interroge Fer­nande. Était-il sincère ? Pour ma part je n’ai jamais pu éval­uer la part de sincérité de Max.  […] On le con­sul­tait sur tout. Inlass­able­ment il répondait à tout. […] Il guidait Poiret[27], un de ses plus fidèles clients, dans le choix de la couleur de ses cra­vates ou de ses chaus­settes. Ce qui devait favoris­er ses chances. Il nous fai­sait des « porte-bon­heur ». Fétich­es plus ou moins lourds suiv­ant qu’il les gra­vait sur par­chemin, argent, cuiv­re ou fer, suiv­ant les astres qui avaient présidé à notre des­tinée, d’après notre date de nais­sance. […] J’ai longtemps promené dans mon sac une lourde plaque de cuiv­re rouge, brut, que Max m’avait don­née. […] Il nous amu­sait jusqu’à nous fatiguer physique­ment à force de rire. Chanteuse légère, un cha­peau de femme sur la tête, s’enroulant dans une écharpe de gaze, chan­tant avec une voix de sopra­no … Je crois qu’il savait toutes les opérettes, tous les opéras, toutes les tragédies, et Racine, et Corneille, et toutes les comédies. »[28]

À son retour d’Espagne, Pablo Picas­so (vingt-six ans) ren­con­tre Daniel Hen­ry Kah­n­weil­er (vingt-trois ans)[29] qui s’engage à lui acheter toute sa production.

Le jour de La Tou­s­saint de l’an 1907, Alfred Jar­ry (trente-qua­tre ans) meurt d’une ménin­gite tuber­culeuse à l’Hôpital de la Char­ité, à Paris.

 

Robe de Paul Poiret, 1908 (©Palais Gal­liera, musée de la Mode de la Ville de Paris)

 

1908, année bissextile.

Le 25 avril, au Salon des Indépen­dants [30], Max Jacob (trente et un ans) savoure une heure de vraie gloire.[31] Dans une con­férence de Guil­laume Apol­li­naire (vingt-sept ans) con­sacrée aux poètes de la nou­velle pha­lange (autrement dit de « l’avenir », sous-enten­du de « l’éternité »), Apol­li­naire prédit que : La renom­mée vien­dra bien­tôt pren­dre Max Jacob dans sa rue Rav­i­g­nan. C’est le poète le plus sim­ple qui soit et il paraît sou­vent comme le plus étrange. Cette con­tra­dic­tion s’expliquera aisé­ment lorsque j’aurai dit que le lyrisme de Max Jacob est armé d’un style déli­cieux, tran­chant, rapi­de, bril­lam­ment et sou­vent ten­drement humoris­tique, que quelque chose rend inac­ces­si­ble à ceux qui con­sid­èrent la rhé­torique et non pas la poésie.[32]

 

Pho­to de Max en frac, vers 1915

 

En juin, les cen­dres d’Émile Zola entrent au Panthéon.

À l’automne, Picas­so & Apol­li­naire organ­isent un ban­quet au Bateau-Lavoir en l’honneur du Douanier Rousseau. (cf. GUILLAUME APOLLINAIRE)

En novem­bre, la Nou­velle Revue Française[33] sort son tout pre­mier numéro.

 

Masque Jacob

 

Au mois de sep­tem­bre de l’année de grâce 1909, Pablo Picas­so, désigné par la Gloire, quitte le Bateau-Lavoir pour un grand ate­lier-apparte­ment boule­vard de Clichy.

 

Lais­sé pour compte (Picas­so est de ceux qui ne regar­dent jamais en arrière) Max Jacob anesthésie ses maux divers à l’éther.

« Je crains que ces drogues ne finis­sent par détru­ire sa san­té et ne soient néfastes à son équili­bre moral, déplore Fer­nande Olivi­er. Cette jusquiame qu’il juge néces­saire pour ses voy­ages dont l’effet décu­ple ses fac­ultés spir­i­tu­al­istes — il le dit — est un poi­son assez vio­lent qui, joint à l’éther dont il abuse, le mèn­era à la manie sinon à la folie. »[34]

(Audio Fran­cis Poulenc)

 

Max Jacob est fasciné par le clown Médra­no, lequel a repris, en 1897, le cirque Fer­nan­do instal­lé à l’angle du boule­vard Roche­chouart et de la rue des Mar­tyrs où s’est pro­duite, notam­ment, Suzanne Val­adon (cf. ÉRIK SATIE)

 

Pierre de Belay, « Une hal­lu­ci­na­tion de Max Jacob » (1909)
©Bib­lio­thèque Jacques Doucet

 

À l’automne de la même année — 1909 — dans sa cham­bre de la rue Rav­i­g­nan, Max Jacob reçoit une pre­mière vision « chris­tique » — dit-il.

Je suis revenu de la Bib­lio­thèque nationale ; j’ai déposé ma servi­ette ; j’ai cher­ché mes pan­tou­fles et quand j’ai relevé la tête, il y avait quelqu’un sur le mur ! Il y avait quelqu’un ! Il y avait quelqu’un sur la tapis­serie. Ma chair est tombée par terre ! J’ai été désha­bil­lé par la foudre ! Oh ! par­don­nez-moi ! Il est dans un paysage, dans un paysage que j’ai dess­iné jadis, mais Lui ! Quelle beauté ! élé­gance et douceur ! [35]

Saul devient Paul sur le chemin de Damas.

Joie, joie, joie, pleurs de joie ! — s’écrit Blaise Pas­cal (1623, Cler­mont en Auvergne — 1662, Paris sur Seine ; nous y reviendrons)

À l’instar de la plu­part de ses amis, André Bil­ly n’a « jamais ques­tion­né Max sur le proces­sus de son adhé­sion au catholi­cisme. Il était dif­fi­cile en ce temps-là d’avoir avec lui une con­ver­sa­tion sérieuse et suiv­ie. L’entretien tour­nait tout de suite à la plaisan­terie ou à l’effusion sen­ti­men­tale, ou bien il changeait de sujet. On eût dit que, devant la vie, il éprou­vait une pudeur, un malaise, une gêne, qui le fai­saient con­tin­uelle­ment s’évader dans une amère et douce par­o­die de lui-même et des autres… »[36]

 

On eût dit que, devant la vie, il éprou­vait une pudeur, un malaise, une gêne, qui le fai­saient con­tin­uelle­ment s’évader dans une amère et douce par­o­die de lui-même et des autres ON EÛT DIT QUE, DEVANT LA VIE, IL ÉPROUVAIT UNE PUDEUR, UN MALAISE, UNE GÊNE, QUI LE FAISAIENT CONTINUELLEMENT S’ÉVADER DANS UNE AMÈRE ET DOUCE PARODIE DE LUI-MÊME ET DES AUTRES …

 

Apol­li­naire pub­lie La chan­son du mal aimé[37] ; début des Bal­lets russ­es[38] au Châtelet.

En 1910, Paris est inondé.

 

Max Jacob « La récolte du Varech »

 

Max Jacob se réfugie à Quimper.

Ma vie s’écoule dans ma cham­bre d’enfant, écrit-il à André Salmon.

Max com­pose La Côte, un soi-dis­ant recueil de chants & con­tes bre­tons (dont le nec­tar se trou­ve dans les anno­ta­tions), qui sera imprimé à compte d’auteur l’année suiv­ante et paraî­tra aux édi­tions Crès en 1926.

 

C’est à Quim­per que Max Jacob est au plus près de lui-même, là où tout lui saute aux yeux, s’immisce, s’enroule & pénètre.

C’est depuis Quim­per qu’il écrit à Daniel Hen­ry Kah­n­weil­er : la lit­téra­ture me pos­sède — donne au mot « pos­sède » le sens biblique, le sens ésotérique, amoureux, mys­tique, chim­ique, médi­cal, amphigourique, machi­avélique et embé­ta­toire.[39]

 

Max est heureux.

Il écrit à Jean Gre­nier[40] : Ah ! que je tra­vaille, mon cher ami, et quel bon­heur de tra­vailler enfin !

Max est heureux.

 

Fin du pre­mier épisode

À suiv­re : 2/3

©Féli­cieDubois, sep­tem­bre 2021


[1] Afin de béné­fici­er d’un horo­scope plus favor­able, Max pré­tendait qu’il était né le 11 … coquet­terie toute jacobienne.

[2] Asso­ci­a­tion Les Amis de Max Jacob http://www.max-jacob.com/

[3] Il y a beau­coup de Jacob, David, Salomon, etc. en Bre­tagne — ce qui plaide en faveur de François Caradec. Pour ma part, il me sem­ble que l’une (des expli­ca­tions) n’empêche pas l’autre …

[4] François Caradec, Entre miens (Flam­mar­i­on, 2010).

[5] François Caradec (1924, Quim­per — 2008, Paris) écrivain pat­a­physi­cien ©Alfred­Jar­ry ; dis­ci­ple posthume & préféré d’Alphonse Allais.

[6] « Cal­vaire » : du latin cal­varia, « crâne » & du grec kran­ion, « cerveau » ; tra­duc­tion ultime de Gol­go­tha : lieu du sup­plice ­— autrement dit de la cru­ci­fix­ion de Jésus de Nazareth en l’an 0 de lui-même.

[7] « Roga­tion », même famille que « corvée » : du latin cor­ro­ga­ta : tra­vail oblig­a­toire & gratuit.

[8] Max Jacob à René Vil­lard, cité par Béa­trice Mous­li — in : Max Jacob (Flam­mar­i­on, 2005).

[9] Max Jacob, La Défense de Tartufe (éd. Société Lit­téraire de France, 1919).

[10] Max Jacob, La Défense de Tartufe (op. cit.).

[11] Extrait d’une con­férence don­née par Max Jacob à Nantes en 1937, cité par Béa­trice Mous­li — in : Max Jacob (éd. Flam­mar­i­on, 2005).

[12] Robert Gui­ette, La Vie de Max Jacob (éd. Nizet, 1976).

[13] On trou­ve la sig­na­ture de Léon David dans La Revue des Beaux-Arts et des Let­tres + Le Moni­teur des Arts.

[14] Rue Laf­fitte, dans le neu­vième arrondisse­ment de Paris, se côtoient les galeries de Clo­vis Sagot (ancien clown du cirque Médra­no devenu marc­hand d’art) & Paul Durand-Ruel (le meilleur ami des pein­tres impres­sion­nistes) & Ambroise Vol­lard (1866, Saint-Denis de La Réu­nion — 1939, Versailles).

[15] … dont le Pau­vre Lélian, alias Paul Ver­laine, est le Prince.

[16] André Salmon (1881, Paris — 1969, Sanary-sur-Mer) écrivain, ami de Max Jacob & Guil­laume Apollinaire.

[17] Pierre Reverdy (1889, Nar­bonne — 1960, Solesmes) poète, filleul de Max Jacob & amant de Coco Chanel.

[18] Max Jacob, Le Roi de Béotie (éd. Gal­li­mard, 1971).

[19] Fer­nande Olivi­er, alias Amélie Lang (1881, Paris — 1966, Neuil­ly-sur-Seine) com­pagne de Picas­so ©péri­ode Rose & Bleue ; avant Éva, alias Mar­celle Hum­bert (1885–1915) ©péri­ode cubiste ; précé­dant Olga Khokhlo­va (1891–1955), épouse dudit© jusqu’à sa mort (à elle).

[20] Fer­nande Olivi­er, Picas­so et ses amis (éd. Stock, 1933).

[21] Ana­tole Le Braz, La Légende de la Mort en Basse-Bre­tagne / Croy­ances, Tra­di­tions et Usages des Bre­tons armor­i­cains (éd. Hon­oré Cham­pi­on, 1893). Max Jacob lira & reli­ra tous les chapitres : Les inter­signes / Avant la mort / L’Ankoù / La mort simulée / Moyens d’appeler la mort / Le départ de l’âme / Après la mort / L’enterrement / Le sort de l’âme / Les noyés / Les villes englouties / Les assas­s­inés et les pen­dus / L’Anaon / Les Revenants / Con­ju­ra­tions et con­jurés / L’Enfer / Le Par­adis ; lesquels chapitres seront réédités un siè­cle plus tard sous le titre La Légende de la Mort (Jeanne Laffitte/Coop Breizh, 1994).

[22] Ana­tole Lebras dit Le Braz (1859, Duault — 1926, Men­ton) his­to­rien de la lit­téra­ture bre­tonne & cel­tique ; tra­duc­teur & poète.

[23] Max Jacob, La rue Rav­i­g­nan, in : Le Cor­net à dés (éd. Gal­li­mard, 1945).

[24] L’autre nom du Bateau-Lavoir.

[25] Max Jacob est l’auteur d’une trilo­gie cocasse (pub­liée in exten­so aux édi­tions Gal­li­mard, en 1936) — Saint Matorel, roman + Les Œuvres bur­lesques et mys­tiques de frère Matorel, mort au cou­vent + Le Siège de Jérusalem, grande ten­ta­tion céleste de saint Matorel — à laque­lle, ici, André Salmon fait allu­sion. Disponible égale­ment dans la col­lec­tion Quar­to (Gal­li­mard, 2012) qui regroupe la qua­si-total­ité des œuvres de Max Jacob.

[26] André Salmon, Sou­venirs sans fin (Gal­li­mard, 1961).

[27] Paul Poiret (1879 — 1944 / Paris), couturier/parfumeur/mécène/collectionneur. Dis­ci­ple de Jacques Doucet (1853, Paris — 1929, Neuil­ly-sur-Seine), couturier/mécène/collectionneur. Cf. http://bljd.sorbonne.fr/

[28] Fer­nande Olivi­er, op. cit.

[29] Daniel Hen­ry Kah­n­weil­er (1884, Mannheim — 1979, Paris) galeriste & édi­teur alle­mand nat­u­ral­isé français en 1937, grand ami des cubistes.

[30] Le Salon des Indépen­dants (dont la pre­mière édi­tion s’est tenue à Paris en 1884, sans jury ni prix, c’est le principe) existe tou­jours. Cf. https://www.artistes-independants.fr/wp-content/uploads/2020/07/Dossier_ARTCAPITAL2021.pdf

[31] Dix­it Max lui-même, cité par Pierre Andreu — in : Vie et Mort de Max Jacob (éd. de la Table Ronde, 1982).

[32] Guil­laume Apol­li­naire, Œuvres en prose T.II (La Pléiade/Gallimard, 1991).

[33] La Nou­velle Revue Française (de lit­téra­ture et de cri­tique) fondée, entre autres, par Michel Arnauld, Jacques Copeau, André Gide, Charles-Louis Philippe, André Ruyters, Jean Schlum­berg­er, etc. à laque­lle col­la­borent Paul Claudel, Émile Vuiller­moz, la Comtesse de Noailles, etc. dirigée par Eugène Mont­fort, puis, à par­tir de 1925, par Jean Paul­han (1884, Nîmes — 1968, Neuil­ly-sur-Seine) est la sœur aînée des édi­tions de la N.R.F. ©Gal­li­mard.

[34] Fer­nande Olivi­er, in : Max Jacob, por­traits d’artistes (Som­o­gy édi­tions d’art, Paris & Musée des Beaux-Arts de Quim­per & Musée des Beaux-Arts d’Orléans, 2004).

[35] Max Jacob, La Défense de Tartufe op. cit.

[36] André Bil­ly, Max Jacob (Poètes d’aujourd’hui/Seghers, 1945 ; 1969).

[37] Guil­laume Apol­li­naire, La Chan­son du Mal aimé (éd. Mer­cure de France, 1909).

[38] Les Bal­lets Russ­es ont été créés en 1907, à Saint-Péters­bourg, par Serge de Diaghilev ; puis la troupe est dev­enue une com­pag­nie privée itinérante (Monte Car­lo, Lon­dres, Paris).

[39] Cité par Béa­trice Mous­li, op. cit.

[40] Jean Gre­nier (1898, Paris — 1971, Dreux) philosophe ; ami bre­ton de Max Jacob ; pro­fesseur d’Albert Camus au lycée d’Alger ; père de Madeleine Gre­nier (1929–1982) pein­tre du silence.

Partager :