Max Jacob 1876–1944

Épisode 1

 

Max Alexan­dre est né le 12 juil­let[1] 1876 à Quim­per, dans le Fin­istère, en Bre­tagne, qua­trième d’une fratrie de sept enfants.

Max Jacob est mort le 5 mars 1944 au camp d’internement de Dran­cy, à une ving­taine de kilo­mètres de Paris, quelques mois après son frère aîné Gas­ton et sa sœur cadette Myrté-Léa, déportés & exter­minés à Auschwitz.

(Audio Arthur Honneger)

 

La Bretagne est un miracle

 

Au début du dix-neu­vième siè­cle, Samuel Alexan­der (1811–1889) & Myrthe-Léa May­er (1818–1884) quit­tent l’Allemagne pour Paris en pas­sant par la Lorraine.

Le 28 jan­vi­er 1847, Lazare, futur père de Max, naît à Tours en Touraine.

En 1858, la famille Alexan­der s’installe à Quimper.

 

Jacob frères, Quimper

 

Samuel Alexan­der est tailleur pour hommes. Dans le même immeu­ble, 8 rue du Parc, con­tiguë du Grand Hôtel de L’Épée, sur le quai de l’Odet, il tient aus­si une bou­tique d’antiquités (Vieux meubles — Curiosités locales — Den­telles — Cos­tumes bre­tons — Tapis­series). Son fils Lazare tra­vaille avec lui.

 

Max Jacob, “Por­trait de son père Lazare” (lavis d’en­cre de chine sur car­ton, 1894)

 

En 1871, Lazare Alexan­der, Quim­pérois de vingt-qua­tre ans, épouse Pru­dence Jacob, Parisi­enne de vingt-deux ans. L’année suiv­ante, le cou­ple donne nais­sance à Julie-Del­phine Jacob-Alexander.

 

En 1873, le gou­verne­ment de la Troisième République décerne à Lazare Alexan­dre la nation­al­ité française pour « bons et loy­aux ser­vices » — à cause que, pen­dant la guerre de 70, le jeune homme s’était engagé dans les Mobiles bre­tons, aux­il­i­aires de l’armée active.

 

En 1874, Julie-Del­phine accueille un petit frère : Maurice.

Gas­ton naît en 1875, tou­jours à Quimper.

Le 12 juil­let 1876, Max voit le jour à son tour.

 

Bébé Max

 

Puis vien­dront Jacques (en 1880) et Myrté-Léa (en 1884) ; enfin, du 10 juil­let au 1er sep­tem­bre 1887, passera Suzanne …

Les enfants Alexan­dre auraient dû être sept, ils seront six.

 

Pru­dence Jacob, unique pho­togra­phie con­nue de la mère de Max, non datée.

 

En 1888, la famille Alexan­dre prend offi­cielle­ment le nom de Jacob, celui de Pru­dence, pour une rai­son « stricte­ment com­mer­ciale » (pré­cise Hélène Hen­ry) : « … asso­ciés à des cousins Jacob de Lori­ent, les Alexan­dre sont con­nus sous le nom de messieurs Jacob. »[2]

À moins que ce ne soit, pour le père de Max, « une façon de con­serv­er des traces de son orig­ine israélite grâce à un des noms bre­tons[3] pris dans l’Ancien Tes­ta­ment » (com­mun aux Juifs et aux Chré­tiens)[4] — comme le sug­gère François Caradec[5], Bre­ton lui-même.

 

Max Jacob, « Fêtes de Quim­per » (gouache sur papi­er, 1925) ©Musée des Beaux-Arts de Quimper

 

À l’instar du comte VILLIERS DE L’ISLE-ADAM, barde bre­ton de trente-huit ans son aîné, Max Jacob est fasciné par les cal­vaires[6] & les roga­tions[7].

Oui ! j’ai aimé pas­sion­né­ment le catholi­cisme dans mon enfance. Les pro­ces­sions à Quim­per me sem­blaient ce qu’on peut voir de plus beau au monde — écrit Max Jacob à René Vil­lard.[8]

Puis, dans La Défense de Tartufe[9] :

… j’étais élevé dans le coin le plus catholique de France : le cœur de notre mai­son n’était guère séparé de la cathé­drale, à toute heure j’en aperce­vais les flèch­es goth­iques toutes dorées le soir par les cré­pus­cules, toutes blanch­es de lune la nuit. À toute heure, j’entendais les cloches et mes frères et sœurs et moi nous savions dis­tinguer les son­ner­ies des mariages ou des bap­têmes, de l’angélus, des annonces de fêtes ou des dif­férentes class­es d’enterrements.[10]

 

Max Jacob, « Auto­por­trait enfant » (non daté) ©Bib­lio­thèque Jacques Doucet

 

En 1894, Max Jacob obtient son Bac à Quimper.

 

Max Jacob au lycée de La Tour d’Auvergne à Quim­per (pho­to de classe, 1894)

 

Le cap­i­taine Alfred Drey­fus est arrêté pour haute trahi­son et con­damné au bagne à per­pé­tu­ité sur l’île du Dia­ble, en Guyane.

Max Jacob monte à Paris.

 

La Bohème

 

En 1895, Max Jacob est étu­di­ant en Droit et à l’École Colo­niale de Paris (comme avant lui son frère aîné Mau­rice, dit « L’Africain », admin­is­tra­teur civ­il au Sénégal.)

Pourquoi l’École colo­niale ? me direz-vous — nous inter­roge-t-il. Je suis aus­si igno­rant que vous sur ce point. Au sor­tir du lycée de Quim­per on rêvait pour moi de l’École nor­male supérieure et j’ai tou­jours eu l’esprit de con­tra­dic­tion.[11]

[…] l’essentiel était de fuir le latin et le grec aux­quels des suc­cès de col­lège, en rhé­torique et en philoso­phie, sem­blaient vouloir me con­damn­er.[12]

 

En 1896, les études de Max sont inter­rompues par le ser­vice mil­i­taire ; à son grand désar­roi, le citoyen Jacob est réfor­mé pour insuff­i­sance pulmonaire.

Il quitte l’École Colo­niale, mais obtient sa licence en Droit.

 

Vue panoramique de l’exposition uni­verselle de 1900 (par Lucien Bey­lac, 1851–1913)

 

À Paris, sous le pseu­do­nyme de Léon David, Max Jacob s’improvise cri­tique d’art[13] ; il est secré­taire de rédac­tion au Sourire où règne le Prince des Fumistes : ALPHONSE ALLAIS.

 

En juin 1901, galerie Ambroise Vol­lard, rue Laf­fitte[14], Léon Max David Jacob s’enthousiasme pour la pre­mière expo­si­tion d’un jeune pein­tre cata­lan de cinq ans son cadet : Pablo Ruiz Picasso.

 

Pablo Picas­so, « His­toire claire et sim­ple de Max Jacob » (13 jan­vi­er 1903)

 

Max & Pablo vivent ensem­ble heureux et mis­éreux, boule­vard Voltaire ; ils n’ont qu’un seul lit : quand l’un se lève pour tra­vailler, l’autre se couche pour dormir.

 

Après les Poètes Mau­dits[15] de la fin du dix-neu­vième siè­cle, la Bohème du début du vingtième se rêve plus légère …

 

 

Max & Pablo sont dans un bateau

 

En 1904, Picas­so s’installe au Bateau-Lavoir — ain­si que Max a bap­tisé l’acropole bigar­rée du 13 rue Rav­i­g­nan, à Mont­martre, où vont et vien­nent les pein­tres Kees Van Don­gen, Juan Gris, Mau­rice de Vlam­inck, Hen­ri Matisse, le Douanier Rousseau, Georges Braque, André Derain, Fer­nand Léger, Marie Lau­rencin, Louis Mar­cous­sis, Moïse Kisling ; l’écrivain Pierre Dumar­chais alias Mac Orlan ; les poètes André Salmon[16] & Pierre Reverdy[17] & GUILLAUME APOLLINAIRE.

 

Le Bateau-Lavoir (dit aus­si La Mai­son du Trappeur) à Montmartre

 

Anci­enne man­u­fac­ture de piano, la bâtisse a été divisée en une dizaine d’ateliers loués à autant d’artistes & artisans.

… cette demeure qui n’avait pas d’étages vis­i­bles de l’extérieur avait des caves et des gre­niers et n’avait que cela,[18] écrit Max Jacob (lequel est hébergé par son petit frère Jacques, 33 boule­vard Barbès).

 

Max Jacob, « Com­mères des soirs d’été » (encre & cray­on sur papi­er, 1903)
©Musée des Beaux-Arts de Quimper

 

Pablo doit beau­coup à Max, racon­te Fer­nande Olivi­er.[19]

« C’est Max Jacob qui l’a soutenu, encour­agé, aidé, quand, tout jeune, il con­nais­sait une pro­fonde détresse — se sou­vient-elle. Lorsque Picas­so me l’eut présen­té, je regar­dai, un peu éton­née, ce petit homme sautil­lant, aux yeux bizarres et péné­trants sous les ver­res du lorgnon, céré­monieux, l’air con­tent de lui, et qui s’inclinait très bas le cha­peau à la main. […] De toute sa per­son­ne se dégageait un sen­ti­ment d’indéfinissable inquié­tude. Mais, avant tout, c’était un masque d’originalité intel­li­gente qui s’imposait. Les femmes l’avaient tou­jours effrayé, j’allais écrire intimidé, mal­gré l’impertinence qu’il affec­tait vis-à-vis d’elles. »[20]

 

1905 : vote de la loi de sépa­ra­tion des églis­es et de l’État.

1906 : réha­bil­i­ta­tion du cap­i­taine Alfred Dreyfus.

 

L’Ankoù de Ploumilliau

 

La Camarde camarade !

 

Max Jacob, trente­naire & céli­bataire, passe les fêtes de fin d’année … jusqu’au mois d’avril, chez ses par­ents à Quimper.

Dans sa cham­bre d’enfant, qua­si intacte, vue sur la cathé­drale, il relit La Légende de la Mort[21] — une com­pi­la­tion de con­tes bre­tons recueil­lis par son ancien pro­fesseur de philoso­phie, Ana­tole Le Braz.[22]

 

Max Jacob, « Le Cal­vaire de Guen­gat »
(gouache & tech­niques divers­es dont « café », oui, celui qui se boit, non daté)

 

De retour à Paris, Max Jacob s’installe 7 rue Rav­i­g­nan, au plus près du Bateau-Lavoir.

Vous tous, pas­sants de la rue Rav­i­g­nan, je vous ai don­né les noms des défunts de l’Histoire, écrit-il dans un petit car­net à un sou. Voici Agamem­non ! voici madame Han­s­ka ! Ulysse est un laiti­er ! Patro­cle est au bas de la rue qu’un Pharaon est près de moi. Cas­tor et Pol­lux sont les dames du cinquième. Mais toi, vieux chif­fon­nier, toi, qui, au féerique matin, viens enlever les débris encore vivants quand j’éteins ma bonne grosse lampe, toi que je ne con­nais pas, mys­térieux et pau­vre chif­fon­nier, toi, chif­fon­nier, je t’ai nom­mé d’un nom célèbre et noble, je t’ai nom­mé Dos­toïewsky (sic).[23]

Fer­nande Olivi­er s’en sou­vient : « Dès qu’on péné­trait dans sa cham­bre, on l’apercevait penché sur sa table, écrivant à la lumière terne d’une lampe fumeuse. C’était au rez-de-chaussée, dans une petite cour, où les locataires de la mai­son venaient jeter leurs ordures ménagères. […] Max rece­vait là tous les lundis. […] Cette cham­bre, mal­gré sa mis­érable apparence, n’avait rien de triste. […] Son odeur, mélange de fumée, de pét­role et d’encens, de vieux meubles et d’éther, se con­den­sait en un par­fum lourd, inex­plic­a­ble, mais évo­ca­teur pour qui l’avait respiré une fois. »

 

Pierre de Belay (alias Eugène Sav­i­gny, 1890–1947) « Max dans sa cham­bre, rue Rav­i­g­nan » (1907)
(©Bib­lio­thèque Jacques Doucet)

 

Max peint autant qu’il écrit, en per­ma­nence, la plu­part du temps sur des sup­ports sans impor­tance, pré­caires, éphémères : un petit car­net, un morceau de car­ton. Il donne, il échange. Il n’a rien à vendre.

Pablo, lui, si.

André Salmon se sou­vient de l’arrivée du célèbre marc­hand de tableaux, Ambroise Vol­lard, au Bateau-Lavoir : « Il y vint en fiacre décou­vert, jusqu’au bas des march­es de la rue Rav­i­g­nan. Vol­lard grim­pa, lour­de­ment. Le cocher alla boire un verre. Une heure plus tard, Vol­lard reparais­sait, faisant plusieurs voy­ages pour entass­er dans le fiacre tant de toiles tirées des pro­fondeurs de la Mai­son du Trappeur[24]. Au départ, il vint s’asseoir sans façon à côté du cocher. Max Jacob et moi suiv­ions le spec­ta­cle. L’hagiographe de saint Matorel[25] me ser­ra la main, sans mot dire, sans me regarder, con­tent, des pleurs plein ses yeux, pareils à des marines. Son ami, son frère d’élection, celui pour qui, devant tous, il avait tiré la voiture à bras au ser­vice de l’Entrepôt Voltaire, venait de trou­ver son pre­mier marc­hand d’importance. »[26]

 

Soudain riche, Picas­so part en Espagne avec Fernande.

Max se retrou­ve seul et plus mis­érable que jamais, à Montmartre.

 

Max Jacob, « Vieux quarti­er de Paris » (gouache et rehauts de pas­tel sur papi­er, vers 1930) ©Musée des Beaux-Arts de Quimper

 

Ne va jamais à Montparnasse !

 

Max Jacob tire les cartes, dit la bonne aven­ture, com­pose des horo­scopes, étudie l’hébreu … « Se pre­nait-il au sérieux ? s’interroge Fer­nande. Était-il sincère ? Pour ma part je n’ai jamais pu éval­uer la part de sincérité de Max.  […] On le con­sul­tait sur tout. Inlass­able­ment il répondait à tout. […] Il guidait Poiret[27], un de ses plus fidèles clients, dans le choix de la couleur de ses cra­vates ou de ses chaus­settes. Ce qui devait favoris­er ses chances. Il nous fai­sait des « porte-bon­heur ». Fétich­es plus ou moins lourds suiv­ant qu’il les gra­vait sur par­chemin, argent, cuiv­re ou fer, suiv­ant les astres qui avaient présidé à notre des­tinée, d’après notre date de nais­sance. […] J’ai longtemps promené dans mon sac une lourde plaque de cuiv­re rouge, brut, que Max m’avait don­née. […] Il nous amu­sait jusqu’à nous fatiguer physique­ment à force de rire. Chanteuse légère, un cha­peau de femme sur la tête, s’enroulant dans une écharpe de gaze, chan­tant avec une voix de sopra­no … Je crois qu’il savait toutes les opérettes, tous les opéras, toutes les tragédies, et Racine, et Corneille, et toutes les comédies. »[28]

À son retour d’Espagne, Pablo Picas­so (vingt-six ans) ren­con­tre Daniel Hen­ry Kah­n­weil­er (vingt-trois ans)[29] qui s’engage à lui acheter toute sa production.

Le jour de La Tou­s­saint de l’an 1907, Alfred Jar­ry (trente-qua­tre ans) meurt d’une ménin­gite tuber­culeuse à l’Hôpital de la Char­ité, à Paris.

 

Robe de Paul Poiret, 1908 (©Palais Gal­liera, musée de la Mode de la Ville de Paris)

 

1908, année bissextile.

Le 25 avril, au Salon des Indépen­dants [30], Max Jacob (trente et un ans) savoure une heure de vraie gloire.[31] Dans une con­férence de Guil­laume Apol­li­naire (vingt-sept ans) con­sacrée aux poètes de la nou­velle pha­lange (autrement dit de « l’avenir », sous-enten­du de « l’éternité »), Apol­li­naire prédit que : La renom­mée vien­dra bien­tôt pren­dre Max Jacob dans sa rue Rav­i­g­nan. C’est le poète le plus sim­ple qui soit et il paraît sou­vent comme le plus étrange. Cette con­tra­dic­tion s’expliquera aisé­ment lorsque j’aurai dit que le lyrisme de Max Jacob est armé d’un style déli­cieux, tran­chant, rapi­de, bril­lam­ment et sou­vent ten­drement humoris­tique, que quelque chose rend inac­ces­si­ble à ceux qui con­sid­èrent la rhé­torique et non pas la poésie.[32]

 

Pho­to de Max en frac, vers 1915

 

En juin, les cen­dres d’Émile Zola entrent au Panthéon.

À l’automne, Picas­so & Apol­li­naire organ­isent un ban­quet au Bateau-Lavoir en l’honneur du Douanier Rousseau. (cf. GUILLAUME APOLLINAIRE)

En novem­bre, la Nou­velle Revue Française[33] sort son tout pre­mier numéro.

 

Masque Jacob

 

Au mois de sep­tem­bre de l’année de grâce 1909, Pablo Picas­so, désigné par la Gloire, quitte le Bateau-Lavoir pour un grand ate­lier-apparte­ment boule­vard de Clichy.

 

Lais­sé pour compte (Picas­so est de ceux qui ne regar­dent jamais en arrière) Max Jacob anesthésie ses maux divers à l’éther.

« Je crains que ces drogues ne finis­sent par détru­ire sa san­té et ne soient néfastes à son équili­bre moral, déplore Fer­nande Olivi­er. Cette jusquiame qu’il juge néces­saire pour ses voy­ages dont l’effet décu­ple ses fac­ultés spir­i­tu­al­istes — il le dit — est un poi­son assez vio­lent qui, joint à l’éther dont il abuse, le mèn­era à la manie sinon à la folie. »[34]

(Audio Fran­cis Poulenc)

 

Max Jacob est fasciné par le clown Médra­no, lequel a repris, en 1897, le cirque Fer­nan­do instal­lé à l’angle du boule­vard Roche­chouart et de la rue des Mar­tyrs où s’est pro­duite, notam­ment, Suzanne Val­adon (cf. ÉRIK SATIE)

 

Pierre de Belay, « Une hal­lu­ci­na­tion de Max Jacob » (1909)
©Bib­lio­thèque Jacques Doucet

 

À l’automne de la même année — 1909 — dans sa cham­bre de la rue Rav­i­g­nan, Max Jacob reçoit une pre­mière vision « chris­tique » — dit-il.

Je suis revenu de la Bib­lio­thèque nationale ; j’ai déposé ma servi­ette ; j’ai cher­ché mes pan­tou­fles et quand j’ai relevé la tête, il y avait quelqu’un sur le mur ! Il y avait quelqu’un ! Il y avait quelqu’un sur la tapis­serie. Ma chair est tombée par terre ! J’ai été désha­bil­lé par la foudre ! Oh ! par­don­nez-moi ! Il est dans un paysage, dans un paysage que j’ai dess­iné jadis, mais Lui ! Quelle beauté ! élé­gance et douceur ! [35]

Saul devient Paul sur le chemin de Damas.

Joie, joie, joie, pleurs de joie ! — s’écrit Blaise Pas­cal (1623, Cler­mont en Auvergne — 1662, Paris sur Seine ; nous y reviendrons)

À l’instar de la plu­part de ses amis, André Bil­ly n’a « jamais ques­tion­né Max sur le proces­sus de son adhé­sion au catholi­cisme. Il était dif­fi­cile en ce temps-là d’avoir avec lui une con­ver­sa­tion sérieuse et suiv­ie. L’entretien tour­nait tout de suite à la plaisan­terie ou à l’effusion sen­ti­men­tale, ou bien il changeait de sujet. On eût dit que, devant la vie, il éprou­vait une pudeur, un malaise, une gêne, qui le fai­saient con­tin­uelle­ment s’évader dans une amère et douce par­o­die de lui-même et des autres… »[36]

 

On eût dit que, devant la vie, il éprou­vait une pudeur, un malaise, une gêne, qui le fai­saient con­tin­uelle­ment s’évader dans une amère et douce par­o­die de lui-même et des autres ON EÛT DIT QUE, DEVANT LA VIE, IL ÉPROUVAIT UNE PUDEUR, UN MALAISE, UNE GÊNE, QUI LE FAISAIENT CONTINUELLEMENT S’ÉVADER DANS UNE AMÈRE ET DOUCE PARODIE DE LUI-MÊME ET DES AUTRES …

 

Apol­li­naire pub­lie La chan­son du mal aimé[37] ; début des Bal­lets russ­es[38] au Châtelet.

En 1910, Paris est inondé.

 

Max Jacob « La récolte du Varech »

 

Max Jacob se réfugie à Quimper.

Ma vie s’écoule dans ma cham­bre d’enfant, écrit-il à André Salmon.

Max com­pose La Côte, un soi-dis­ant recueil de chants & con­tes bre­tons (dont le nec­tar se trou­ve dans les anno­ta­tions), qui sera imprimé à compte d’auteur l’année suiv­ante et paraî­tra aux édi­tions Crès en 1926.

 

C’est à Quim­per que Max Jacob est au plus près de lui-même, là où tout lui saute aux yeux, s’immisce, s’enroule & pénètre.

C’est depuis Quim­per qu’il écrit à Daniel Hen­ry Kah­n­weil­er : la lit­téra­ture me pos­sède — donne au mot « pos­sède » le sens biblique, le sens ésotérique, amoureux, mys­tique, chim­ique, médi­cal, amphigourique, machi­avélique et embé­ta­toire.[39]

 

Max est heureux.

Il écrit à Jean Gre­nier[40] : Ah ! que je tra­vaille, mon cher ami, et quel bon­heur de tra­vailler enfin !

Max est heureux.

 

Épisode 2

 

De 1911 à 1914, Max Jacob pub­lie la trilo­gie des Matorel chez l’éditeur & marc­hand d’art Daniel Hen­ry Kah­n­weil­er : Saint-Matorel, illus­tré par Picas­so (1911) ; Œuvres bur­lesques et mys­tiques de frère Matorel, illus­tré par André Derain (1912) ; Siège de Jérusalem, grande ten­ta­tion céleste de saint Matorel, (1914) illus­tré par Picas­so.[41]

 

Max Jacob & Pablo Picas­so, Saint-Matorel (éd. Kah­n­weil­er, 1911) ©MoMA

 

Au print­emps 1913, Max Jacob séjourne à Céret, en pays cata­lan, dans les Pyrénées-Ori­en­tales, avec Pablo Picasso.

Derniers moments d’amitié (on ne le sait qu’après).

 

GUILLAUME APOLLINAIRE pub­lie Alcools au Mer­cure de France.

Max Jacob s’installe rue Gabrielle.

 

Max Jacob, rue Gabrielle (1914)

 

Le 28 juin 1914, l’archiduc François-Fer­di­nand, héri­ti­er de l’Empire aus­tro-hon­grois, et son épouse Sophie Chotek, duchesse de Hohen­berg, sont assas­s­inés à Sara­je­vo par un nation­al­iste serbe ; le 31 juil­let, Jean Jau­rès, philosophe répub­li­cain, social­iste & paci­fiste, est assas­s­iné à Paris par un nation­al­iste français ; le 3 août, la Pre­mière Guerre Indus­trielle Mon­di­ale est déclarée.

 

Réfor­mé, Max Jacob reste en rade à Paris avec les Espag­nols (non-bel­ligérants).

 

L’Imitation de Jésus-Christ offert par Picas­so à son filleul, Max-Cyprien

 

Le 18 févri­er 1915, Max-Cyprien Jacob est bap­tisé à Notre-Dame-de-Sion, rue Notre-Dame-des-Champs (mon lycée jusqu’au bac­calau­réat, soit dit en pas­sant), une insti­tu­tion catholique fondée pour la con­ver­sion des juifs par les frères Ratis­bonne[42] ; Pablo Picas­so est son parrain.

 

Change­ment de reli­gion = change­ment de nom.

Pablo avait sug­géré « Fiacre[43] », Max a préféré « Cyprien[44] ».

Le soir même, au ciné­matographe, Max-Cyprien Jacob reçoit une sec­onde vision du Christ sur l’écran …

 

Les Alle­mands envahissent la Pologne ; l’Italie déclare la guerre à l’Allemagne.

Max Jacob & ses amis migrent de Mont­martre à Montparnasse.

 

Pho­togra­phies pris­es à La Rotonde par Jean Cocteau, le 12 août 1916, où l’on peut voir Pablo Picas­so, Max Jacob, Moïse Kisling, Manuel Ortiz de Zarate, « Pâquerette » (man­nequin chez Poiret), André Salmon, Amedeo Modigliani …

 

Le Cornet à dés

 

Le 3 jan­vi­er 1917, Lazare Alexan­dre dit Jacob (soix­ante-dix ans) meurt rue du Parc à Quimper.

Max Jacob écrit à Pablo Picasso :

Je reviens de l’enterrement de mon père. Au milieu de tous les sou­venirs : les vieux meubles qui sont à lui, qu’il a inven­tés, il a passé dans son cer­cueil devant toutes ces vieilles bonnes choses famil­ières et j’ai cru que tout cela allait le saluer. La mai­son dont il a usé les fau­teuils était pleine de vieux amis qui ont entouré mon enfance et qui ont regardé mon ado­les­cence d’un mau­vais œil.[45]

 

Entrée en guerre des États-Unis ; Révo­lu­tion bolchévique en Russie.

 

Max Jacob, Le Cor­net à dés (man­u­scrit « sali » dix­it Max, « cus­tomisé », dirait-on aujourd’hui, par son auteur pour quelques sous et pour le col­lec­tion­neur Paul Bonet, vers 1943)

 

Le Cor­net à dés — com­posé depuis 1898, fin prêt depuis qua­tre ans — est pub­lié à compte d’auteur chez l’imprimeur Levé (71 rue de Rennes) en novem­bre 1917.

Bur­lesque, lyrique, ardent — le recueil sera réédité en 1922 chez Stock, puis en 1945 dans la « col­lec­tion blanche » des édi­tions Gal­li­mard, et désor­mais dans la col­lec­tion « Poésie »[46]

Extraits :

 

Faire com­pren­dre, c’est faire aimer (pré­face de 1916)

*

Mur de briques, bibliothèque !

*

Le mys­tère est dans cette vie, la réal­ité dans l’autre ; si vous m’aimez, si vous m’aimez, je vous ferai voir la réalité.

*

Le par­adis, je me le fig­ure à cause du nom­bre des morts comme un jour de mi-carême à Paris et l’enfer comme la foule affolée des familles un jour de tem­pête dans un port.

*

C’est une branche avec trois fleurs : la branche est couleur de neige, les fleurs aus­si : les fleurs ont la tête en bas, la branche aus­si, tout est en per­le et ne tient nulle part. Si ! cela tient à un ban­deau, un ban­deau de front qui est blanc et qui sourit.

*

Je vous amène mes deux fils, dis­ait le vieil acro­bate à la Vierge aux Rochers qui jouait de la man­do­line. Le plus jeune s’agenouilla dans son joli petit cos­tume ; l’autre por­tait, au bout d’un bâton, un poisson.

*

Ils étaient aus­si gourmets que gour­més, le mon­sieur et la dame. La pre­mière fois que le chef des cuisines vint, un bon­net à la main, leur dire : « Excusez-moi, est-ce que Mon­sieur et Madame sont con­tents ? » on lui répon­dit : « Nous vous le fer­ons savoir par le maître d’hôtel ! » La sec­onde fois, ils ne répondirent pas. La troisième fois, ils songèrent à le met­tre dehors, mais ils ne purent s’y résoudre, car c’était un chef unique. La qua­trième fois (mon Dieu, ils habitaient aux portes de Paris, ils étaient seuls tou­jours, ils s’ennuyaient tant !), la qua­trième fois, ils com­mencèrent : « La sauce aux câpres est épatante, mais le canapé de la per­drix était un peu dur. » On en arri­va à par­ler sport, poli­tique, reli­gion. C’est ce que voulait le chef des cuisines, qui n’était autre que Fantômas.

Juan Gris, « Fan­tô­mas » (huile sur toile, 1915) ©Nation­al Gallery of Art, Wash­ing­ton DC

 

Chez Paul Poiret (lequel séjourne tout l’été dans sa pro­priété du Fin­istère), Max Jacob se lie d’amitié avec la princesse Ghi­ka, alias Liane de Pougy[47], une cour­tisane de l’époque dite Belle, dev­enue l’épouse d’un aris­to­crate roumain, qui fini­ra ses jours dans un cou­vent domini­cain sous le nom de Sœur Madeleine de la Repen­tance (ou Anne-Marie de la Péni­tence, c’est selon, nous y reviendrons.)

 

Affiche de Manuel Orazi (1896)

 

Les Ghi­ka invi­tent Max Jacob au « Clos Marie », leur mai­son de gran­it à Roscoff (à l’angle des rues Jeanne d’Arc & Coad­ou, non loin de la plage du Poul Louz, en face de l’île de Batz, elle-même au nord de San­tec, chouia plus à l’ouest, dont je rêve encore la nuit, a cinquante-cinq ans, pour y avoir passé, enfant, la plu­part de mes vacances).

 

Max Jacob, « Baigneurs » (gouache sur car­ton, non daté)

 

Max Jacob résume l’année 1917 pour le numéro 5 de la revue 391[48] :

Paris — Appari­tion du Nord-Sud, revue dirigée par Pierre Reverdy. — dis­pari­tion de Picas­so, à Rome où il va organ­is­er un bal­let Russe — querelles de poètes, poètes de querelles. — M. Rib­era gifle Reverdy à un dîn­er offert chez Lapey­rouse par M. Rosen­berg à ses pen­sion­naires. On par­le de la mort de Mark­ouss. — Kisling intente un procès à l’infortuné Basler pour diffama­tion. — Appari­tion prochaine des poèmes en prose de Max Jacob.  — Appari­tion d’un nou­veau livre de vers d’Apollinaire. — nais­sance d’un poète roumain Tris­tan Tzara qui écrit dans ce style Tzara ! Tzara ! Tzara ! Tzara ! Tzara … Thous­tra. — Paul Guil­laume prend une place énorme ; les tripes de Paul Guil­laume … Apol­li­naire. Débar­que­ment d’une famille russe qui fait souper des pein­tres qui n’ont pas dîné. — Nais­sance de la grande sculp­ture cubiste par la main du polon­ais Lesp­siche. — Madame Derain à la Rotonde Reverdy ! Reverdy ! Reverdy !

Max Jacob & Pierre Reverdy

 

Au mois d’avril 1918, à Paris, Guil­laume Apol­li­naire pub­lie Cal­ligrammes.[49]

À Zurich, Samuel Rosen­stock, alias Tris­tan Tzara, Roumain de vingt-deux ans, proclame son man­i­feste DADA[50] au Cabaret Voltaire : « Je suis con­tre l’action ; pour la con­tin­uelle con­tra­dic­tion, pour l’affirmation aus­si, je ne suis ni pour ni con­tre et je n’explique pas car je hais le bon sens. »

Ami de l’écrivain alle­mand Hugo Ball (1886–1927), Tzara trou­ve les avant-gardes artis­tiques aus­si dis­ci­plinées que les troupes du Kaiser … Les deux indépen­dants refusent de s’enrégimenter … ils seront DADA approximativement.

 

Dada soulève tout, 1921 ©MoMA et Christophe Tzara

 

« Dada a son orig­ine dans le dic­tio­n­naire, révèle Tris­tan Tzara. C’est ter­ri­ble­ment sim­ple. En français cela sig­ni­fie cheval de bois. En alle­mand va te faire, au revoir, à la prochaine. En roumain oui, en effet, vous avez rai­son, c’est ça, d’accord, vrai­ment, on s’en occupe, car le mot, messieurs, le mot est une affaire de tout pre­mier ordre. »[51]

 

MOT en dés (démo) ©Féli­cieDubois

 

Le 12 juil­let 1918, Pablo Picas­so épouse Olga Koklo­va, ex-danseuse des Bal­lets Russ­es. Max Jacob & Guil­laume Apol­li­naire sont témoins du mar­ié. (Cf. GUILLAUME APOLLINAIRE épisode 3)

 

Max Jacob, Apol­li­naire et sa muse (gouache sur papi­er, 1910) ©Musée des Beaux-Arts d’Orléans

 

Le 9 novem­bre, Guil­laume Apol­li­naire (trente-huit ans) meurt de la grippe dite « espag­nole » ; Max Jacob veille le corps de son ami jusqu’au 13, il écrit à René Fau­chois[52] : Je veille chaque nuit ce qu’il reste de lui. Nous avons assez passé d’heures à rire pour que j’en passe près de lui à pleur­er. Je t’écris tout cela qui dépeint mal l’état de mon cœur pour que tu ne t’étonnes pas de ne pas me voir jeu­di. Vrai­ment ni les suc­cès de mes amis, ni ceux de la France vic­to­rieuse ne peu­vent rafraîchir ce qu’en moi cette mort a fané à jamais. Je ne savais pas qu’il était « ma vie » à ce point.[53]

 

Le 11 novem­bre 1918, un Armistice est signé entre la Triple Entente et l’Allemagne — en atten­dant le traité/diktat de Ver­sailles du 28 juin 1919.

 

L’esprit de revanche sera aus­si fort out­re-Rhin dans les années à venir qu’il le fut en France après 70 et nous seri­ons des niais si nous nous en éton­nions les pre­miers, écrit Mau­rice Sachs.[54]

 

 

Le Christ à Montparnasse

 

En 1919, Max Jacob pub­lie La Défense de Tartufe : Extase, remords, visions, prières, poèmes et médi­ta­tions d’un Juif con­ver­ti, dédié à Juan Gris[55], aux édi­tions de la Société Lit­téraire de France.

 

Ini­tiale­ment inti­t­ulée Le Christ à Mont­par­nasse, La Défense de Tartufe (comme celui de Molière, mais avec un seul « f », humil­ité oblige) per­met à Max Jacob de se faire l’avocat du dia­ble, si j’ose dire.

 

La famille Jacob, athée & répub­li­caine, est hos­tile à ce qu’elle con­sid­ère comme une trahi­son. D’autant que c’est une épidémie : Hen­ri Berg­son[56] lui-même envis­age le catholi­cisme comme « l’achèvement com­plet du judaïsme ».[57]

 

(Audio Érik Satie)

 

Max Jacob fréquente le salon de Roland-Manuel[58], ami d’ÉRIK SATIE et de Mau­rice Ravel.

 

Marie Vas­sili­eff, « Nu avec des cartes » (cray­on sur papi­er, 1930)

 

Max Jacob est un habitué des ate­liers de Marie Vas­sili­eff[59], Juan Gris, Moïse Kisling[60] et Amedeo Modigliani dit Dedo.

 

Amedeo Modigliani, Por­traits de Max Jacob /1 et 2 (vers 1916)

 

Max & Dedo se con­sid­èrent mutuelle­ment comme des frères.

Générale­ment il était mécon­tent, indigné et gron­deur, dira Max Jacob de Modigliani. Sa fig­ure était large, belle, très brune. Il avait la tenue d’un gen­til­homme en hail­lons et Picas­so dis­ait que lui seul savait s’habiller. Tout en velours avec des chemis­es d’ouvriers à car­reaux. […] Générale­ment il errait, dessi­nait dans les cafés, peignait chez ses maîtress­es qui étaient nom­breuses. Il dînait quand on l’invitait, mangeait peu, buvait énor­mé­ment et oubli­ait sa mis­ère avec du haschisch.[61]

 

Jeanne Hébuterne, « Auto­por­trait » (1916) et Amedeo Modigliani, « Jeanne Hébuterne » (1917)

 

Le 24 jan­vi­er 1920, Amedeo Modigliani (1884, Livourne — 1920, Paris) meurt d’une ménin­gite tuber­culeuse à l’hôpital de la Char­ité (entre les rues Jacob & des Saint-Pères). Au matin du 26, Jeanne Hébuterne (1898, Meaux — 1920, Paris), enceinte de leur pre­mier enfant, se jette d’un cinquième étage dans le quarti­er du Val-de-Grâce.

 

Jeanne Hébuterne et Amedeo Modigliani, vers 1919

 

Le 31 du même mois & de la même année, en se ren­dant à l’Opéra de Paris pour une représen­ta­tion du Tri­corne de Manuel de Fal­la, décors de Picas­so, Max Jacob est ren­ver­sé par une de ces auto­mo­biles qui envahissent les rues de la cap­i­tale ; on le con­duit à l’hôpital Lari­boisière dans les couloirs duquel il con­tracte une con­ges­tion pulmonaire.

 

Hôpi­tal, mau­solée des vivants — écrit le poète — tu es entre deux gares, gare toi-même pour les départs d’où on ne revient pas. Je m’agenouille en pen­sée devant ton sort ; je remer­cie Dieu qui m’a lais­sé par­mi les hommes de la terre. Sur ce banc, pour moi, la faib­lesse et la fatigue ressem­blent à l’agonie. Tête si faible encore, et ça com­mande à tout, la tête ! pau­vres mem­bres comme vieil­lis à pau­vre tête si faible tou­jours, si faible encore. Ago­nie ! La fatigue ! Oh ! faib­lesse. Ohé ! les gens pressés des autos, vous mour­rez ! vous mour­rez ! Ohé ! les chiens de sexe, les jeunes et les vieux, vous mour­rez ! les femmes popotes et celles de la grande vie, les bas-bleus, vous mour­rez, mes amis !  […] Je viens de l’apprendre à l’hôpital et je vous le crie boule­vard Magen­ta. Vous mour­rez, nous mour­rons. Ô mot effroy­able­ment vrai, ô mot de vérité, de seule vérité, mot qu’on ne peut remuer et qu’il faut touch­er avec le doigt de la pen­sée. Mais écoutez-moi donc au lieu de fil­er : vous mour­rez, nous allons mourir tout à l’heure.[62]

 

L’Ankou de Ploudiry

 

Par­mi ceux qui se relaient au chevet de Max Jacob — Liane de Pougy, Jean Cocteau, André Salmon —, Misia Sert est des plus zélées.

 

Coco Chanel et Misia Sert (avec un chien) ; José-Maria Sert (debout) ; c’est « Madame Philippe Berth­elot » qui tient le para­sol (vers 1920, DR)

 

Née Marie Sophie Olga Zenaïde Godeb­s­ka (1872, Saint-Péters­bourg — 1950, Paris) épouse, en troisièmes noces — après Thadée Natan­son (1893/1904), puis Alfred Edward (1905/1909) — de José-Maria Sert (1920/1927), pianiste & salon­nière, amie de Toulouse-Lautrec, Lucien Gui­t­ry, Cocteau, Colette et Reverdy ; intime de Stéphane Mal­lar­mé et de Serge Diaghilev, elle est con­nue du Tout-Paris sous le nom si mignon de Misia (« petite our­son­ne », en polonais).

Mar­cel Proust s’en inspire pour com­pos­er Madame Verdurin.

Jean Cocteau s’en sou­vient pour façon­ner la Princesse de Bormes, dans son roman Thomas l’Imposteur : Elle voulait s’amuser et savait s’amuser. Elle avait com­pris, à l’encontre des femmes de son milieu, que le plaisir ne se trou­ve pas dans cer­taines choses mais dans la façon de les pren­dre toutes. Cette atti­tude exige une san­té robuste.[63]

Nous y reviendrons.

 

Max Jacob, « Rue Boli­var le matin » gouache, pas­tel et encre de chine sur papi­er, 1919
©Galerie Alex­is Bordes

 

À sa sor­tie de l’hôpital, en mars 1920, Max Jacob expose une cen­taine de gouach­es & dessins à la galerie Bern­heim, quarti­er de La Madeleine.

 

Un jour je fus bap­tisé poète par des amis qui étaient des poètes et non des moin­dres — écrit Max dans le cat­a­logue de l’exposition —, plus tard je fus bap­tisé pein­tre par les meilleurs pein­tres de ce temps et qui sont à peine plus jeunes que moi. Depuis un marc­hand des plus let­trés qui est un très intel­li­gent ama­teur, m’a présen­té au pub­lic. Je n’avais de ma vie jamais rêvé pareil hon­neur.[64]

 

L’éternelle Revue ©Jean Bap­tiste Dubois (1927, Thouars — 2021, Meudon)

L’éter­nelle Revue, suite @ Jean Bap­tiste Dubois (1927, Thouars-2021, Meudon)

 

C’est le temps du Bœuf sur le toit, rue Boissy‑d’Anglas (à deux pas de l’hôtel Vouille­mont où loge Mau­rice Sachs, nous y arrivons), nou­veau bar à la mode ani­mé par celui que les sur­réal­istes ne désig­nent plus que d’une périphrase : « des cock­tails, un Cocteau ».

 

Fran­cis Picabia « L’Œil Cacody­late » (tableau col­lab­o­ratif, 1921)

 

De tous les restau­rants, de tous les bars que la mode fait et défait, aucun d’eux, en ces jours-là, n’eut plus de vogue que le Bœuf sur le toit, écrit Mau­rice Sachs. Cet étab­lisse­ment fut créé par Louis Moysès, qui avait un grand tal­ent d’hospitalité et d’organisation. […] Là, dans le tumulte des con­ver­sa­tions et des rires, tout Paris se ren­con­trait. Il serait vain de vouloir énumér­er ceux qui ont passé ce seuil, de la princesse Murat au comte de Beau­mont, célèbre pour ses bals ; de la comtesse de Noailles au roi Fer­di­nand de Roumanie ; d’André Bre­ton, fon­da­teur du sur­réal­isme, à René Clair. Aucun Parisien, aucun vis­i­teur avisé de Paris n’a man­qué d’aller au Bœuf sur le toit. On y ren­con­trait même Érik Satie, musi­cien ermite d’Arcueil.[65]

 

Mau­rice Sachs, donc.

 

De gauche à droite : Mau­rice Sachs, Jean-Loup Simi­an, Louis Émié, Max Jacob (Bor­deaux, 1926)

 

Mau­rice Etting­hausen est né le 16 sep­tem­bre 1906 à Paris dans une famille d’origine juive. Mau­rice Sachs est mort le 14 avril 1945, en Alle­magne, exé­cuté par les nazis après avoir été un agent de la Gestapo. Fol amour de Max Jacob & de Vio­lette Leduc, Mau­rice Sachs est l’auteur d’une œuvre lit­téraire indis­pens­able pour ceux que l’âme humaine inter­roge — « un gredin de haute volée ! » selon Mau­rice Nadeau —, ressus­cité par Patrice Modi­ano.[66]

Mau­rice Sachs est l’auteur de La Décade de l’Illusion (Knopf, New York, 1933 ; Gal­li­mard, Paris, 1950) ; Au temps du Bœuf sur le Toit (Nou­velle Revue Cri­tique, 1939 ; Gras­set & Fasquelle, 1987) ; Le Sab­bat — Sou­venirs d’un jeunesse orageuse (Édi­tions Cor­rêa, 1946 ; L’Imaginaire/Gallimard, 1960).

Ado­les­cent, il écrivait : Je crois être heureux parce que je m’amuse. […] La vérité, c’est qu’on ne peut plus se pass­er de fête ; que tout le monde les désire, qu’il les faut immenses pour que tout le monde puisse y aller et publiques pour éviter les exclu­sives d’une liste d’invités. C’est une démoc­ra­tie du plaisir. Il y aura des bals jusqu’à la prochaine cat­a­stro­phe mon­di­ale[67]

 

Max Jacob, Auto­por­trait dédié à Mau­rice Sachs

 

C’est le début des Années Folles qui se ter­mineront par une abom­inable gueule de bois.

 

Épisode 3

 

En juin 1921, sur les con­seils d’un ami, l’abbé Weill[68], Max Jacob se retire au sud d’Orléans dans un vil­lage ligérien, au pied d’un sanc­tu­aire bénédictin.

 

Saint-Benoît est mon climat

 

Max Jacob loge au monastère de l’Abbaye de Fleury, alors désaf­fec­té.[69]

 

L’Abbaye de Fleury à Saint-Benoît-sur-Loire par Max Jacob

 

En cette année de grâce 1921, Max Jacob pub­lie tout ce qu’il a écrit jusqu’alors & resté inédit : Le Lab­o­ra­toire cen­tral (Au Sans Pareil, 1921 ; réédité chez Gal­li­mard en 1960) ; Le dos d’Arlequin, illus­tré par l’auteur (éd. du Sagittaire/Simon Kra, 1921) ; Matorel en province, illus­tré par Jules Depaquit[70] (éd. Lucien Vogel, 1921) ; Le Roi de Boétie, suivi de Nuits d’hôpital et Aurore, nou­velles (éd. de la N.R.F., 1921) ; Ne coupez pas, made­moi­selle Ou les erreurs des P.T.T., con­te philosophique, illus­tré par Juan Gris (Galerie Simon, 1921).

 

Max Jacob dans sa cham­bre à Saint-Benoît (1922)

 

En 1922, Max Jacob pub­lie Le Cab­i­net noir (fauss­es let­tres avec vrais com­men­taires) à la Bib­lio­thèque des Marges (réédi­tion Gal­li­mard, 1928) ; Le Ter­rain Bouch­a­balle, roman (éd. Émile-Paul frères ; réédi­tion Gal­li­mard, 1964) ; Fil­ibuth ou La Mon­tre en or, con­te (éd. de la N.R.F. ; réédi­tion L’Imaginaire/Gallimard, 1994).

Au mois de mars, Max écrit dans une let­tre[71] à un pein­tre de ses amis :

Je n’ai pas fait de cubisme :

1 parce que n’entendant par­ler que de cela j’étais bien aise de penser à autre chose

2 parce que ce n’était pas mon tempérament

3 parce que j’aurais voulu être le pre­mier et que je n’étais pas capa­ble de l’être

4 parce que Picas­so avait choisi comme élève non moi mais Braque

5 parce qu’au fond je m’y con­nais­sais en lit­téra­ture et non en peinture

6 parce que je fais mes œuvres avec le fond de mon ven­tre et que le fond de mon ven­tre est « opéra-comique »

7 parce que je suis un homme de l’époque impres­sion­niste par for­ma­tion avant 46 ans d’âge et que le cubisme est une sura­jou­ture dans ma vie

8 parce que le cubisme plai­sait à ma pen­sée et non à ma main et que je suis un homme sensuel

9 parce que le cubisme me paraît laid bien sou­vent et que j’aime le … joli, hélas !

10 parce que je suis un vieux poète virgilien

11 je ne sais pourquoi

12 au fait j’ai fait beau­coup de dessins cubistes

13 tout ça, c’est la faute à Picas­so.[72]

 

Pablo et Max

 

En 1923, Max Jacob pub­lie La couronne de Vul­cain, con­te bre­ton (Galerie Simon) ; une revue belge (Le Disque Vert) lui con­sacre un numéro spé­cial ; nais­sance & mort de Ray­mond Radiguet.[73]

 

Jean Cocteau, « Ray­mond Radiguet endor­mi » (1922) DR

 

En 1924, Max Jacob pub­lie Visions infer­nales, poèmes en prose (éd. de la N.R.F.), puis L’Homme de chair et l’Homme de reflet, roman (éd. Simon Kra, réédi­tion Gal­li­mard 1934) ; René Clair filme Entracte, une fan­taisie ©Fran­cis Picabia & Érik Satie.

 

En 1925, Max Jacob pub­lie Les Péni­tents en mail­lots ros­es, poème (éd. du Sagittaire/Simon Kra) ; avène­ment de Joséphine Bak­er dans la Revue Nègre ; mort du phonométro­graphe ÉRIK SATIE.

 

1926 : début des Jeuness­es hitléri­ennes ; mort de Rain­er Maria Rilke.

En 1927, Max Jacob passe l’été avec Mau­rice Sachs sur l’île de Bréhat ; Charles Lind­bergh tra­verse l’Atlantique en avion.

En 1928, Mau­rice Sachs édite aux Qua­tre chemins[74] (qui pub­lieront égale­ment, sans nom d’auteur, Le Livre Blanc de Jean Cocteau) les Visions des souf­frances et de la mort de Jésus fils de Dieu, quar­ante dessins de Max Jacob.

 

 

Pauvre comme Job

Au print­emps 1928, sur les con­seils de Mau­rice Sachs dont il est tombé amoureux (Pau­vre Pau­vre Pau­vre Lelian), Max Jacob quitte Saint-Benoît et revient à Paris. Il s’installe aux Batig­nolles dans un hôtel de la rue Nollet.

 

Max Jacob, rue Nol­let (vers 1928)

 

Aux Qua­tre Chemins, Jean Cocteau pub­lie Le Livre Blanc (anonymement, donc) et Le mys­tère laïc (pour faire plaisir à Jacques & Raïs­sa Mar­i­tain[75]) ; Ray­mond Poin­caré redresse le cours du franc.

 

En 1929, Max Jacob pub­lie Le tableau de la bour­geoisie (éd. de la N.R.F.) ; krach de la Bourse à New York ; mort de Serge Diaghilev à Venise et de Georges Clé­menceau à Paris.

Le 23 août, Max Jacob est vic­time d’un sec­ond acci­dent de voiture, cette fois-ci en Bre­tagne. Il passe sa con­va­les­cence à Quim­per où il ren­con­tre, chez un ami com­mun, un jeune sous-préfet : Jean Moulin.

 

Jean Moulin est né le 20 juin 1899, à Béziers ; il mour­ra le 8 juil­let 1943 après avoir été tor­turé par Klaus Bar­bie, en vain, en Moselle.

 

Jean Moulin « La curée », encre de Chine sur papi­er (1917) DR.

 

Jean Moulin a tou­jours aimé le dessin.

Depuis qu’il est haut fonc­tion­naire — plus jeune sous-préfet de France en 1930 —, il signe Romanin.

 

Romanin « Cock­tail par­ty », encre de Chine sur bris­tol crème (vers 1927) DR.

 

Max, Jean & leurs amis — Augustin Tuset (médecin), Charles Daniel­lou (homme poli­tique), Gio­van­ni Leonar­di (céramiste), Lionel Floch (pein­tre) — se retrou­vent au bar de l’Hôtel de l’Épée, con­tigüe à la mai­son Jacob, ou à l’Hôtel Pas­cal, dans le quarti­er de la gare.[76]

 

Romanin « Au casi­no » (non daté) DR.

 

Max & Jean sil­lon­nent le Fin­istère ; ils se pas­sion­nent pour Tris­tan Cor­bière.[77]

(En 1935, l’éditeur parisien René Helleu pub­liera un recueil de Tris­tan Cor­bière, titré Armor & illus­tré de huit eaux-fortes de Romanin.)

 

Romanin « Cris d’aveugle » 7ème eau-forte (vers 1930) DR.

 

1931 : la République espag­nole est proclamée.

En 1932, Max Jacob est fait Cheva­lier de la Légion d’honneur tan­dis qu’il pub­lie Bour­geois de France et d’ailleurs.[78]

En 1933, André Mal­raux obtient le prix Goncourt pour La Con­di­tion humaine ; Louis-Fer­di­nand Céline pub­lie Voy­age au bout de la nuit ; Adolf Hitler accède au pou­voir en Allemagne.

En 1934, les émeutes antipar­lemen­taires de févri­er, ini­tiées par les ligues d’extrême droite[79], sont rejointes dans l’insurrection con­tre le gou­verne­ment Dal­adier (énième gou­verne­ment embour­geoisé de la Troisième République) par des asso­ci­a­tions d’anciens com­bat­tants[80], puis par les com­mu­nistes … inau­gu­rant cette alliance inouïe qui con­duira, deux ans plus tard — l’Histoire humaine est for­mi­da­ble — au Front Pop­u­laire en France et à la guerre civile en Espagne.

En 1935, le poète sur­réal­iste & com­mu­niste René Crev­el (1900–1935, Paris) se suicide.

 

Max Jacob et Mar­i­anne Oswald au cabaret Les Noc­tam­bules, 3 avril 1936

 

Print­emps 1936 : Max Jacob partage l’affiche avec la chanteuse Mar­i­anne Oswald[81] (bien-aimée de JANE BOWLES) au cabaret des Noc­tam­bules (rue Champollion).

Sur l’insistance de Paul Petit[82], la N.R.F. pub­lie Morceaux Choi­sis de Max Jacob.

En pré­face, Paul Petit écrit : « Ignoré ou mécon­nu par les pro­fesseurs et les cri­tiques, insulté par les voy­ous, méprisé par les Phar­isiens, brimé par les hommes d’affaires, Max Jacob m’apparaît, en ce morne Paris 1936, comme le vivant et récon­for­t­ant sym­bole de la poésie inextinguible. »

 

À Munich, les nazis exposent L’Art « dégénéré » (impres­sion­niste, cubiste, expres­sion­niste) ver­sus L’Art « ger­manique » (supérieur & inaltérable) afin que le peu­ple alle­mand com­prenne bien ce qui est beau ou pas.

Le beau est fort, blond, et il a les yeux bleus.

Dont acte.

 

Max Jacob « Fête à Quim­per » gouache sur papi­er (1930) ©Musée des Beaux-Arts de Quimper.

 

En novem­bre 1937, Max Jacob est à Quim­per où se meurt sa mère.

Le 14, il écrit à un jeune ami qu’il vient de ren­con­tr­er dans le Loiret — Mar­cel Béalu[83]: Ain­si c’est cela la mort bour­geoise. Pas de drame, pas de cris ! Ma mère s’éteint ! per­son­ne ne pleure, mais quel dévoue­ment et quels bons feux. 

Puis, le 19, au même : J’ai per­du ma mère ce matin à 4 heures. Je ne sais pas si j’ai du cha­grin ou non : j’ai épuisé mon poten­tiel pen­dant ces derniers jours. En ce moment il s’agit de mairie, de pom­pes funèbres et de vis­ites, inter­minable défilé d’une ville qui a con­nu mes par­ents, mes grands-par­ents, et les col­latéraux. Tout le monde est char­mant. Pourquoi n’est-on pas dans la vie comme on est dans la mort ?[84]

 

Max Jacob « L’Homme à la faux » (gouache, vers 1936)

 

Petit menhir chauve

 

De retour à Saint-Benoît, il n’est plus ques­tion pour Max Jacob de loger au monastère ni au presbytère.

Mon­sieur le curé trou­ve que je reçois trop de vis­ites … et puis, il me défend de fumer ![85]

 

Max s’installe d’abord au rez-de-chaussée de l’hôtel Robert, qu’il quitte bien­tôt pour la pen­sion de Madame Per­sil­lard, don­nant sur la place du Martroi, au cen­tre de Saint-Benoît.

 

Max Jacob et Madame Per­sil­lard (à soix­ante-sept ans, Max a l’air d’un vieil­lard) ©Mar­cel Béalu, 1943

 

Après le départ d’un de ses nom­breux vis­i­teurs, sa nou­velle logeuse com­mentera : Encore un qui vient pren­dre des leçons de poésie !

« Cette phrase fit pen­dant longtemps la grande joie de Max. »[86]

 

Max Jacob et Mar­cel Béalu, 21 févri­er 1944

 

« Lorsque se présen­tait à Max Jacob un jeune incon­nu, il arrivait à ce dernier d’être sur­pris par l’accueil extrême­ment affectueux, voire frater­nel, du poète, racon­te Mar­cel Béalu. Pour­tant pas d’équivoque dans la manière : Max ne pou­vait cel­er ses sen­ti­ments. Immé­di­ate­ment épris du vis­i­teur, il le lui mon­trait bien, faisant la roue autour de lui, déploy­ant ses dons de séduc­tion, sa verve, débal­lant les tré­sors de son esprit et de sa mémoire. Des his­toires drôles — véri­ta­bles scènes dont il inter­pré­tait chaque per­son­nage — il emme­nait pro­gres­sive­ment sa vic­time ravie jusqu’aux chausse-trapes des sci­ences occultes afin d’utiliser tout son savoir, grand dans ce domaine, à mieux la trou­bler. Bref, avec une entière bonne grâce, il singeait, mimait, con­tre­fai­sait, à l’usage du nou­veau venu, un Max Jacob déjà légendaire. »[87]

 

Max médi­tant

 

« Non seule­ment sa con­ver­sa­tion qui alli­ait les sou­venirs de la rue Rav­i­g­nan aux menus pro­pos de la sac­ristie, les révéla­tions de la Kab­bale aux potins du bistrot, une inter­pré­ta­tion peu ortho­doxe des Évangiles aux lieux com­muns du catéchisme, s’emparait des esprits — écrit Mar­cel, mais par ses silences mêmes, par son activ­ité inlass­able, par une ten­sion con­tin­uelle de la pen­sée et du cœur, il entraî­nait cha­cun dans son orbe, impo­sait à tous sa présence, mar­quait chaque objet de sa trace. »[88]

 

1938 : l’Allemagne nazie annexe l’Autriche et une par­tie de la Tchécoslovaquie.

1939 : la Sec­onde Guerre Indus­trielle Mon­di­ale est déclarée ; mort de Sig­mund Freud.

 

« Notre-Dame des Naufragés » de Cyprien Godeb­s­ki (1835 – 1909) père de Maria Godeb­s­ka, alias Misia ; la stat­ue se dresse depuis 1904 à la pointe du Raz, face à l’île de Sein ©Féli­cieDubois

 

Le 18 juin 1940, le général de Gaulle par­le aux Français depuis les stu­dios de la BBC. Per­son­ne ne l’entend, sinon les marins de l’île de Sein (une cen­taine d’hommes par­tent aus­sitôt à Lon­dres, un tiers ne revien­dra pas). Le 22, Pétain signe avec Hitler un armistice en forêt de Com­piègne ; le 10 juil­let, le maréchal obtient de Pierre Laval & du Par­lement les pleins pou­voirs et s’installe à Vichy.

 

J’suis l’bouquet, j’suis l’bouquet, j’suis l’bouc émissaire

29 mars 1941 : créa­tion du Com­mis­sari­at général aux Ques­tions juives chargé de « recon­naître et élim­in­er les Juifs de toutes les inter­férences dans les domaines vitaux et dans la vie publique, admin­istr­er leurs biens jusqu’à la date de leur évac­u­a­tion[89] » etc.

L’été suiv­ant, Max Jacob reçoit la vis­ite d’un de ses jeunes amis parisiens de la rue Nol­let, devenu une célébrité : Charles Trénet.

Y’a d’la joie à Saint-Benoît !

 

1942 : Jean Genet écrit Le con­damné à mort à la prison de Fresnes ; débar­que­ment des Alliés près d’Alger.

1943 : le port oblig­a­toire de l’étoile jaune pour les Juifs est promulgué.

Max Jacob ne quitte plus Saint-Benoît où il se sent protégé.

 

Max à l’étoile jaune (pho­to de Jacques Boudet, 1943)

 

Les 16 et 17 juil­let, 13 152 juifs, dont 4 115 enfants, sont envoyés au Vélo­drome d’Hiver (à Paris) puis déportés & gazés à Auschwitz (en Pologne).

Au mois de décem­bre, le frère aîné de Max, Gas­ton Jacob, est arrêté à Quim­per, relâché, puis finale­ment déporté à Auschwitz le 16 févri­er 1943 où il est gazé dès son arrivée.

À Saint-Benoît, Max Jacob reçoit la vis­ite de Pablo Picas­so qui lui pro­pose de le ramen­er à Paris, Max refuge — refuse. Ils ne se rever­ront plus.

… puis celle de Paul Élu­ard[90] (accom­pa­g­né de Pierre Bergé[91]).

 

Max Jacob « Les Mon­stres » encre de Chine, pas­tel et rehauts d’huile sur papi­er (1943) ©Musée des Beaux-Arts de Quimper

 

Max Jacob écrit beau­coup, à tous ses amis.[92]

Il est prêt au mar­tyre, dit-il.

 

Pierre Soulages « Hom­mage à Jean Moulin, 1999 » ©Musée des Beaux-Arts de Quimper

 

1944 : la sœur cadette de Max Jacob — Myrté-Léa — est arrêtée à Paris puis déportée au camp d’internement de Dran­cy. Son frère remue ciel et terre pour la sec­ourir, en vain. Elle sera gazée dès son arrivée à Auschwitz.

 

Max Jacob « Visions de guerre », gouache et encre de Chine sur papi­er (vers 1940) ©Musée des Beaux-Arts d’Orléans

 

« Nous entrons nous chauf­fer dans un baraque­ment pro­vi­soire ser­vant de salle d’attente à l’autocar, écrit Mar­cel Béalu. La foule des paysans, réfugiés et forains, y fait régn­er une curieuse atmo­sphère d’émigration. Sur ce pont de paque­bot bal­ancé par les vagues de la guerre, per­du au cœur de la France, notre adieu, Max, n’en fut pas un. Ne devions-nous pas nous revoir le dimanche suiv­ant ? […] Aus­si nous séparons-nous sans tristesse. Tu nous fais un dernier signe : Au revoir les enfants ! »[93]

 

Dernière pho­to de Max Jacob prise par Mar­cel Béalu le 21 févri­er 1944, à Saint-Benoît

 

« Le jeu­di suiv­ant, 24 févri­er 1944 vers 11 heures du matin, une auto venue d’Orléans s’arrêtait devant la mai­son de briques ros­es, à Saint-Benoît-sur-Loire. Trois hommes en civ­il descendaient, son­naient et fai­saient part de leur mis­sion. Il ne s’agissait vraisem­blable­ment pas d’une mesure par­ti­c­ulière, depuis la veille, une vaste rafle des Juifs avait lieu dans le départe­ment.[94] La tem­péra­ture était tou­jours glaciale. Ces Messieurs mon­tèrent se chauf­fer dans la cham­bre de Max où ils restèrent env­i­ron une heure tan­dis qu’il rassem­blait ses effets et que Mme Per­sil­lard, affolée, courait au pres­bytère. […] Max se mon­trait très calme et il ne sour­cil­la pas quand la brave femme, boulever­sée par l’événement, lui lança : — Vous voyez ! ça vous a bien servi de tant prier ! […] Un petit attroupe­ment s’était for­mé devant la porte. Le poète ser­ra les mains autour de lui et glis­sa au doc­teur (Castel­bon) qui cher­chait à l’encourager : Tout ça n’a pas d’importance … J’ai fait bonne impres­sion à ma logeuse.

 

Max Jacob et le doc­teur Castel­bon, pho­to prise par Mar­cel Béalu le 21 févri­er 1944

 

Le Chanoine Fleureau dépêche l’Abbé Hat­ton qui part en bicy­clette aver­tir Roger Toulouse à Orléans (trente-cinq kilo­mètres). Celui-ci alerte Mar­cel Béalu, Jean Denoël et André Salmon, lesquels prévi­en­nent Jean Cocteau.

 

Roger Toulouse (1918–1994, Orléans) Por­trait de Max Jacob ou « Le poète à l’orchidée » (1942) DR.

 

Les nou­veaux internés sont con­duits à la prison mil­i­taire d’Orléans, rue Eugène-Vig­ni­at. Hommes & femmes & enfants sont entassés dans une seule pièce de 21 pail­lass­es pour 65 per­son­nes, sans eau ni élec­tric­ité, par un froid glacial, nour­ri à peine d’un bol de soupe claire.

Le 26 févri­er 1944, Max Jacob réus­sit à envoy­er un mes­sage à Jean Rous­selot, com­mis­saire de police d’Orléans :

Mon cher Jean,

Je suis avec une troupe juive à la prison mil­i­taire alle­mande et sans doute en par­tance pour le Dran­cy la semaine prochaine. Peut-être que ton titre te per­me­t­tra de venir m’apporter un peu de tabac et des allumettes. Préviens Cocteau. Amitiés. 

Max Jacob, Homme de let­tres, Cheva­lier de la Légion d’honneur[95]

Puis Max Jacob écrit au chanoine Fleureau, curé de Saint-Benoît :

Cher Mon­sieur le Curé,

Excusez cette let­tre de naufragé écrite par la com­plai­sance des gen­darmes. Je tiens à vous dire que je serai au Dran­cy tout à l’heure. J’ai des con­ver­sions en train. J’ai con­fi­ance en Dieu et dans ses amis. Je le remer­cie du mar­tyre qui com­mence …[96]

Prévenu de l’arrestation de son ami, Picas­so aurait répon­du : ce n’est pas la peine de faire quoi que ce soit, Max est un ange. Il n’a pas besoin de nous pour s’envoler de sa prison. 

Pablo Picas­so, pein­tre « dégénéré », était dans le col­li­ma­teur des nazis et préférait se faire discret.

Jean Cocteau, poète « dégénéré » lui aus­si, réag­it illico :

Je dirais de Max Jacob que c’est un grand poète si ce n’était un pléonasme. C’est un poète tout court qu’il faut dire — car la poésie l’habite et s’échappe de lui, par sa main, sans qu’il le veuille.

Avec Apol­li­naire il a inven­té une langue qui sur­v­ole notre langue et qui exprime les profondeurs.

Il a été le trou­ba­dour de cet extra­or­di­naire tournoi où Picas­so, Matisse, Braque, Derain, Chiri­co, s’affrontent et opposent leurs armoiries bariolées.

De longue date, il a renon­cé au monde et se cache à l’ombre d’une église. Il y mène l’existence exem­plaire d’un paysan et d’un moine.

La jeunesse française l’aime, le tutoie, le respecte et le regarde vivre comme un exemple.

En ce qui me con­cerne, je salue sa noblesse, sa sagesse, sa grâce inim­itable, son pres­tige secret — sa « musique de cham­bre » pour emprunter une parole de Nietzsche.

Dieu lui vienne en aide.[97]

Max Jacob age­nouil­lé devant l’au­tel de l’ab­baye de Fleury

 

Le 28 févri­er 1944, Max Jacob est déporté au camp d’internement de Dran­cy sous le N°15872. Il reçoit l’étiquette verte qui signe son inscrip­tion pour le prochain con­voi (N°69).

Le camp est gardé par des gen­darmes français sous l’autorité de la Gestapo (acronyme de GEHEIME STAATSPOLIZEI « Police secrète d’État », celle du Troisième Reich ©Her­mann Göring).

J’ai ta peau, plaisante Max qui chante des airs d’Offenbach à ses codétenus en y met­tant tout son cœur opéra-comique.

 

« À son arrivée, Max fut logé dans un dor­toir pro­vi­soire, celui des déportés, écrit Mar­cel Béalu. La men­ace d’un départ en Alle­magne dut avoir sur son extrême émo­tiv­ité des con­séquences néfastes. Le lende­main, il entrait à l’infirmerie. Au Dran­cy, l’infirmerie était tenue par plusieurs doc­teurs juifs internés et ce serait leur faire injure que de dire, comme cela fut fait, que Max y fut mal­mené. […] Le 2 mars la toux aug­men­ta, et il com­mença à râler. Il mou­rut (d’une bron­cho-pneu­monie) le dimanche 5, à 9h30 du soir, sans avoir retrou­vé sa lucid­ité. »[98]

 

Fiche d’identité de Max Jacob fixée au-dessus de son lit à l’infirmerie du camp de Drancy

 

Lun­di 6 mars 1944, Max Jacob est enter­ré dans une fos­se com­mune du cimetière d’Ivry : 44e divi­sion, 24e ligne, 27e fosse.

Mar­di 7 mars, le con­voi N°69 part pour Auschwitz-Birke­nau : sur 1 501 déportés, 1 311 sont gazés dès leur arrivée.

 

Vingt-six jours plus tard, same­di 1er avril 1944, la revue Comœ­dia annonce le décès du poète : « Max Jacob est mort le 5 mars. Il était né le 11 juil­let (sic) 1876 à Quim­per. L’auteur du Cor­net à dés et de La Défense de Tartufe, du Lab­o­ra­toire cen­tral, des Péni­tents en mail­lots ros­es, du Cab­i­net noir et de Ciné­matoma, tout ensem­ble humoriste, chantre mys­tique et dessi­na­teur, Max Jacob laisse aux jeunes poètes le sou­venir d’une ami­tié pleine d’efficacité et de ver­tus. La pub­li­ca­tion de sa cor­re­spon­dance devrait en apporter un jour le témoignage. »[99]

 

Rue Max Jacob à Saint-Benoît ©Féli­cieDubois

 

Je demande à être enter­ré religieuse­ment aus­si hum­ble­ment que pos­si­ble dans le cimetière de Saint-Benoît-sur-Loire, a pré­cisé Max Jacob dans son testament.

Le 4 mars 1949, ses proches exhument la dépouille de Max Jacob au cimetière d’Ivry pour la trans­fér­er à Saint-Benoît.

« Nous étions six ou sept, relate Hen­ri Sauguet[100], dont André Salmon et Pierre Colle[101]. On a ouvert la tombe. Il ne restait plus rien du cer­cueil dans lequel Max avait été enter­ré d’abord. C’était une scène d’Hamlet … Un fos­soyeur envoy­ait les osse­ments par-dessus la tombe et un autre les dis­po­sait au fur et à mesure dans un cer­cueil neuf. »[102]

 

Depuis 1960, Max Jacob est « Mort pour la France »

… une minute de silence …

 

 

Dieux ! astres immor­tels ! fées qui vivez partout !

Je sais que je ne suis qu’un chanteur nasillard,

Un gour­mand, un satyre, un pécheur, un vieux fou.

Et pour­tant ma faib­lesse est telle devant l’art

Devant la vie ! que je ne vois d’autre ressource

Que de vous écrire, ô démons, cette lettre !

Suis-je né de Mer­cure, de Mars, ou du Grand Être

Je ne sais ! mais je souf­fre du corps et de la bourse,

Des nerfs, des gens d’esprits, des sots et de la mode,

De la nature avec sa ver­dure et de la ville avec ses codes.

L’étranger, mon pays, Paris et la banlieue,

Tout me gêne et m’écrase et me navre.

Trans­portez-moi à Nice, à Char­en­ton, au Havre,

Mais où que je sois, fées, prenez pitié de mes douleurs.

Je m’ennuie à crev­er, le tra­vail m’agace.

Tenez ! ce matin j’ai cassé une glace !

Il paraît que ça porte malheur.

Je vous demande peu ! don­nez-moi quelques rentes

Et qu’on me laisse seul avec trois amis.

Le dia­ble me répond : « C’est moi qui te tourmente ! »

Eh bien alors, mon Dieu, donne-moi ton appui. [103]

 

 

©Féli­cieDubois, sep­tem­bre 2021


[1] Afin de béné­fici­er d’un horo­scope plus favor­able, Max pré­tendait qu’il était né le 11 … coquet­terie toute jacobienne.

[2] Asso­ci­a­tion Les Amis de Max Jacob http://www.max-jacob.com/

[3] Il y a beau­coup de Jacob, David, Salomon, etc. en Bre­tagne — ce qui plaide en faveur de François Caradec. Pour ma part, il me sem­ble que l’une (des expli­ca­tions) n’empêche pas l’autre …

[4] François Caradec, Entre miens (Flam­mar­i­on, 2010).

[5] François Caradec (1924, Quim­per — 2008, Paris) écrivain pat­a­physi­cien ©Alfred­Jar­ry ; dis­ci­ple posthume & préféré d’Alphonse Allais.

[6] « Cal­vaire » : du latin cal­varia, « crâne » & du grec kran­ion, « cerveau » ; tra­duc­tion ultime de Gol­go­tha : lieu du sup­plice ­— autrement dit de la cru­ci­fix­ion de Jésus de Nazareth en l’an 0 de lui-même.

[7] « Roga­tion », même famille que « corvée » : du latin cor­ro­ga­ta : tra­vail oblig­a­toire & gratuit.

[8] Max Jacob à René Vil­lard, cité par Béa­trice Mous­li — in : Max Jacob (Flam­mar­i­on, 2005).

[9] Max Jacob, La Défense de Tartufe (éd. Société Lit­téraire de France, 1919).

[10] Max Jacob, La Défense de Tartufe (op. cit.).

[11] Extrait d’une con­férence don­née par Max Jacob à Nantes en 1937, cité par Béa­trice Mous­li — in : Max Jacob (éd. Flam­mar­i­on, 2005).

[12] Robert Gui­ette, La Vie de Max Jacob (éd. Nizet, 1976).

[13] On trou­ve la sig­na­ture de Léon David dans La Revue des Beaux-Arts et des Let­tres + Le Moni­teur des Arts.

[14] Rue Laf­fitte, dans le neu­vième arrondisse­ment de Paris, se côtoient les galeries de Clo­vis Sagot (ancien clown du cirque Médra­no devenu marc­hand d’art) & Paul Durand-Ruel (le meilleur ami des pein­tres impres­sion­nistes) & Ambroise Vol­lard (1866, Saint-Denis de La Réu­nion — 1939, Versailles).

[15] … dont le Pau­vre Lélian, alias Paul Ver­laine, est le Prince.

[16] André Salmon (1881, Paris — 1969, Sanary-sur-Mer) écrivain, ami de Max Jacob & Guil­laume Apollinaire.

[17] Pierre Reverdy (1889, Nar­bonne — 1960, Solesmes) poète, filleul de Max Jacob & amant de Coco Chanel.

[18] Max Jacob, Le Roi de Béotie (éd. Gal­li­mard, 1971).

[19] Fer­nande Olivi­er, alias Amélie Lang (1881, Paris — 1966, Neuil­ly-sur-Seine) com­pagne de Picas­so ©péri­ode Rose & Bleue ; avant Éva, alias Mar­celle Hum­bert (1885–1915) ©péri­ode cubiste ; précé­dant Olga Khokhlo­va (1891–1955), épouse dudit© jusqu’à sa mort (à elle).

[20] Fer­nande Olivi­er, Picas­so et ses amis (éd. Stock, 1933).

[21] Ana­tole Le Braz, La Légende de la Mort en Basse-Bre­tagne / Croy­ances, Tra­di­tions et Usages des Bre­tons armor­i­cains (éd. Hon­oré Cham­pi­on, 1893). Max Jacob lira & reli­ra tous les chapitres : Les inter­signes / Avant la mort / L’Ankoù / La mort simulée / Moyens d’appeler la mort / Le départ de l’âme / Après la mort / L’enterrement / Le sort de l’âme / Les noyés / Les villes englouties / Les assas­s­inés et les pen­dus / L’Anaon / Les Revenants / Con­ju­ra­tions et con­jurés / L’Enfer / Le Par­adis ; lesquels chapitres seront réédités un siè­cle plus tard sous le titre La Légende de la Mort (Jeanne Laffitte/Coop Breizh, 1994).

[22] Ana­tole Lebras dit Le Braz (1859, Duault — 1926, Men­ton) his­to­rien de la lit­téra­ture bre­tonne & cel­tique ; tra­duc­teur & poète.

[23] Max Jacob, La rue Rav­i­g­nan, in : Le Cor­net à dés (éd. Gal­li­mard, 1945).

[24] L’autre nom du Bateau-Lavoir.

[25] Max Jacob est l’auteur d’une trilo­gie cocasse (pub­liée in exten­so aux édi­tions Gal­li­mard, en 1936) — Saint Matorel, roman + Les Œuvres bur­lesques et mys­tiques de frère Matorel, mort au cou­vent + Le Siège de Jérusalem, grande ten­ta­tion céleste de saint Matorel — à laque­lle, ici, André Salmon fait allu­sion. Disponible égale­ment dans la col­lec­tion Quar­to (Gal­li­mard, 2012) qui regroupe la qua­si-total­ité des œuvres de Max Jacob.

[26] André Salmon, Sou­venirs sans fin (Gal­li­mard, 1961).

[27] Paul Poiret (1879 — 1944 / Paris), couturier/parfumeur/mécène/collectionneur. Dis­ci­ple de Jacques Doucet (1853, Paris — 1929, Neuil­ly-sur-Seine), couturier/mécène/collectionneur. Cf. http://bljd.sorbonne.fr/

[28] Fer­nande Olivi­er, op. cit.

[29] Daniel Hen­ry Kah­n­weil­er (1884, Mannheim — 1979, Paris) galeriste & édi­teur alle­mand nat­u­ral­isé français en 1937, grand ami des cubistes.

[30] Le Salon des Indépen­dants (dont la pre­mière édi­tion s’est tenue à Paris en 1884, sans jury ni prix, c’est le principe) existe tou­jours. Cf. https://www.artistes-independants.fr/wp-content/uploads/2020/07/Dossier_ARTCAPITAL2021.pdf

[31] Dix­it Max lui-même, cité par Pierre Andreu — in : Vie et Mort de Max Jacob (éd. de la Table Ronde, 1982).

[32] Guil­laume Apol­li­naire, Œuvres en prose T.II (La Pléiade/Gallimard, 1991).

[33] La Nou­velle Revue Française (de lit­téra­ture et de cri­tique) fondée, entre autres, par Michel Arnauld, Jacques Copeau, André Gide, Charles-Louis Philippe, André Ruyters, Jean Schlum­berg­er, etc. à laque­lle col­la­borent Paul Claudel, Émile Vuiller­moz, la Comtesse de Noailles, etc. dirigée par Eugène Mont­fort, puis, à par­tir de 1925, par Jean Paul­han (1884, Nîmes — 1968, Neuil­ly-sur-Seine) est la sœur aînée des édi­tions de la N.R.F. ©Gal­li­mard.

[34] Fer­nande Olivi­er, in : Max Jacob, por­traits d’artistes (Som­o­gy édi­tions d’art, Paris & Musée des Beaux-Arts de Quim­per & Musée des Beaux-Arts d’Orléans, 2004).

[35] Max Jacob, La Défense de Tartufe op. cit.

[36] André Bil­ly, Max Jacob (Poètes d’aujourd’hui/Seghers, 1945 ; 1969).

[37] Guil­laume Apol­li­naire, La Chan­son du Mal aimé (éd. Mer­cure de France, 1909).

[38] Les Bal­lets Russ­es ont été créés en 1907, à Saint-Péters­bourg, par Serge de Diaghilev ; puis la troupe est dev­enue une com­pag­nie privée itinérante (Monte Car­lo, Lon­dres, Paris).

[39] Cité par Béa­trice Mous­li, op. cit.

[40] Jean Gre­nier (1898, Paris — 1971, Dreux) philosophe ; ami bre­ton de Max Jacob ; pro­fesseur d’Albert Camus au lycée d’Alger ; père de Madeleine Gre­nier (1929–1982) pein­tre du silence.

[41] La trilo­gie des Matorel a été rééditée chez Gal­li­mard en 1936 & en un seul vol­ume pour ceux que ça intéresserait d’aller y voir de plus près. Disponible égale­ment dans la col­lec­tion Quar­to (Gal­li­mard, 2012) qui regroupe la qua­si-total­ité des œuvres de Max Jacob.

[42] Théodore & Alphonse Ratis­bonne, mis­sion­naires jésuites d’origine juive, fon­da­teurs de la Con­gré­ga­tion de Notre-Dame de Sion en 1843. Nota Bene : il fau­dra atten­dre le con­cile Vat­i­can II (1965) pour que l’Église Catholique Romaine renonce offi­cielle­ment à con­ver­tir les Juifs.

[43] Saint Fiacre (590–670) moine her­boriste & ana­chorète irlandais.

[44] Saint Cyprien (200–258) Berbère con­ver­ti au chris­tian­isme, évêque de Carthage et Père de l’Église.

[45] Cité par Béa­trice Mous­li, in : Max Jacob (Flam­mar­i­on, 2005).

[46] http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Poesie-Gallimard/Le-Cornet-a-des

[47] Liane de Pougy, née Anne-Marie Chas­saigne (1869, La Flèche — 1950, Lau­sanne) roman­cière, amante de Natal­ie Clif­ford Bar­ney (1876, Ohio/USA — 1972, Paris) qui la quit­ta pour Renée Vivien (1877, Lon­don — 1909, Paris). Cf. Liane de Pougy, Idylle Saphique, Librairie de la Plume, 1901 ; réédité en 1987 aux Édi­tions des Femmes).

[48] 391, revue artis­tique bimen­su­elle de langue française (1917–1924 ; Barcelone/New York/Zurich/Paris) dirigée par Fran­cis Picabia, né Fran­cis-Marie Mar­tinez de Picabia (1879–1953, Paris) artiste dada et cætera.

[49] Guil­laume Apol­li­naire, Cal­ligrammes — Poèmes de la paix et de la guerre 1913–1916 — (Mer­cure de France, 1918).

[50] DADA : anti-mou­ve­ment artis­tique né en Suisse, ancêtre du Sur­réal­isme (avant qu’il ne devi­enne auto­cra­tique ©AndréBre­ton).

[51] Tris­tan Tzara, Man­i­feste du mou­ve­ment Dada … évidem­ment libre de droits.

[52] René Fau­chois (1882, Rouen — 1962, Paris) auteur de la pièce Boudu sauvé des eaux (1919), adap­tée pour la pre­mière fois au ciné­ma par Jean Renoir, en 1936, avec Michel Simon dans le rôle de Boudu.

[53] Max Jacob à René Fau­chois, cité par Béa­trice Mous­li, op. cit.

[54] Mau­rice Sachs, Au temps du Bœuf sur le toit - Jour­nal d’un jeune bour­geois à l’époque de la prospérité /14 juil­let 1919 – 30 octo­bre 1929 (Nou­velle Revue cri­tique, 1939 ; Gras­set, col­lec­tion « Les Cahiers rouges », pré­face d’André Fraigneau, 1947).

[55] José Vic­to­ri­ano Gon­za­les dit Juan Gris (1887, Madrid — 1927, Boulogne-sur-Seine), pein­tre & sculpteur.

[56] Hen­ri Berg­son (1859–1941, Paris) philosophe ; prix Nobel de lit­téra­ture en 1927.

[57] En 1937, Hen­ri Berg­son renonce au bap­tême chré­tien par sol­i­dar­ité avec « ceux qui seront demain des per­sé­cutés » — Cf. Yaël Hirsch, Rester juif ? (éd. Per­rin, 2014).

[58] Roland Alex­is Manuel Lévy, dit Roland-Manuel (1891–1966, Paris) com­pos­i­teur & musi­co­logue français.

[59] Marie Ivanov­na Vas­silie­va, dite Marie Vas­sili­eff (1884, Smolem­sk — 1957, Nogent-sur-Marne) artiste russe, élève d’Henri Matisse. En 1911, elle fonde l’Académie Vas­sili­eff, 21 avenue du Maine (ex. Musée de Mont­par­nasse de 1998 à 2013) où se retrou­vent Amedeo Modigliani, Ossip Zad­kine, Chaïm Sou­tine, Fer­nand Léger, Marc Cha­gall, Pablo Picas­so, Georges Braque, Mar­cel Gro­maire … jusqu’à ce que, à la fin de la pre­mière guerre mon­di­ale, Marie trans­forme l’atelier en can­tine pour les artistes fauchés.

[60] Moïse Kisling (1891, Cra­covie — 1953, Sanary-sur-Mer) pein­tre fran­co-polon­ais de l’École de Paris.

[61] In : Béa­trice Mous­li, op. cit.

[62] Max Jacob, Le Roi de Béotie (éd. de la N.R.F. 1921).

[63] Jean Cocteau, Thomas l’Imposteur (éd. Gal­li­mard, 1923).

[64] Max Jacob, con­clu­sion de l’introduction au cat­a­logue de l’exposition à la galerie Bern­heim, in : L’éternelle Revue, N°1 (nou­velle série) Paris 1er décem­bre 1944.

[65] Mau­rice Sachs, La Décade de l’illusion (Knopf, New York, 1933 ; Gal­li­mard, Paris, 1950 ; Cahiers Rouges/Grasset, 2018).

[66] Patrice Modi­ano, La Place de l’Étoile (Gal­li­mard, 1968).

[67] Mau­rice Sachs, Au temps du Bœuf sur le toit (op.cit.) Lisez Mau­rice Sachs & son indis­pens­able biogra­phie par Hen­ri Raczy­mow, Mau­rice Sachs ou Les travaux for­cés de la friv­o­lité (Gal­li­mard, 1988).

[68] Le même qui con­seillera à Pierre Reverdy une retraite à Solesmes.

[69] À la fin du XVI­I­Ième siè­cle, les moines béné­dictins (regroupés autour des reliques de Saint-Benoît depuis le Moyen Âge) sont chas­sés de leur abbaye par les Révo­lu­tion­naires. En 1865, deux Bre­tons s’y réin­stal­lent comme curé et vicaire, accom­pa­g­nés d’un frère ; mais il fau­dra atten­dre plus de qua­tre-vingts ans avant la reprise d’une vie com­mu­nau­taire. C’est ain­si qu’en octo­bre 2019, l’abbaye de Fleury fêtait le 75e anniver­saire de sa renais­sance. Cf. https://www.abbaye-fleury.com/max-jacob.html

[70] Jules Depaquit (1869–1924), dessi­na­teur humoris­tique & « maire-dic­ta­teur de la Com­mune Libre de Mont­martre » ; ami d’Alphonse Allais & d’Érik Satie.

[71] La cor­re­spon­dance de Max Jacob fait inté­grale­ment par­tie de son œuvre. Cf. note 32.

[72] Max Jacob, « Let­tre à René Rim­bert, mars 1922 » (in : Beat­rice Mous­li, op. cit.).

[73] Ray­mond Radiguet (1903, Saint-Maur-des-Fos­sés — 1923, Paris) auteur d’un pre­mier roman remar­quable & remar­qué Le Dia­ble au corps pub­lié avec fougue par Bernard Gras­set en 1923, puis d’un sec­ond, posthume déjà : Le Bal du comte d’Orgel (éd. Gras­set, 1924).

[74] La Galerie-Librairie des Qua­tre Chemins, édi­tions d’art & lieu d’exposition, était située 18 rue Godot de Mauroy.

[75] Jacques Mar­i­tain (1882, Paris ­— 1973, Toulouse) philosophe catholique, exis­ten­tial­iste chré­tien, dis­ci­ple de Saint Thomas d’Aquin & Raïs­sa Mar­i­tain née Ouman­soff (1883, Russie — 1960, Paris), son épouse et sa muse. Le cou­ple tenait un salon à Meudon (avenue de l’Observatoire), par­mi les plus fréquen­tés de l’entre-deux guer­res. Nous y revien­drons, à Meudon. Nous revien­drons à Meudon où j’ai gran­di de Pom­pi­dou à Mitterrand.

[76] Con­cer­nant l’homosexualité cachée/supposée/vraisemblable de Jean Moulin : cf. la pièce de Jean-Marie Bes­set, Jean Moulin, évangile (L’Avant-scène théâtre, 2016) + « Le dernier secret de Jean Moulin » une enquête de Guil­laume Dasquié (Van­i­ty Fair France, octo­bre 2016).

[77] Édouard-Joachim Cor­bière, dit Tris­tan Cor­bière (1845 – 1875, Mor­laix) « poète mau­dit » ©Paul Ver­laine, auteur d’un unique recueil : Les Amours jaunes (Glady frères édi­teurs, 1873 ; rééd. Léon Van­nier, 1891 ; réed. Albert Mes­sein, 1912 ; rééd. Georges Crès & Cie, 1920 ; rééd. Émile-Paul frères, 1942 ; réédi­tion aug­men­tée Gal­li­mard, 1953. Enfin, en 1970, Tris­tan Cor­bière entre dans la col­lec­tion La Pléi­ade avec un vol­ume regroupant Les Amours jaunes, Poèmes retrou­vés, Œuvres en prose, let­tres.

[78] Max Jacob, Bour­geois de France et d’ailleurs (éd. de la N. R. F. 1932).

[79] Action française, Jeuness­es patri­otes, Camelots du roi …

[80] Croix-de-feu, Union nationale des combattants …

[81] Sarah Alice Bloch dite Mar­i­anne Oswald (1901, Sar­reguem­ines — 1985, Limeil-Bré­vannes) inter­prète XXL.

[82] Paul Petit (1893, Paris — 1944, Cologne) tra­duc­teur de Maître Eck­hart et de Kierkegaard, ami de Paul Claudel.

[83] Mar­cel Béalu (1908, Sell­es-sur-Cher — 1993, Paris) chape­lier & poète, ami de Max Jacob.

[84] Mar­cel Béalu, Dernier vis­age de Max Jacob (éd. Cal­ligrammes, Quim­per, 1994).

[85] Mar­cel Béalu, Dernier vis­age de Max Jacob op. cit.

[86] Ibidem.

[87] Ibid.

[88] Ibid.

[89] Cité par Patri­cia Sus­trac — in : Les Cahiers de Max Jacob (2009).

[90] Eugène Émile Paul Grindel, dit Paul Élu­ard (1895, Saint-Denis — 1952, Char­en­ton-le-Pont) poète sur­réal­iste & communiste.

[91] Pierre Bergé (1930, Saint-Pierre‑d’Oléron — 2017, Saint-Rémy-de-Provence) homme d’affaire & mécène, com­pagnon d’Yves Saint Lau­rent pen­dant cinquante ans.

[92] La Cor­re­spon­dance de Max Jacob est immense dont plusieurs vol­umes ont été pub­liés Cf. note 32.

[93] Mar­cel Béalu, Dernier vis­age de Max Jacob op. cit.

[94] Fritz Merd­sche dit « le bour­reau d’Orléans », chef de la Gestapo, a sévi dans le Loiret de sep­tem­bre 1942 à juin 1944. Deux fois con­damné à mort par con­tu­mace, jamais extradé, il s’est éteint tran­quille­ment chez lui, à Birk­endorf, en Forêt Noire, le 16 juin 1985.

[95] Cité par Mar­cel Béalu, In : Dernier vis­age de Max Jacob.

[96] In : Dernier vis­age de Max Jacob.

[97] Sup­plique de Jean Cocteau trans­mise par Georges Prade au con­seiller Von Bose à l’ambassade d’Allemagne à Paris — cf. Lina Lach­gar, Arresta­tion et mort de Max Jacob (éd. de la Dif­férence, 2017).

[98] Dernier vis­age de Max Jacob, op. cit.

[99] Cor­re­spon­dance de Max Jacob : Cf. https://www.persee.fr/doc/maxja_0526-8400_2013_num_13_1_1037

[100] Hen­ri-Pierre Poupard dit Hen­ri Sauguet (1901, Bor­deaux — 1989, Paris) com­pos­i­teur français.

[101] Pierre Colle (1909, Douarnenez — 1948, Paris) marc­hand de tableau & légataire uni­versel de Max Jacob.

[102] Lina Lach­gar, Arresta­tion et mort de Max Jacob (édi­tions de la Dif­férence, 2017).

[103] Max Jacob, Prière (texte inédit retrou­vé en 1970 ©Asso­ci­a­tion des Amis de Saint-Benoît).